Comme pour beaucoup, l’année a été pour le moins mouvementée pour la FIS, notamment évidemment en raison de la pandémie mondiale de Covid-19. Mais son éternel président Gian Franco Kasper, qui fêtera ses 77 ans au mois de janvier en a vu d’autres. S’il est largement conscient de la crise que traverse la planète, il ne broie pas du noir pour autant et se veut optimiste pour les échéances à venir. Contrairement aux autres années, il ne passera pas les Fêtes chez lui à Saint-Moritz mais restera dans son bureau, au siège de la FIS à Oberhofen am Thunersee (BE). Retour avec lui sur 12 derniers mois marquants.

Gian Franco Kasper, quel bilan tirez-vous de cette année 2020 particulière sur le plan sportif?

La première bonne nouvelle, c’est qu’il y a des compétitions. J’étais pourtant pessimiste il y a quelques semaines. Mais on voit que les Coupes du monde de ski alpin, de fond ou de saut se déroulent plutôt bien jusqu’à maintenant. C’est en revanche beaucoup plus compliqué pour les jeunes, ils vont perdre beaucoup. Chaque saison, la FIS organise 7000 compétitions et on ne pourra pas en faire la moitié cet hiver. On va perdre une génération.

Si les Coupes du monde roulent, c’est que le protocole sanitaire mis en place fonctionne?

Oui, c’est positif. Mais il faut aussi dire que c’était assez facile à contrôler jusqu’à maintenant. Prenons l’exemple de Sölden. La station était quasiment déserte et entièrement réservée à la Coupe du monde. Il y a eu des cas positifs sur d’autres sites, mais pour l’instant, c’est sous contrôle. Le souci, c’est que la situation change d’un jour à l’autre et que cela peut devenir rapidement compliqué.

Les annulations les plus graves, ce sont finalement celles des épreuves pré-olympiques en Chine.

C’est juste, mais on peut vivre avec. En ski alpin, on avait déjà dû faire face à ce type de situation (ndlr: pas de Coupe du monde avant les Jeux olympiques) à Salt Lake City pour 2002. Ce qui est toutefois différent, c’est que les Américains avaient l’expérience de l’organisation de courses de ski. Ce n’est pas le cas en Chine et on ne peut rien contrôler, si ce n’est avec nos relais sur place. Cependant, pour une descente, on peut encore effectuer des corrections jusqu’au dernier moment. La piste peut être légèrement modifiée.

C’est plus embêtant pour le tremplin de saut à ski. Il sera utilisé pour la première fois le jour des Jeux olympiques et rien ne pourra être ajusté. Bien sûr, on aurait aimé le tester, mais on doit faire avec. Le skicross? Je ne me fais pas trop de souci, la Chine a l’expérience des épreuves de freestyle. Quant au ski de fond ou au biathlon, ça va jouer, il n’y a pas de difficulté particulière. Mais il y a également le problème des bénévoles, qui ne sauront pas comment gérer des courses de ce niveau.

En ce qui concerne les annulations, la plus embêtante cet hiver reste celle des Championnats du monde de ski freestyle et de snowboard, mais on va trouver une solution.

Justement, quelle sera-t-elle?

On va trouver des sites de remplacement. Actuellement, on envisage une partie des épreuves en Europe et une autre au Canada. La compétition devrait être éclatée et pourrait se dérouler dans la foulée de certaines Coupes du monde.

Calgary a notamment été évoquée pour accueillir une partie des épreuves (ndlr: mais l’aval des autorités se fait attendre), c’est juste?

C’est en effet avec eux que nous discutons et que nous espérons pouvoir conclure un accord prochainement pour annoncer cela dans l’idéal d’ici la fin de l’année. A eux désormais de trouver le financement et les capacités d’hébergement. Il faut savoir si des hôtels seront ouverts ou pas. Sans coronavirus, tout serait évidemment beaucoup plus simple et nous pourrions facilement trouver un site mais là, la tâche est plus ardue. Je suis toutefois optimiste.

La Suisse pourrait être l’autre pôle pour ces Championnats du monde (ndlr: les Grisons se sont positionnés)?

Oui, c’est une possibilité.

Les dates seront-elles les mêmes qu’initialement prévu?

Il n’y a aucune certitude. On va essayer de conserver les dates initiales (du 18 au 28 février), mais c’est un sujet qui reste ouvert.

Le Tribunal arbitral du sport a récemment confirmé une partie des sanctions à l’encontre de la Russie dans le cadre du scandale de dopage organisé. Cela vous touche-t-il, notamment pour les Championnats du monde de ski freestyle et de snowboard 2025?

Oui, ils devaient être organisés à Krasnoïarsk, mais nous allons revoir nos plans lors de notre prochain congrès. On peut vivre avec cette décision, qui ne change finalement pas tant de choses pour nous. Les athlètes russes sont toujours autorisés à participer, même si cela ne sera peut-être pas sous les couleurs de leur pays.

Pour 2025 justement, l’Engadine s’est positionnée pour reprendre la compétition. Avoir des Championnats du monde dans votre région, cela vous plairait-il?

Je ne suis pas sûr que Saint-Moritz soit le meilleur endroit pour cela. Il n’y a pas forcément cette mentalité, cet esprit freestyle. A mon avis, Laax aurait été mieux. Mais je pense que les personnes qui sont derrière le projet ont bien prévu leur coup.

Que va vous coûter la crise actuelle?

Très cher! Il est trop tôt pour avancer un chiffre exact et cela dépendra notamment de l’organisation des Championnats du monde de Cortina d’Ampezzo (ski alpin) et d’Oberstdorf (ski nordique). Si Cortina ne peut pas organiser ses compétitions, nous devrons leur verser plusieurs millions de francs selon un accord signé il y a quelque temps. C’est sûr que les effets du Covid-19 se compteront en millions. De notre côté, on a de quoi survivre au moins jusqu’au printemps. Nous avons de solides réserves. Certains pensaient qu’elles étaient trop grandes, mais ils constatent qu’on avait finalement raison… C’est aussi très difficile pour les organisateurs et les stations, même si en Suisse, on n’a pas trop à se plaindre par rapport au reste de l’Europe.

Les Championnats du monde de Cortina d’Ampezzo auront-ils lieu, justement?

On est très optimistes. On a vu que les courses pouvaient se dérouler sans trop de difficultés depuis le début de la saison. Mais nous restons sur nos gardes. Avec les politiciens, tout peut changer très vite. Toujours est-il que toutes les autorisations ont été délivrées.

Disputer des courses sans public, c’est un gros manque à gagner?

Bien sûr qu’à beaucoup d’endroits, tels que Kitzbühel, Schladming ou Wengen, la différence est énorme. Mais ce n’est pas le cas partout. A Bormio par exemple, il n’y a quasiment aucun changement.

La Suisse est actuellement en pleine bourre avec des athlètes qui brillent dans de nombreuses disciplines, à commencer par le ski alpin mais aussi le ski de fond ou le freestyle. Une satisfaction pour vous?

Ce qui me dérange, c’est que la Suisse se dit nation numéro 1 du ski. C’est le cas en ce moment en ski alpin, mais pas dans les autres disciplines. Je n’ai pas fait les calculs mais si on les prend toutes, il y a fort à parier que la Norvège serait devant. Cependant, il est vrai qu’un super travail a été effectué et c’est agréable pour la Suisse de voir ces résultats, notamment en ski alpin. Ça fait du bien de voir que les Autrichiens ne gagnent pas toujours. Et si vous prenez les dernières courses, on retrouve fréquemment des athlètes de 7 ou 8 nations parmi les 10 premiers. C’est très positif.

La Norvège a décidé de ne pas envoyer ses fondeurs en Europe continentale en décembre et pour le Tour de Ski. Regrettez-vous ce choix?

Bien sûr, ça nous a fait mal. Heureusement, la Suède et la Finlande, qui avaient suivi dans un premier temps, ont décidé de revenir pour le Tour de Ski. J’espère que cette situation va se calmer mais je n’ai plus le courage de spéculer.

Il y a un peu plus d’un an, vous aviez annoncé votre intention de quitter votre poste de président de la FIS. La pandémie est venue tout chambouler. Qu’en est-il?

C’est juste, je voulais me retirer en 2020. J’avais été reconduit pour deux ans en 2019, mais j’estimais qu’il était temps de changer, un an avant la fin de mon mandat. Après 46 ans (23 ans en tant que secrétaire général et 23 autres en tant que président), ça suffit. Ce départ, j’y pense depuis quelques années. Ça n’a pas marché cette fois, mais il est temps. Le changement aura lieu lors du prochain congrès de la FIS, fin mai-début juin (à Portoroz/SLO). Même s’il ne peut pas avoir lieu sur place, tout se déroulera de façon virtuelle, en visioconférence.

A l’image d’Urs Lehmann, plusieurs candidats se sont déjà déclarés. Que pensez-vous d’eux?

Il y en a trois qui ambitionnent de reprendre ce poste à ma connaissance, mais les nouveaux peuvent encore se présenter jusqu’à 30 jours avant l’élection. Il faudra voir qui ils sont, avant que je me prononce.

Cette année a aussi été celle du départ surprise de Sarah Lewis, secrétaire générale de la FIS.

Oui, avec le conseil, je l’ai mise dehors. Il aurait fallu le faire il y a 4 ou 5 ans, on a trop attendu. Il y avait les problèmes externes (elle utilisait sa fonction pour défendre son éventuelle candidature à la présidence de la FIS), mais surtout des soucis internes. Tous les autres employés n’en pouvaient plus. Désormais, son remplaçant est en poste (L’Helvético-Autrichien Philippe Gueisbuhler) et les employés ont retrouvé du plaisir dans leur travail.

Si vous ne deviez retenir qu’une chose de cette année?

Pour moi, la bonne nouvelle, c’est qu’il y a beaucoup de neige. C’est dommage que nous ne puissions pas beaucoup l’utiliser, mais c’est vraiment positif. Et j’ai été surpris de la volonté des Suisses de pouvoir skier quoiqu’il arrive. On est contents de voir cette réaction. Des fois, la population et les médias étaient même plus motivés que nous!

Laurent Morel