C’est ce que l’on appelle l’effet papillon. En novembre dernier, deux descentes messieurs ont été annulées à Zermatt/Cervinia. Dans l’enchaînement, ce sont celles devant se disputer à Beaver Creek qui ont connu le même sort, sans oublier le super-G. Cinq courses de vitesse passées à la trappe. Athlètes, entraîneurs, fédérations nationales et FIS, tous ont poussé pour que la plupart de ces compétitions soient reprises dans le calendrier. Dans un planning très chargé, deux créneaux ont été trouvés, à Val Gardena et à Wengen, avant une éventuelle date supplémentaire évoquée à Kvitfjell.

Avec les résultats que l’on connaît: la fatigue accumulée et l’enchaînement des courses – entraînements et compétitions – ont conduit aux nombreuses sorties de piste ce week-end sur le Lauberhorn et aux blessures de plusieurs athlètes de pointe comme Alexis Pinturault et Aleksander Aamodt Kilde. Markus Waldner, le patron des courses de Coupe du monde hommes, a alors assuré samedi que toute course désormais annulée, ne serait plus replacée dans l’agenda.

Dès lors, revient cette question: est-ce bien nécessaire d’organiser des courses sur un glacier au milieu de l’automne, dans des conditions météorologiques instables, pour que celles-ci soient annulées et ensuite reportées dans un calendrier déjà bien trop plein? Et que dire de la difficulté pour les différentes équipes de vitesse d’être prêtes à temps pour lancer si rapidement la saison. “Nous sommes arrivés à Zermatt avec deux entraînements dans les jambes. Ce n’est pas possible”, glisse le doyen du circuit Adrien Théaux, qui en avait vu pourtant d’autres dans sa carrière riche de 17 saisons. “Déjà, nous ne sommes pas prêts, ensuite c’est dangereux et enfin c’est en très haute altitude.” Le Français est suivi dans son raisonnement par Aleksander Aamodt Kilde. “Les courses de vitesse devraient commencer en décembre”, certifiait le Norvégien il y a quelques semaines, bien avant de voir sa saison se terminer sur le Lauberhorn.

Depuis deux ans, aucune des huit courses prévues à Zermatt/Cervinia début novembre n’a pu avoir lieu. (Alexis Boichard/Zoom)

Un début de saison à décaler et des dates à optimiser

Pour éviter les problèmes de cet hiver, la première solution serait déjà de décaler le début de la saison. “Cela nous éviterait d’avoir un calendrier de janvier hyper serré, car nous, les descendeurs, enchaînons les courses. Et cela n’est pas très bon non plus”, raisonnait Adrien Théaux, début décembre déjà, à Beaver Creek. “Pourquoi ne pas commencer en Amérique du Nord, y rester une semaine de plus et faire davantage de courses. Cela permettrait d’optimiser également nos voyages”, analyse Justin Murisier qui rappelle toutefois que “pour les firmes de ski, c’est très important d’avoir des courses comme Sölden et Zermatt”. Et les stations ne se pressent pas au portillon outre-Atlantique pour accueillir une Coupe du monde qui n’a pas le même retentissement aux US qu’en Europe.

Au centre des préoccupations, il y a également ces nombreux déplacements, à l’image de cet aller-retour aux États-Unis, à Palisades Tahoe et à Aspen, prévu pour les techniciens fin février. “Pourquoi ne pourrait-on pas imaginer mettre en commun des étapes de la Coupe du monde masculine et féminine”, questionne toujours le Valaisan. “On fait des super-G messieurs à Garmisch-Partenkirchen, les skieuses sont à Cortina d’Ampezzo. Dans les deux cas, la piste est prête, l’infrastructure est montée, et tout le monde pourrait en profiter en échangeant les week-ends. Ce serait plus compliqué de le faire à Kitzbühel ou à Wengen, mais il y a des lieux à optimiser et cela permettrait d’avoir un impact moins grand d’un point de vue écologique.” Les skieuses iront dans la cité bavaroise une semaine après les messieurs, qui eux n’iront pas dans les Dolomites.

La Scandinavie, lieu idéal pour des courses au printemps

“Il faudrait faire des plus gros blocs, plus longs, plus étalés, avec plus d’événements”, propose lui aussi Adrien Théaux. À partir de ce constat, se pose la cohérence de ce calendrier que beaucoup d’athlètes souhaiteraient prolonger au printemps. “On doit montrer aux gens que la saison de ski ne s’arrête pas mi-mars. Je viens de Val Thorens et les meilleures conditions sont en avril, voire début mai”, poursuit le Français qui compare la ski avec la formule 1, la motoGP et le cyclisme. “Ils terminent très tard en automne. L’excuse, pour nous, est de dire que le ski ne ferait plus vendre au début du printemps et qu’il y a trop de concurrence avec les sports d’été. Mais les gens qui ont suivi les compétitions jusqu’au 20 mars ne vont pas s’arrêter pour autant. S’il y a du suspense, ils regarderont ces courses, même à la mer. Et cela leur donnera même encore envie d’aller skier.”

Aleksander Aamodt Kilde et Justin Murisier cherchent des solutions pour optimiser le calendrier. (Christophe Pallot/Zoom)

L’une des propositions majeures serait de profiter des conditions de ski que l’on peut trouver en haute altitude ou au Nord de l’Europe. S’il est déjà exclu que Zermatt/Cervinia se rabatte sur des dates printanières, – “car les hôtels sont déjà pleins et ça n’intéresserait pas les sponsors” -, la possibilité de se rendre en Scandinavie peut être une piste majeure. “Nous avons plus qu’assez de neige jusqu’en mai et à cette période la météo est parfaite en Norvège”, assure Aleksander Aamodt Kilde qui prolonge le débat. “Plutôt que de mettre la pression sur des glaciers, de construire des pistes pour avoir une course, utilisons la neige où elle se trouve, ce qui ferait plus de sens.”

La FIS n’est pas encore prête à revoir ses plans

Mais peut-on croire un changement de paradigme prochainement pour voir se disputer une descente à Hafjell ou à Narvik au moins d’avril? Rien n’est moins sûr du point de vue des dirigeants de la FIS, qui prévoient toutefois d’organiser des finales de Coupe du monde prochainement en Norvège. “Il n’est pas question de prolonger la saison en avril”, a d’ailleurs répondu le secrétaire général de la FIS Michel Vion, auprès de notre confrère d’Eurosport France FX Rallet le week-end dernier. Pour sa défense, il faut dire qu’il peut être aussi parfois difficile de préparer une piste de haut niveau avec des températures trop positives et que les stations ne sont pas souvent prêtes à mettre la main au porte-monnaie à cette période. Il devient dès lors compliqué de mettre en oeuvre un tel programme, malgré toutes les bonnes volontés du monde.

Et au sein de la fédération internationale de ski, la guerre des mots et des actes fait rage après la prise de parole du patron de Swiss-Ski Urs Lehmann, qui lâchait ce week-end que “les calendriers ne se faisaient pas selon les procédures” habituelles. “Je suis pour que le calendrier soit prolongé, mais il faut penser à qui le fait. C’est une seule personne à la maison”, avait lancé l’Argovien en faisant probablement allusion à Johan Eliasch, le président de la FIS. Cette dernière a répondu par communiqué interposé qu’elle condamnait les propos de l’Argovien. “Tous les calendriers sont décidés par le Conseil de la FIS. Le calendrier actuel de la saison 2023-2024 a été approuvé à l’unanimité par le Conseil de la FIS, y compris par Urs Lehmann.” Approuvé, certes, mais pas forcément proposé par ce fameux Conseil…

À ce rythme-là, le papillon n’a pas fini de voler.

Johan Tachet