« Nous comprenons la décision du jury de course, même si elle est difficile. » Franz Julen est un homme déçu. Pour la troisième fois en trois tentatives cette année, le président du comité d’organisation des courses de Coupe du monde de Zermatt/Cervinia a vu l’une de ses courses annulées. Dernier renvoi en date, la descente dames samedi matin. « On doit respecter la nature mais c’est très dur car cela fait plusieurs années que nous travaillons sur ce projet. »
Dans la nuit de vendredi à samedi, les organisateurs se trouvaient dès 2 heures du matin sur la Gran Becca afin de tenter de sauver la course. Mais encore une fois, Éole a eu raison des compétitions au pied du Cervin. Mère Nature s’acharne et il réside un sentiment de malédiction qui est perceptible cette année, puisque le fort vent souffle davantage qu’à l’accoutumée sur le sommet des crêtes valaisannes et valdôtaines.
Un vent de malédiction
Pour illustrer ces propos, nous avons contacté MétéoSuisse qui nous a fourni plusieurs relevés de leur station météorologique située au Gornergrat (3129 mètres), sur les hauteurs de Zermatt, de ces dernières années. Depuis l’an 2000, la moyenne de jours où les rafales de vent ont dépassé les 45 km/h au mois de novembre s’élève à 14,5. En cette année 2023, 15 des 17 premiers jours du mois ont dépassé ce seuil.
Statistique encore plus équivoque: on dénombre 9 jours avec des rafales supérieures à 75 km/h ce mois de novembre, alors que les trois dernières années (2020, 2021 et 2022), seuls 2 jours au total ont répertorié de telles pointes. En moyenne, depuis 2000, MétéoSuisse recensait annuellement 5 jours avec des rafales supérieures à 75 km/h à cette période de l’année. Et il convient également de préciser que le départ de la descente dames se situant bien plus haut que la station météorologique, puisque le cabanon culmine à 3505 mètres, les rafales de vent sont, de fait, encore plus prononcées à une telle altitude.
Ces mauvaises conditions ont également une incidence sur les jours ouvrables des pistes d’entraînement pour les équipes. « Il était prévu 22 jours ouvrables pour les entraînements et les courses. Au final, nous en avons délivrés uniquement sept », regrette Franz Julen. « Nous n’avions plus connu telle situation depuis 2018. » En moyenne, les pistes au pied du Petit Cervin ne sont fermées que six à sept fois durant le mois de novembre. « Normalement, il y a toujours une alternance entre le beau et le mauvais temps. L’an dernier, nous avons seulement dû fermer quatre jours. En 2020, les équipes ont même pu s’entraîner durant un mois complet, si on excepte un seul jour. »
Déplacer les courses: « Cela n’intéresserait pas les sponsors »
Et il est fort à parier que le schéma se répètera dimanche puisque les prévisions annoncées sont encore pires. Une année après avoir dû annuler les courses pour manque de neige, c’est le vent qui aura déjoué les plans des organisateurs cette fois-ci. Même si les attentes n’ont pu être honorées, Zermatt, Cervinia, Swiss-Ski, la fédération italienne de ski (FISI) et la FIS s’étaient donné cinq ans, sans toutefois signer de contrat, pour tenter de lancer l’événement, et ils ne perdent pas espoir. « Il n’est pas question d’abandonner. On croit à ce projet, nous avons encore trois ans pour y parvenir », martèle Franz Julen qui assure que la situation sera étudiée à tête reposée. « Nous avons également beaucoup appris cette année. »
Si les courses ont déjà été repoussées de deux semaines cette saison, il est hors de question de déplacer ces compétitions plus tard dans l’hiver pour deux raisons. La première est d’ordre économique. « Nous sommes convaincus qu’il y aurait moins d’intérêt des sponsors. Il n’est pas possible d’organiser les descentes entre mars et avril, puisqu’à cette période les sports d’été ont déjà davantage d’importance. » Le second motif est logistique. « Il y a plus de travail car il faudrait d’abord enlever 4 à 5 mètres de neige tombés durant l’hiver, sans compter qu’il n’y a pas uniquement la Gran Becca à préparer mais l’ensemble du domaine skiable. Et ensuite, les hôtels sont pleins en fin de saison. »
Une fenêtre météo comme en freeride?
Toujours est-il que lorsqu’un tel événement coûte autour des 8 millions de francs suisses, il est normal de se poser la question de leur légitimité et de leur avenir quand les pertes, des entraînements d’été et des courses, s’élèvent à 1,7 millions. Le tout même si, certaines retombées indirectes sont difficile à quantifier.
Et si les organisateurs et la FIS s’inspiraient du calendrier du Freeride World Tour? Il suffirait alors d’offrir une fenêtre météorologique ouverte de deux semaines, ne pas vouloir s’entêter à lancer les compétitions uniquement le week-end, mais laisser la possibilité que ces courses, beaucoup trop dépendantes de la météo à cette altitude, puissent se dérouler dès que le soleil pointe le bout de son nez.
Reste à savoir désormais si le vent va enfin tourner.
Johan Tachet, Breuil-Cervinia