Olivier Siegrist était l’invité de l’Après-Ski, le talk-show 100% du Nouvelliste et de SkiActu, en compagnie de Mauro Pini. Le chirurgien orthopédiste a opéré début février dernier Petra Vlhova, la protégée du coach tessinois. Le Docteur, qui officie à Martigny, revient la problématique des nombreuses blessures sur le Cirque blanc cette saison.

Olivier Siegrist, combien de temps faut-il à une athlète comme Petra Vlhova que vous avez opérée début février pour retrouver son meilleur niveau?

Après six premiers mois sans skis, on procède à une évaluation de sa coordination, de sa force et de son mental, laquelle débouche sur un score international qui nous donne de bonnes indications quant à sa capacité de remettre les skis. Dès le septième mois, l’athlète fait du ski libre pour retrouver ses sensations et des appuis. En fonction de son aisance, il ou elle peut alors tourner dans les portes entre le huitième et le neuvième mois.

Les athlètes veulent revenir de plus en plus vite à la compétition. Cela peut-il avoir une incidence sur les risques de récidive?

Effectivement. La réparation à laquelle on a recours consiste à faire une greffe avec un bout de tendon qu’on met à la place du ligament. Ce tendon va se transformer en une sorte de ligament qui amène à une solidité relative à partir du neuvième mois. On sait donc qu’on ne doit pas laisser skier les athlètes trop tôt. Mais quand on a affaire à un ou une athlète de haut niveau, que ce soit Petra que je ne connaissais pas si bien, ou Lara (Gut-Behrami) que je connaissais un peu mieux, on remarque que ce sont de vraies professionnelles. Quand je leur dis qu’on doit procéder de cette manière, elles me répondent que c’est moi le professionnel et que leur métier, à elles, c’est de skier. Il n’en va pas toujours ainsi avec les plus jeunes qui n’ont encore rien vu et qui sont pressés de remettre les skis, tout comme leurs parents d’ailleurs.

Petra Vlhova fait partie des 32 athlètes qui se sont blessés cet hiver sur la Coupe du monde. Comment expliquez-vous ce chiffre démesuré?

Quand j’ai commencé mon activité de médecin dans l’équipe de Suisse après les Mondiaux de Crans-Montana de 1987, les skis étaient tout droit. Il y avait alors de temps en temps une jambe cassée ou un genou abîmé. Dès les années 90-95, on a découvert le ski carvé qui est évidemment plus plaisant à guider mais qui, si on en perd le contrôle, guide le genou en rotation interne ou externe. Ces mouvements du tibia par rapport au fémur mettent en tension les structures ligamentaires du genou et en particulier le ligament croisé antérieur qui ne résiste pas à plus de 200 kilos. Or, quand on sait que les skieurs vont à une vitesse moyenne de 60-80 km/h, ont un bras de levier d’un mètre 20 en avant de la chaussure, on comprend mieux que, déséquilibré, le bras de levier arrive vite à 200 kilos et, donc, à une rupture ligamentaire.

Cet hiver, les athlètes ont parfois disputé trois épreuves de vitesse en trois jours. La FIS n’a pas vraiment brillé avec un tel programme, non?

Je lisais à ce propos Alexis Pinturault qui rappelait justement dans une interview que ce n’est pas très malin, que la FIS allait y prêter attention la saison prochaine mais qu’elle n’y pensera plus dans deux ans. Alors qu’on a eu de gros pépins à Wengen (ndlr: fins de saison pour Pinturault, Kohler et Kilde), qu’a-t-on fait en Coupe d’Europe quelques semaines plus tard? On a organisé deux courses… le même matin! C’est malheureux, d’autant plus que l’une de nos meilleures jeunes, Malorie Blanc, s’est blessée ce jour-là.

En parlant de Malorie Blanc: plus de la moitié des athlètes blessés cet hiver sont des femmes. Sont-elles davantage exposées au risque, par leur morphologie ou le cycle menstruel, par exemple?

Des études dans la presse médicale montrent que du point de vue hormonal, il y a effectivement une zone à risques durant la phase pré et postovulatoire où l’on remarque une fragilisation des structures ligamentaires. Il faut aussi prêter attention à l’architecture squelettique de la femme: un bassin large et une tendance à avoir un peu plus les jambes en X entraînent un moment de force dans le genou qui lui est défavorable. On sait aussi qu’à l’intérieur du genou, il y a comme un pont qui forme une arche et à l’intérieur de celle-ci se trouve le fameux ligament croisé antérieur. Chez la femme, cet espace est restreint. Sur un mouvement interne ou externe, le ligament peut venir buter sur la paroi et entraîner plus facilement une rupture que chez l’homme où il y a davantage d’espace.

Petra Vlhova en venue se faire opérer en Valais après sa blessure à Jasnà. (Paul Brechu/Zoom)

Parmi tous les genoux que vous avez opérés, il y a eu ceux de nombreuses stars, de Lara Gut-Behrami à Didier Cuche en passant par Didier Défago et, plus récemment Petra Vlhova. Comment toutes ces personnes se sont-elles tournées vers vous?

Grâce à un travail de longue haleine où le contact humain prime. Il y a fort longtemps, un certain Patrice Morisod m’a appelé pour me dire qu’un de ses jeunes qui performait s’était fait mal au genou. Ce jeune, c’était Didier Cuche. Sa blessure, bénigne, n’avait pas posé trop de problèmes. Quelques années plus tard, Didier Cuche s’est cassé la jambe. Comme il ne connaissait qu’un chirurgien, il m’avait appelé. Plus tard encore, quand il était très connu et qu’il s’est déchiré son ligament croisé antérieur, il m’a rappelé. Après une intense discussion de près de deux heures, il a accepté que je l’opère à nouveau. Tout ça pour vous dire que les vedettes ne viennent pas comme ça. Lara (Gut-Behrami), je l’avais aussi connue quand elle s’était luxé la hanche toute jeune. Opérée par quelqu’un d’autre à Berne, elle était perdue durant sa rééducation. Je l’ai connue en prenant le relais.

En évoquant les athlètes que vous avez opérés, on ne peut pas ne pas évoquer Justin Murisier. On se dit parfois qu’après ses multiples opérations, c’est fou de le voir non seulement en Coupe du monde mais surtout de performer…

En prenant en charge de tels athlètes, on prend des risques parce que des re-ruptures, on va inévitablement en avoir. Si son genou survit et qu’il performe, c’est parce que Justin travaille et se prépare, physiquement, avec une volonté et une assiduité exemplaires.

Il n’y a pas eu que des blessures au genou cet hiver. La coupure de Kilde à Wengen aurait par exemple pu être évitée, non?

Il existe des combinaisons qui protègent contre ces coupures. Elles sont certes moins confortables et laissent pénétrer davantage d’air mais quand on voit la lésion musculaire catastrophique et, peut-être neurologique, de Kilde, on se dit que c’est dommage qu’il n’en portait pas une. C’est assez simple pour la FIS de l’imposer. Sur nos autoroutes, on est limités à 120 km/h et les skieuses, à Cortina, filent à 130 km/h avec des combinaisons toutes fines. Je me dis qu’on est un peu schizophrènes quand même.

Gregory Cassaz, Le Nouvelliste