Voilà désormais plusieurs semaines que les descentes de Zermatt et de Cervinia suscitent des réactions, qu’elles soient positives ou négatives. Leurs annulations, les deux derniers week-ends, ont donné du grain à moudre à leurs détracteurs et grandement déçus leurs partisans, convaincus de la légitimité du projet valaisanno-valdôtain. Les organisateurs n’entendent pas baisser les bras. D’ailleurs, un accord sur trois ans lie encore les comités d’organisation, Swiss-Ski, la FISI (la fédération italienne de ski) et la FIS.

Mais concrètement, ces compétitions au pied du Cervin ont-elle réellement un réel avenir? À travers leur commentaire et un poil de mauvaise foi, nos deux journalistes lancent le débat.


Laurent Morel – OUI

Rira bien qui rira le dernier

En quelques semaines, Franz Julen est passé de visionnaire à paria. Souvent acclamé pour son enthousiasme ces dernières années, le grand patron des courses de Zermatt/Cervinia est devenu le grand méchant loup, et de nombreuses voix se sont élevées contre lui. Alors oui, le Valaisan, ancien directeur d’Intersport, n’a probablement pas fait tout juste. Certes, il s’est parfois montré trop arrogant et n’a pas su assumer de la bonne manière certaines erreurs. Sortir des limites du domaine skiable pour aller creuser le glacier en était une grosse, c’est certain. Mais les tempêtes médiatiques et météorologiques qui se sont abattues sur le Cervin étaient malheureuses. Et le mot “karma”, qui a souvent été entendu, n’est pas justifié.

Sans vouloir excuser une quelconque faute légale, l’idée d’organiser des descentes au pied de la montagne la plus célèbre d’Europe n’est pas invraisemblable en soi. On demande de rendre le ski plus “vert” (ou “blanc”, on se perd). Ces courses ne sont pas anachroniques. Au mois de novembre, nombreux sont les touristes à skier sur quelques glaciers en Europe ou sur quelques sites en Amérique du Nord. Étant donné que les candidats à l’accueil des skieurs professionnels ne sont guère nombreux outre-Atlantique (comme en témoigne le retrait de Lake Louise malgré les demandes insistantes de la FIS), de nombreux champions seraient de toute façon présents à Zermatt ou à Saas-Fee pour préparer leur hiver. Car oui, il y a encore de la neige en montagne n’en déplaise à certains. Dès lors, pourquoi ne pas chercher à y organiser des courses? Cette saison, la grande majorité des épreuves de vitesse se concentre entre mi-décembre et mi-février. Plutôt bref pour une saison d’un sport majeur en Suisse.

Il faut peut-être revoir la manière de présenter ces courses dans le creux de novembre mais en tout cas pas les oublier. L’une des solutions peut être de leur laisser une “fenêtre météo” d’une semaine par exemple, afin de choisir la meilleure option et d’offrir le plus beau spectacle. Mais cela nécessite un effort des diffuseurs… Des diffuseurs qui vont de toute façon devoir revoir leur copie lorsque la FIS récupérera et centralisera l’ensemble des droits du ski en 2026.

Changer la période n’apporterait rien d’autre que des soucis. Demander aux athlètes d’effectuer des allers-retours à une autre période de l’année, alors qu’ils sont habituellement dans la région à l’automne, est tout sauf dans le “trend environnemental”. Et devoir préparer une piste sous 5 ou 10 mètres de neige fraîche sur un glacier au printemps relèverait alors du défi complètement impossible, surtout que les stations tournent à ce moment-là à plein régime.

Alors il faut croiser les doigts pour que Mère Nature donne un coupe de pouce au Cirque blanc. En 2022, le projet n’était pas encore abouti, les organisateurs n’étaient pas prêts. La FIS de Johan Eliasch avait mis la pression pour voir cette première avant même un test en Coupe d’Europe… C’était un cadeau empoisonné. Cette année, la météo a été la pire depuis plusieurs années comme le prouvent les relevés.

En montagne, et ça certains citadins ne le comprennent pas, il faut souvent savoir se montrer patient. À coup sûr, cette patience débouchera sur de splendides descentes avec le “Toblerone” en toile de fond et la carte postale n’en sera que plus belle l’année prochaine. Ceux qui se sont acharnés contre ces courses seront les mêmes à les encenser. Le karma, vous disiez?


Johan Tachet – NON

Au pied du Cervin, on se prend pour Las Vegas

Les descentes de Zermatt/Cervinia sont au ski alpin ce qu’est le Grand Prix de Las Vegas à la Formule 1, le côté sportif en moins toutefois… Mais comme l’événement disputé au coeur du Strip de la ville du vice, les deux stations posées au pied du Cervin peuvent s’enorgueillir d’avoir réussi leur pari: un énorme coup de pub. Elles sont parfaitement parvenues à faire parler d’elles – que ce soit positivement ou négativement – tout en s’assurant de juteux retours sur investissements malgré les annulations. Les hôtels étaient pleins et les sponsors ont pu bénéficier d’une vitrine de choix devant le “Caillou”.

Sur le glacier, la Gran Becca n’a pu être officiellement testée en compétition, seulement lors de deux entraînements. Toujours est-il qu’une grande majorité des athlètes, Marco Odermatt et Lara Gut-Behrami en tête, a dénoncé le manque de sélectivité d’une descente jugée tantôt facile, tantôt trop plate. Comment leur donner tort lorsque le dénivelé de la première course transfrontalière de l’histoire est de 665 mètres. À titre de comparaison, la piste “Olympique” de Lake Louise (827 m) et même celle de l’Aliga d’El Tarter en Andorre (710 m) offrent un plus grand terrain de jeu, pour respectivement 20 à 30 secondes de course en moins. Et on n’ose évoquer les classiques de la Birds of Prey, de la Stelvio, du Lauberhorn et de la Streif. Didier Défago, l’architecte de la piste valaisanno-valdôtaine, a déjà fait des miracles pour rendre son tracé un tant soit peu attractif en l’agrémentant de plusieurs sauts spectaculaires.

Sans oublier son altitude. Au-delà des considérations écologiques – oui, on rebouche des crevasses avec des pelleteuses sur les domaines skiables des glaciers depuis la nuit de temps, comme il est illégal d’entreprendre des travaux hors zone d’affectation -, la question météorologique est un véritable problème à plus de 3000 mètres d’altitude, puisque celles-ci sont des plus aléatoires au mois de novembre. Il y a un an, il n’y avait pas d’or blanc pour assurer l’enneigement de l’ensemble du tracé. Cette année, le vent soufflait à en décorner les portes piquetées sur la Gran Becca.

La solution, comme beaucoup l’on posée, serait d’organiser ces courses en mars ou en avril. Cette proposition aurait le mérite de prendre en considération le changement de notre climat. L’hiver arrive toujours plus tard, alors que les conditions d’enneigement en haute altitude sont assurées au début du printemps. La FIS s’y oppose, car elle tient à ses dates automnales, autant qu’au business de ses partenaires commerciaux avant même que le sapin de Noël ne soit dressé et décoré. Même son de cloche à Zermatt/Cervinia. “Aucune chance”, balaient les organisateurs d’un coup de carre, argumentant que l’intérêt des sponsors serait moindre et que les hôtels sont, évidemment, déjà pleins à cette période. Fin de non-recevoir.

Faire le choix de s’entêter à vouloir des courses au pied du Cervin, c’est continuer à jouer à la roulette. Les athlètes et les fans de ski ne seront que rarement gagnants, mais la banque de Zermatt et de la FIS fera toujours recette.


Un vote serré sur les réseaux sociaux

Nous vous avons soumis la réflexion lundi après-midi. Sur plus de 350 votes, le résultat serré, penche tout de même contre l’organisation de ces courses de Coupe du monde à Zermatt/Cervinia.

SkiActu