« Le premier objectif de Tanguy (Nef) aujourd’hui était d’arriver en bas », soufflait les coaches suisses après le slalom de Levi. Le contrat a été bien plus que rempli puisque le Genevois a réalisé la meilleure prestation de sa carrière pour prendre la 5e place d’un slalom spectaculaire. Pour son 8e top 10 en Coupe du monde, il ne lui a manqué que quatre dixièmes pour déposséder son coéquipier Loïc Meillard du podium.

À 27 ans, après trois saisons difficiles, le slalomeur du bout du lac retrouve ses meilleures sensations. Celles qui lui avaient permis de se classer dans le top 20 des meilleurs slalomeurs de la planète. Tanguy Nef n’a jamais paru aussi serein et affûté que ces dernières semaines et cela s’est traduit par sa brillante prestation sur la Levi Black.

Tanguy Nef, vous réalisez votre meilleur résultat en carrière dès la première course de la saison. On ne pouvait pas espérer un meilleur départ?

On ne peut pas. Levi c’est un endroit spécial. Je ne pensais pas que cela le ferait de cette manière, c’est une belle 5e place. Cela prouve que l’on a bien travaillé. J’ai bien fait de croire en moi. La préparation a été parfaite. Je savais que je devais reproduire ce qui a été fait à l’entraînement, j’étais confiant. J’ai réussi à le faire deux fois dans la même course, ce que je n’ai pas forcément réussi à faire par le passé. Cela fait plaisir.

Y a-t-il eu un déclic cet l’été?

Pas forcément durant l’été, cela a commencé déjà la saison passée où je partais à zéro. On en rigolait à Ushuaïa, en se disant que l’on en était à 6 désormais. C’est déjà 60% de pris. Sur la fin de la dernière saison en Coupe d’Europe, je commençais à sortir de belles manches et c’est exactement dans cette intensité que je voulais travailler cet été. Je n’étais pas le gars qui était, historiquement, le plus souvent devant aux entraînements. Mais cette saison, je suis arrivé tous les matins pour me battre dès la première manche. Je me suis habitué au matériel. Les autres saisons, j’étais rapide dès la quatrième ou cinquième manche et là, systématiquement, j’y parvenais dès la première. Cela m’a donné beaucoup de confiance, notamment pour skier dans des conditions difficiles comme celles d’aujourd’hui.

Le réussir à l’entraînement c’est une chose, mais en course c’en est une autre. Avez-vous également passé un cap mental?

Après, je ne suis pas arrivé en Coupe du monde pour rien. Je n’ai jamais douté de cela. Il y a eu des années difficiles, mais la base a toujours été là. Le mental, je sais que je l’ai. On en a bien discuté durant l’intersaison, j’avais peu d’attentes pour les premières courses, mais le but était de skier relâcher et m’éclater sur la piste tout simplement.

Trois ans que l’on vous attendait à ce niveau, à nouveau dans le top 10. Comment gère-t-on ces moments de frustration, lorsque l’on ne trouve pas les solutions?

Il y a le doute qui s’installe, mais il y a également beaucoup d’apprentissage. Je ne suis pas quelqu’un qui est arrivé tout de suite comme Loïc (Meillard), alors que l’on est de la même année, on a couru longtemps ensemble. Il m’a fallu un peu plus de temps, pour apprendre de mes erreurs. Je les apprends tout seul le plus souvent car j’écoute beaucoup mon instinct. Et le doute fait donc partie de ce processus. Il y avait aussi le matériel. Je me sens maintenant libéré sur mes skis. La preuve en est aujourd’hui.

Désormais que peut-on attendre de vous cet hiver après cette première prestation plus qu’aboutie?

Je vais essayer de garder cette ligne, d’être intelligent sur chaque course. Ici Levi, c’est une piste que j’aime bien, dans des conditions difficiles. On a vu des cadors partir à la faute. Il y a des compétiteurs à ne pas enterrer tout de suite, car ils sont féroces et vont revenir. Toutes les courses ne seront pas pareilles, mais c’est une très bonne base sur laquelle s’appuyer.

Avec ce résultat, vous avez déjà rempli les critères de sélection (ndlr: un top 7 ou deux top 15 dans une discipline) pour les championnats du monde de Saalbach en février.

C’est vrai que ce n’est pas la chose à laquelle on réfléchit en premier. Cela m’avait déjà fait le coup il y a quelques années. Tant mieux, mais je pense que le podium sera nécessaire dans notre équipe pour se qualifier pour le slalom des Championnats du monde. Si on n’est pas capable de monter sur un podium, il sera difficile de faire une médaille, car c’est l’objectif premier.

Les entraîneurs estiment que vous, les six athlètes du groupe slalom, êtes en capacité de monter sur le podium. C’est également votre sentiment, que vous n’êtes plus très loin de la boîte?

Au niveau matériel, il n’y a plus d’excuse. Au niveau physique, ça a l’air d’aller. Après, ce sera le mental qui va faire la différence. Il faut arriver sur chaque course avec une bonne vision, en ayant fait ses devoirs, tiré un plan et surtout l’exécuter. Aujourd’hui, je suis plus en contrôle d’où je me situe et de l’approche de la course. Typiquement, je ne ressentais que peu de pression au départ. C’est un luxe pour moi. Ici, c’est Loïc (Meillard) qui prend toute la pression. Mais cela peut être amené à évoluer.

On vous aussi souvent comparé à un chien fou. Ce chien fou est-il toujours présent?

Je ne suis plus le jeune qui débarquait il y a six ans ici à Levi et qui se disait que ce n’était qu’un «shot» et go. Mais est-ce que ce chien fou est toujours caché quelque part? Je pense que oui. Pourra-t-il sortir sur des évènements? Éventuellement. Pour le moment, ce n’est pas lui que l’on recherche et on le garde au chaud. Le but est de construire une stabilité: entrer dans les 20, dans les 15, et après tout peut arriver.

Vous avez souvent aussi eu des échanges avec les coaches sur votre façon de fonctionner. Avez-vous évoluer pour faire un pas dans leur direction ou cela a été le contraire?

Je pense qu’il y a eu une évolution conjointe, nous avons eu de superbes discussions. D’ailleurs, je remercie Matteo Joris (ndlr: l’entraîneur en chef de l’équipe de slalom suisse). Il a un caractère fort, tout comme moi. Quand cela n’allait pas, c’était pour les deux côtés. Il y avait de la frustration. Mais maintenant, la préparation s’est très bien déroulée, les discussions étaient constructives. Je voyais aussi comment l’équipe fonctionnait sans moi l’an dernier et je me réjouissais de réintégrer ce groupe. J’ai passé l’un des meilleurs étés de préparation de ma carrière. Et ce n’est pas un hasard si je suis là aujourd’hui, c’est grâce à cette équipe que j’ai pu réaliser également ce résultat.

Johan Tachet/LMO, Levi