Il est passé 5 heures du matin à Annapolis, petite bourgade côtière de l’état du Maryland sur la côte Est des Etats-Unis, en ce lundi 28 juin. Main dans la main sur leur vélo respectif, le Valaisan Philippe May et l’Italien Giovanni Prosperi franchissent la ligne d’arrivée de la RAAM (Race Across America), la plus longue course d’ultracycling au monde qui traverse les USA de part en part sur 4800 km, après 8 jours, 14 heures et 4 minutes d’effort, mais surtout de souffrance. Les deux hommes ont réussi l’exploit de s’imposer dans leur catégorie en duo. “C’était une belle surprise, car cela a été plus compliqué de ce que je m’attendais”, sourit Philippe May, qui, cinq jours plus tard, avait déjà retrouvé son bureau de l’école suisse de ski de Verbier qu’il dirige.

Philippe May et Giovanni Prosperi avant le départ à Oceanside en Californie. (DR)

Rompu à l’exercice, le spécialiste de ski de vitesse, qui avait déjà terminé la RAAM en équipe de 4 en 2015 et la RAW, la petite soeur de la RAAM sur 1400 d’effort, en solo il y a deux ans, a une nouvelle fois su repousser ses limites qui semblent tendre vers l’infini. “Jamais je n’aurai pensé remporter un trophée sur cette course, car l’objectif est toujours de la terminer”, relève le quinquagénaire bagnard qui est aussi têtu que joueur lorsqu’il s’agit de se fixer de nouveaux défis.

Plus de 50° dans le désert et le corps lâche

Pourtant rien n’a été épargné aux deux compères tout au long de leur parcours qui sillonne douze états américains. En premier lieu la canicule qui a frappé le continent nord-américain les deux dernières semaines. “Il a fait jusqu’à 50,4 degrés dans le désert en Arizona”, poursuit Philippe May qui s’est battu contre une chaleur étouffante qui ne les a pas quittés, lui et son coéquipier, même à 3000 mètres dans les montagnes du Colorado. “Je me réjouissais de retrouver l’altitude du Mont Fort pour avoir de la fraîcheur et un peu de répit, mais il faisait plus de 30 degrés. C’était vraiment hostile. Pour le moral, c’était dur.” Et pour le corps aussi. Plusieurs fois durant cette journée, le Valaisan vomit. “Dès que je mangeais, tout ressortait. Mais je me forçais à manger car sinon je n’aurais plus pu avancer.”

Philippe May a traversé des territoires aussi beaux qu’hostiles. (DR)

Bon Jovi, des relais de deux heures et des micro-siestes pour tenir le coup

Ses expériences passées sur la terrible épreuve américaine, tout comme celle de son crew de Twisted Cycling composée de 8 personnes, l’aident à avancer. “Ces événements me faisaient paniquer à l’époque, j’ai appris à les gérer. Mon corps s’est endurci, enrichi. Et c’est beaucoup une question de mentale.” La tête est le moteur principal lors d’une course qui a connu plus de 70% d’abandons, toutes catégories confondues. “Je m’étais mis en condition mentale que ce serait un combat perpétuel.” Lorsque Philippe May connaît un coup de mou dans le Kansas au moment de franchir la borne de mi-course, son team se met à fêter en mettant du Bon Jovi à plein tube pour rebooster le moral du Suisse.

Le duo italo-suisse n’hésite pas non plus à s’adapter aux conditions en modifiant leur stratégie de course. S’ils avaient débuté par des relais de 4 heures, ils l’ont abaissé à 2 pour ne pas trop souffrir de la chaleur. Les heures de sommeil se comptent alors sur les doigts d’une main, mais les deux hommes se régénèrent par des micro-siestes, des repas solides et un changement d’équipement permanent. “J’ai à chaque fois pu prendre de bons relais”, assure Philippe May qui n’a pas connu de gonflements ou de gros maux d’estomac comme en 2019 sur la RAW. “A l’arrivée, on voit que je suis marqué mais moins impacté physiquement que les autres années.”

Alerte cardiaque avant le départ

Et pourtant, Philippe May n’aurait peut-être pas dû prendre le départ de la compétition.s’il avait suivi les conseils… de son cardiologue. “Quelques jours avant la course, je l’ai vu à San Diego et il m’a dit qu’il ne conseillait même pas à un athlète de 20 ans, dans une condition similaire à la mienne, de prendre part à l’épreuve.” C’est que le Valaisan, qui avait dû se faire poser un défibrillateur cardiaque en 2014 après un malaise quelques jours avant le départ de la RAAM, a connu “un épisode” le 1er juin lors de son ultime entraînement en Suisse. “Mon coeur est parti en tachycardie et le défibrillateur s’est enclenché pour la première fois. C’était hyper violent.”

La RAAM en solo comme prochain objectif?

Mais aucune discussion pour le déterminé Bagnard de remettre en question plus de deux ans de préparation intensive pour l’événement. “Normalement après un choc, il faut faire attention pendant trois mois. Mais je voulais suivre mon instinct.” Celui de repousser encore une fois ses limites physiques et psychiques.

Et après cette performance, Philippe May ne compte pas s’arrêter en si bonne route. “Je sais aussi que je ne peux pas vivre sans sport.” Dans un coin de sa tête fourmille déjà l’idée de participer à nouveau à la RAAM… mais en solitaire. “Plus un objectif est difficile à atteindre, plus c’est motivant. Et malgré mon âge, je sais que j’ai encore une marge de progression. Car quand on avance pas, on recule.”

Johan Tachet