« C’est un véritable accomplissement. » Vingt-quatre heures après être descendu de son vélo, avoir rempli les modalité protocolaires et s’être (un peu) reposé, Philippe May (49 ans) prend véritablement conscience de l’exploit qu’il vient de réaliser. Le Bagnard a réussi la performance de terminer la Race Across West (RAW), cette compétition d’ultra-cyclisme de près de 1400 km entre Oceanside (CA) et Durango (CO) pour 17’000 mètres de dénivelé positif qui se court en solitaire et sans escale dans les conditions extrêmes de l’Ouest américain. Trois jours, 19 heures et 41 minutes d’effort à travers des terres hostiles, des déserts sans fin et sous une chaleur étouffante où toute forme de vie, humaine ou végétale, peine à s’acclimater.
« J’ai dû puiser dans mes réserves. C’est l’effort le plus difficile que j’ai accompli de ma vie », souffle au bout du fil Philippe May, avouant avoir les jambes enflées, les fesses en sang et des maux d’estomac après ces nombreuses heures passées sur sa bécane. Le spécialiste de ski de vitesse de Versegères ne sait pas où il a trouvé les ressources pour terminer, pour la première fois en trois tentatives, son défi, un rêve devenu pensum au fur et à mesure que les kilomètres défilaient.
Trois heures de sommeil et quatre jours
S’il a pu aller au bout de ses forces, c’est que le Valaisan a appris de ses erreurs du passé, gérant bien mieux l’effort, même s’il n’a dormi que trois heures, en tout et pour tout, durant les quatre jours de sa course. « Je me suis surtout beaucoup mieux nourri », fait-il référence à sa dernière sortie en terre américaine lors de laquelle il s’était refusé de manger dès la mi-course, ce qui l’avait contraint à l’abandon. Pour mettre toutes les chances de son côté, il s’autorisait également des micro-siestes de 12 minutes chaque deux points de contrôle, soit environ tous les 180 km. Durant ce court temps de repos, il se faisait masser la nuque afin de ne pas subir le syndrome de Shermer qui paralyse les muscles du cou, sa hantise avant de prendre le départ de l’événement.
Proche de l’abandon
Toutefois, Philippe May a bien failli ne jamais voir la ligne d’arrivée. La première partie de course, qui se roule dans les déserts de la Californie et de l’Arizona, se passe sans encombre, même si le Bagnard vit des conditions extrêmes. De 49° la journée, la température dépasse que timidement les 0 la nuit, pour atteindre 3°. « Tu peux vite partir en vrille. Mais mentalement, j’étais totalement préparé à ce genre de situation. J’étais prêt à me battre. » Alors le Valaisan s’accroche, gère parfaitement son effort selon les points de passage estimés par son crew. Il certifie être même « euphorique » à certains moments. « Puis tout d’un coup, tout est remis en question, car le corps est déjà à la limite. » Sur une telle compétition, rien ne se passe comment prévu et Philippe May le sait mieux que quiconque.
Peu après la mi-course, le directeur de l’Ecole suisse de ski de Verbier, connaît un gros coup de mou entre Campo Verde et Flagstaff, l’une des portions les plus exigeantes de l’aventure avec ses 160 kilomètres et ses 2000 mètres de dénivelé positif. « Je n’avais plus de jus, je n’arrivais plus à me nourrir, les forces diminuaient. C’était un cercle vicieux. » Le staff, emmené par sa femme Tracie, l’aide au mieux pour reprendre du poil de la bête, braver les éléments, et notamment le vent qui souffle de face, pour repartir de plus belle. A l’approche de Monument Valley, il reçoit un soutien inattendu de la part d’un groupe de bikers qui va lui décupler son énergie. « Ils m’ont dépassé pendant que je roulais et je n’y ai pas spécialement prêté attention. Mais une demi-heure après, ils s’étaient mis en bord de la route et m’ont réservé une haie d’honneur. Je l’avoue, j’avais les larmes aux yeux. »
« Je m’endormais en roulant lors des derniers kilomètres »
Toujours est-il que Philippe May sait qu’il doit terminer la course en moins de 92 heures. Pour alors rentrer dans les clous – « car on avait calculé pour que j’arrive juste dans les temps -, le Valaisan a dû couper sur les plages de break. Avec la fatigue s’accumulant, couplé à la haute altitude qui n’aide pas à la réalisation d’un effort aussi intense (3000 m), les 65 derniers kilomètres ressemblent à un enfer dans lequel on préférerait parfois s’y laisser aller. « Je m’endormais littéralement sur mon vélo. Je ne parvenais pas à garder les yeux ouverts. » C’est encore une fois le team qui lui permet de se dépasser. « Les filles de mon crew ont heureusement trouvé la parade. Elles se sont mises au bord de la route, elles mettaient l’ambiance, me parlaient, me transmettaient les messages d’encouragement de la Suisse pour tenir le coup. » Malgré tout, le Bagnard n’est pas au bout de ses surprises, lui qui crève sa roue avant à 5 km de la ligne d’arrivée. « J’ai eu un monstre stress, car j’étais limite dans les temps. Quand tu penses qu’une course de 1500 km peut être remise en question à cinq bornes du but. »
La tête et les jambes
Au bord de l’épuisement, Philippe May termine son aventure avec un peu plus de quarante minutes d’avance sur l’heure butoir pour franchir la ligne d’arrivée. Les yeux mi-clos, il reçoit sa médaille de « Finisher » de la RAW, cette course où plus de la moitié des participants ne verra pas Durango. « Lorsque j’ai entendu parler de cette compétition il y a quelques années, puis regardé les statistiques, je me suis dit que ce serait vraiment quelque chose de dur. Puis après, il y a tout ce que tu ne peux pas déterminer pendant la course qui augmente encore la difficulté: les températures, la fatigue, les temps de passages courts entre chaque point de contrôle », lance-t-il. « Mais avec de la ténacité, de l’entraînement, et même en étant skieur, on arrive à faire tourner les jambes. »
Johan Tachet