« C’était horrible, j’avais le nez en feu », glisse dans un sourire à moitié gelé Joana Hählen après le premier entraînement pour les descentes de Lake Louise, mardi. « C’est l’une des journées les plus froides de ma carrière », renchérit l’Italienne Federica Brignone. Le ski a beau être un sport d’extérieur, on préférerait parfois le regarder de l’intérieur, chez soi, avec des petits chaussons aux pieds et le feu de cheminée qui crépite.

Mardi, le thermomètre affichait -28°C dans l’aire d’arrivée de la station de l’Alberta. Il dépassait les -30°C dans la cabane de départ, située à 2469 mètres. Mercredi, il était à peine meilleur aux alentours des -23°C, mais avec une humidité prononcée, comme ce fut le cas à Levi. Ainsi, le froid était encore plus pénétrant. Alors certes, la vue sur le parc national de Banff est belle, mais la majorité des suiveurs du Cirque blanc se les caille.

Habillées en oignon ou en Ironman

A commencer par les athlètes. « L’objectif est de rester dehors le moins longtemps possible et d’être rapidement au chaud pour récupérer au mieux, car on perd beaucoup d’énergie », explique Lara Gut-Behrami. Sur la piste d’échauffement avant l’entraînement, les skieuses, qui ont l’habitude de faire plusieurs petites manches, n’ont pas trainé ces deux derniers jours. Pour faire face aux températures extrêmes, les doubles, triples ou quadruples couches sont obligatoires « J’ai dû m’habiller comme un oignon, comme on dit en italien », image Federica Brignone.

Tessa Worley et son entraîneur sont parfaitement équipés. (Christophe Pallot/Zoom)

« Je n’arrivais pas à bouger sous ma combinaison, c’était presque impossible de se mettre en position de recherche de vitesse. Pourtant, je ne suis pas une fille frileuse, mais là c’était nécessaire », poursuit la Transalpine. Michelle Gisin, en plus de deux pantalons, a opté pour la cagoule sous le masque. « Je ressemble à Ironman sur une piste de ski », se marre l’Obwaldienne. « Mais tout te gèle, le visage, ça tire de tous les côtés. »

Des scotchs sur le visage, artifice indispensable

Seul moment de répit, les deux minutes de descentes d’entraînement où les filles dévalent pourtant la piste de Lake Louise dans leur fine combinaison. « Avec l’adrénaline de la course, on a chaud. Mais dix secondes après avoir freiné dans l’aire d’arrivée, le froid s’est à nouveau saisi de moi », explique la championne olympique du combiné, qui contrairement à de nombreuses skieuses ne porte pas de ruban adhésif sur son visage car elle y est allergique. Un artifice portant nécessaire lorsque les skieuses dévalent la pente à plus de 120 km/h. « À cette vitesse et par ce froid, tu peux te brûler et clairement avoir des cloques au visage », reprend Federica Brignone, grimée par du « tape » sur tout le visage. « C’est comme si tu mettais la main dans le feu. Et après la journée, il faut penser à bien hydrater son visage. »

Federica Brignone a posé des scotchs sur son visage pour le protéger du froid lors de ses manches d’entrînement. (Christophe Pallot/Zoom)

Les athlètes ne sont pas les seules à souffrir. Les entraîneurs, postés au abords de la piste, doivent prendre leur mal en patience durant tout l’entraînement. « On a la chance maintenant que des habits chauffants existent maintenant, ce n’était pas le cas il y quelques années », raconte Stefan Abplanalp, l’ancien coach de l’équipe de Suisse féminine de vitesse notamment, désormais consultant pour la SRF. « Je me rappelle qu’en 2004, il faisait tellement froid ici à Lake Louise, que même même les scotches fixés sur le visage de Sylviane Berthod avaient gelé. » C’est d’ailleurs à partir de cette date-là que la FIS a introduit dans son règlement qu’une course ne pouvait se disputer par des températures inférieures à -36°C. Une marge importante lorsque l’on songe que cette même limite se situe à -20°C pour les épreuves nordiques, qui sont certes fréquemment plus longues dans la durée.

Les photographes, ces héros qui bravent le froid

Mais ceux qui ont le plus de mérite, ce sont certainement les photographes. Ces derniers ont l’obligation d’être en place sur la piste au moins une heure avant le départ du premier athlète et ne peuvent bouger de leur emplacement qu’une fois la course terminée pour des questions de sécurité. Et encore, certains préfèrent s’installer tôt pour trouver le meilleur emplacement possible. « Je me trouve sur la piste deux heures avant », assure Christophe Pallot, photographe pour l’agence Zoom, qui est connu sur le circuit pour ne porter ni gants, ni bonnet. « Je ne m’encombre pas quand il fait plus de -30°C. Les gens me prennent pour un extraterrestre », rigole celui qui illustre le Cirque blanc depuis vingt ans. Et les températures très négatives de l’Alberta ces jours ne l’ont pas refroidi. « Comme il faisait très froid, j’ai quand même pris un gant, mais j’ai oublié le second. Ça ne m’a pas gêné. Après, il est difficile de faire des photos avec des gants et parfois, évidemment, nous avons les doigts qui collent au boîtier. Mais pendant la course, on est concentrés sur ce que l’on fait et on oublie le reste », précise-t-il.

Couché dans la neige, les photographes peuvent rester plusieurs heures sans bouger, focalisés sur leur objectif de capter les meilleurs clichés. « Parfois, je me dis que c’est long lorsqu’après cinquante gars, il t’en reste une trentaine », mentionne l’ancien skieur de l’équipe nationale espoirs du Canada Erik Bolté, aujourd’hui photographe pour USA Today. « Avec l’expérience, on arrive à gérer le froid. On est très bien habillés et ensuite on est prêts psychologiquement. » En petit comité, les pros de l’objectif en profitent pour blaguer, échanger « et même faire des photos de la nature » avant que les athlètes s’élancent. « On se concentre sur le positif, car on a la chance d’être sur des skis. »

Que ce petit monde se rassure, les prévisions annoncent que -15°C pour les courses du week-end. Et dans l’aire d’arrivée, on s’en réjouit. « Ça sera presque l’été ».

Johan Tachet, Lake Louise