Samedi, lors de la descente masculine de Beaver Creek, Arnaud Boisset a chuté et s’est frappé la tête à 107 km/h avant de terminer sa course, inconscient, dans les filets de sécurité. Le skieur valaisan, qui s’en sort miraculeusement avec une commotion et quelques éraflures au visage, a eu beaucoup de chance, mais il doit une fière chandelle à son airbag. « Il est sorti au bon moment, juste avant le premier impact de ma tête avec la neige », analyse-t-il. « Il m’a protégé les organes vitaux et certainement évité que ma tête subisse un coup du lapin. »

Depuis qu’il skie en Coupe du monde, l’athlète de Martigny porte toujours l’airbag sur lui à l’entraînement comme en course. D’ailleurs, l’outil a été rendu obligatoire dès cette saison par le Conseil de la FIS pour les épreuves de vitesse. L’instance dirigeante doit toutefois gérer le cas d’une quarantaine d’athlètes qui ont déposé des certificats médicaux ou qui ont fait part de contraintes physiologiques afin de ne pas avoir besoin de les porter. « Certains ont une véritable raison, d’autres sont un peu vieux jeu », lance Justin Murisier qui arbore cette protection depuis trois ans maintenant. Ainsi, des exceptions peuvent toujours être accordées cette saison aux athlètes dans le cas où l’airbag n’est pas adapté à l’athlète ou qu’il « limite les mouvements de manière dangereuse », explique Peter Gerdol, le patron de la Coupe du monde dames. « Mais il sera entièrement obligatoire en 2025-2026 », assure-t-on.

Des problèmes de santé pour Ilka Stuhec et de taille pour Lara Gut-Behrami

Parmi les athlètes qui ne le portent pas, on retrouve Ilka Stuhec qui a pourtant trop souvent fini dans les filets de sécurité. « J’ai un asthme allergique et donc des problèmes de respiration », explique la double championne du monde. « L’airbag n’est pas adapté puisqu’il appuie sur les poumons et c’est d’autant plus délicat ici à Beaver Creek à plus de 3000 mètres d’altitude. » La Slovène s’accorde le droit de changer d’avis. « Je l’ai toujours avec moi et il n’est pas impossible que je skie avec cet hiver lors de certaines courses. »

Parmi les réfractaires, plusieurs grands noms du ski alpin s’opposent à cette obligation, notamment Vincent Kriechmayr chez les Autrichiens ou Dominik Paris chez les Italiens. Les Suisses ne sont pas en reste: Lara Gut-Behrami a longtemps refusé l’airbag, invoquant des problèmes de taille inadaptée à sa morphologie. « Pendant deux ans, nous avons tenté de trouver une solution. J’ai un très petit gabarit, les dimensions du modèle étaient trop grandes et cela me bloquait les clavicules. Je ne pouvais pas skier ainsi. »

Une batterie posée près de la colonne vertébrale qui pose problème

Depuis, la Tessinoise a reçu un nouveau prototype de la marque Dainese. Pourtant, elle préfère s’en passer pour des raisons de sécurité, du moins pour l’instant. « Le souci est qu’il possède une capsule de gaz et une batterie sur le dos. Je ne me sens pas en confiance d’avoir un élément aussi dur à proximité de ma colonne vertébrale. » Son argument est recevable et ses craintes sont partagées par de nombreux athlètes, comme sa coéquipière Michelle Gisin, qui tient un discours similaire. Mais contrairement à la Tessinoise, l’Obwaldienne a fait le choix de tester la marque In&Motion, en partenariat avec les protections Ortema, dont la cartouche de déclenchement se situe sur le côté. « Désormais, je me sens en sécurité. Mais on doit continuer à développer le prototype », mentionne la double championne olympique de combiné qui reste tout de même contre le nouveau règlement de la FIS obligeant, donc, à porter l’airbag. « C’est un choix forcé. Chaque athlète devrait avoir le droit de choisir ou non selon comment il se sent. »

L’airbag de Brice Roger s’était ouvert en plein course à Soldeu en 2019. (Alexis Boichard/Zoom)

Toujours est-il que les performances des athlètes s’améliorent, tout comme les risques inhérents à des vitesses de plus en plus élevées, d’où la nécessité de préserver leur santé en cas de grosse chute. Marco Odermatt l’a bien compris et il est le premier à vanter les mérites de cette protection vitale. « Jusqu’ici, je n’en ai jamais eu besoin, mais si je venais à chuter, je serais heureux de l’avoir », explique le Nidwaldien. « Beaucoup d’argent est déjà investi, mais je pense que l’on pourrait encore améliorer le concept en finançant encore davantage la recherche. »

Le halo de sécurité en Formule 1 comme exemple

Pour le Français Adrien Théaux, « l’airbag apporte un peu de sécurité dans un sport où il en manque beaucoup. » D’ailleurs, le doyen de la Coupe du monde le porte depuis l’apparition de l’objet sur le circuit il y a un peu plus d’une décennie. « Franchement, je ne comprends pas les athlètes qui refusent de l’avoir. Après, nous n’avons pas tous le même vécu. Nous ne nous sommes pas tous mis des grosses boîtes et nous n’avons pas tous vu un pote du groupe mourir sous nos yeux. » Depuis l’accident fatal à leur coéquipier David Poisson à l’entraînement à Nakiska en 2017, toute l’équipe de France, sans exception, porte l’airbag.

Pour le descendeur tricolore, le port de celui-ci doit naturellement devenir une obligation. L’homme aux 316 départs en Coupe du monde appuie son propos en prenant la Formule 1 en exemple. « Personne ne voulait du halo de sécurité à l’époque, 90% du paddock était défavorable. Il a sauvé pas mal de vie depuis, dont celle d’un Français qui aurait eu la tête coupée », poursuit-il en faisant référence à l’énorme accident de Romain Grosjean au Grand Prix de Bahrein en 2020. « Lorsque l’on parle de sécurité, on ne peut pas lésiner là-dessus. »

S’inspirer de la moto pour protéger davantage?

Federica Brignone plaide pour une phase d’adaptation. « Je comprends les réticences, mais c’est une question d’habitude. Moi aussi, je refusais de porter une dorsale en géant à l’époque. Aujourd’hui, je ne m’en passe plus », mentionne la championne italienne. « Pour l’airbag, c’est pareil. C’est juste une question d’adaptation, même s’il est un peu plus lourd, et qu’il y a des attaches devant. À l’époque, personne ne portait de casque. Aujourd’hui, qui ferait une course de ski sans? »

Le casque, justement, c’est le second axe de développement. « C’est un domaine où on est très faible », reprend Justin Murisier. « La dernière réglementation est passée en 2013. Cela fait 11 ans que l’on se promène avec les mêmes casques. C’est honteux », peste le vainqueur de la descente de Beaver Creek. « On en discute avec les firmes, elles aimeraient pouvoir développer de nouveaux modèles, mais tout le monde est dans l’attente d’une nouvelle régulation. »

Lara Gut-Behrami abonde également dans le même sens en louant ce qui se fait en Moto Grand Prix. « En moto, l’airbag bloque également les cervicales, le cou, et donc la tête. C’est un système implémenté dans le casque, ce que nous n’avons pas. Les mouvements de la nuque ne sont pas protégés dans le ski et des études montrent apparemment que c’est plus dangereux de skier avec l’airbag que sans. » Reste une question pour la Tessinoise: à quels coûts s’élèveraient ces progrès technologiques. « Il faut déjà convaincre les concepteurs de casques et ensuite à quel bassin de la population profiterait véritablement ces améliorations? »

Les multiples blessures d’Urs Kryenbühl lors de sa terrible chute à Kitzbühel en 2021 auraient-elles pu être évitées avec airbag?
(Christophe Pallot/Zoom)

La responsabilité des athlètes… mais également des organisateurs

Justin Murisier rappelle qu’il « ne faut pas non plus s’attendre à ce que plus personne ne se blesse » avec tous ces perfectionnements. Ici, l’athlète se met seul en danger. « Nous sommes conscients des risques que nous prenons. Lorsque l’on est au départ d’une descente de Coupe du monde, tout peut arriver. Alors c’est une bonne chose si on avance pas à pas et que l’on peut minimiser ces risques. »

Le skieur de Bruson est rejoint dans son discours par Adrien Théaux. « Il ne faut pas oublier que l’on peut s’éclater tout seul sur la piste. La faute part de nous, à l’origine. » Le skieur français ne comprend cependant pas comment son coéquipier Adrien Fresquet avait pu terminer dans les bois lors de la descente de Bormio en 2022, après avoir traversé trois filets de protection. « Les gens sont toujours plus malins après, en disant qu’il manquait peut-être un filet à tel ou tel endroit. Oui… mais c’est souvent trop tard. Ces incidents montrent encore que tout n’est pas optimal sur la Coupe du monde. »

Malgré les avancées technologiques et les règlements, la sécurité dans le ski alpin restera un sujet de discussions et d’évolutions constantes. Entre responsabilité individuelle et organisationnelle, le débat ne fait que commencer.

Johan Tachet, Beaver Creek