Jovian Hediger a disputé jeudi sa 107e et dernière course de Coupe du monde à Drammen. Il aurait encore espéré pouvoir concourir une dernière fois sur le circuit mondial, mais la FIS a logiquement annulé les Finales de Tyumen en Russie, qui ne seront pas replacées dans le calendrier, et le Vaudois a décidé de faire l’impasse le week-end prochain sur le sprint de Falun pour participer au marathon de l’Engadine.

Conscient que ce serait son ultime apparition, le fondeur de Bex a profité de ses derniers coups de bâtons en Coupe du monde dans une chaude ambiance au coeur de la ville norvégienne, et surtout devant ses coéquipiers et amis. Il a une nouvelle fois tout donné pour se classer au 10e rang du sprint. Plus de douze ans après sa première apparition chez les professionnels, Jovian Hediger tourne la page de sa vie sportive qui l’a vu obtenir 13 top 10 individuels en Coupe du monde, prendre la 2e place du sprint par équipe à Ulricehamn l’hiver dernier avec Roman Furger, et participer à trois Jeux olympiques. Non sans émotions.

Jovian Hediger, comment avez-vous vécu cette dernière course de Coupe du monde à Drammen?

Je savais que c’était ma dernière, mais je n’osais pas encore trop me prononcer car la FIS n’avait pas encore totalement annulé les Finales. Mais dès le prologue, le speaker l’a évoqué et à partir de là, j’ai vécu cette journée à fond. Personnellement, en quarts, j’avais envie de tout donner, de profiter. Je voulais réussir une belle course sur un parcours qui ne m’a jamais convenu par le passé. Alors passer les quarts était un grand plaisir. En demis, j’ai joué, mais ce n’est pas passé. A la fin, c’était beau, Erwan (ndlr: Käser, son coéquipier et cousin), les jeunes, le staff m’ont surpris avec une douche de champagne. J’avais le sentiment d’être mis davantage en avant que ce que je méritais. Mais c’était magnifique de finir sur une course mythique avec du public et d’avoir le retour des autres athlètes. Franchement, c’était un bel hommage que j’ai pu partager avec l’équipe.

Il y a un sentiment de fierté à ce moment-là?

Nous faisons un sport individuel et les résultats sont une forme d’égoïsme, même si les gens vivent à travers nous. Du coup, j’ai été très touché par les retours des personnes côtoyées durant toutes ces années. Je suis resté plus dix ans en Coupe du monde, mon passage a été apprécié et c’est plutôt flatteur.

Quelle image garderez-vous de votre carrière?

Il y en a tellement. Ma carrière a été tellement riche, belle, avec ses hauts et ses bas. Il y a tous les moments partagés avec l’entourage. Evidemment, il y a ce podium la saison dernière à Ulricehamn, c’est tout ce que l’on recherche dans le sport. Et d’avoir réussi cela en équipe (ndlr: avec Roman Furger), dans une journée pleine, restera un moment grandiose. Cette dernière saison a aussi été forte en émotions avec le retour du public, le travail génial fournit avec le groupe de sprint, les copains et une véritable rencontre avec François (ndlr: Faivre, le coach de l’équipe de Suisse de sprint).

Avez-vous réalisé qu’une page se tournait?

Pour la première fois, j’ai de la peine à réaliser. Lors des autres courses, qui étaient aussi des dernières en quelque sorte, tout était concret, mais je savais que j’avais d’autres compétitions derrière. Et là tout s’est passé très vite, nous avons dû aller prendre l’avion. J’étais un peu dépassé. Et maintenant au clame, ça commence à devenir concret. J’espérais finir sur un bon résultat. Il y a beaucoup de bonheur, mais aussi un peu de tristesse. Toutefois, je suis content d’avoir pu réaliser une dernière saison pleine avec un sentiment de reconnaissance. Et ma hanche m’a rappelé ces derniers temps que la décision prise était la bonne (rires). Je disais justement à Erwan que j’avais eu une belle carrière.

Pensiez-vous lors de vos débuts en Coupe du monde en 2009 vous installer au plus haut niveau durant plus d’une décennie?

Je n’aurais jamais imaginé pouvoir tenir. L’optique de faire une carrière est venue naturellement, sans réfléchir. Quand tu grimpes les échelons, tu fais une coupe continentale, les Mondiaux juniors, tu crois que tu as atteint le Graal. Après deux ou trois Coupe du monde, tu commence à prendre conscience de la normalité. Et du moment que tu fais des résultats, tu as l’envie de t’établir. J’avais mes objectifs comme participer aux Jeux et je rêvais de podium.

Existe-t-il toutefois des regrets?

Non, franchement. J’avais un potentiel, j’ai optimisé pour en sortir le meilleur. J’ai manqué de chance parfois. J’aurais pu faire un podium ici ou là. Mais je n’ai jamais regretté un choix ou une tactique, ce n’était pas ma philosophie. J’analysais mes courses pour ne pas reproduire mes erreurs.

Les joies procurées par votre sport valaient donc tous les sacrifices consentis dans un sport que l’on décrit tout de même comme ingrat?

A 200%. C’est tellement beau. J’aimais mon sport, donc je ne voyais pas les sacrifices ainsi. Avec le temps, évidemment, être loin, ne pas avoir un rythme de vie régulier, pèsent un peu. Si tu n’as pas un amour profond pour ce que tu fais, tu ne peux pas aller de l’avant. Mais de mon côté, j’aimais partir en stage, avec les années, j’appréciais m’entraîner durement également. Plus ça avançait, plus je parvenais à vraiment optimiser ce que je faisais et au final, ça a été une belle école de vie.

Ça ne va pas vous manquer de ne plus vous “faire mal”?

Je suis joueur, je vais continuer à faire du sport. Seule l’émotion de la course va très certainement me manquer, car on ne la retrouve nulle part ailleurs. Ce sera un deuil à faire et je ne sais pas encore comment je vais gérer ce sentiment. Je me lance désormais dans l’inconnu. Pour tout athlète de haut niveau, il y a beaucoup de questions, un peu de peur, mais aussi de l’excitation (ndlr: Jovian Hediger va désormais travailler dans les assurances). Toutefois, j’ai envie de garder un pied dans le ski de fond, car c’est ma passion et mon coeur y restera toujours. Je serai toujours présent d’une manière ou d’une autre.

Johan Tachet