Les images hantent encore les têtes des spectateurs et téléspectateurs du super-G de Wengen disputé vendredi dernier. Alexis Pinturault s’est en effet envolé sur le Silberhorn, quelques secondes avant l’arrivée de la piste du Lauberhorn, puis a très mal atterri et de se blesser, notamment au genou gauche, pour ce qui constituait la première grave blessure du vainqueur du gros Globe de cristal en 2021. Devenu papa d’une petite Olympe cinq jours plus tôt, il est revenu en visioconférence sur l’ascenseur émotionnel qu’il a vécu au fil des derniers jours.

Alexis Pinturault, pouvez-vous nous raconter votre début d’année?

Cela a commencé avec la naissance de notre fille. Le vendredi soir (ndlr: le 5 janvier), le travail a commencé pour Romane (son épouse). On a décidé de la faire rentrer en France avec sa famille mais elle a dû s’arrêter sur la route à Berne car elle a commencé à perdre les eaux. Tout s’est bien passé là-bas. Notre fille est arrivée samedi après-midi. Je suis resté deux jours à l’hôpital avant de monter à Wengen. J’étais très heureux dans cette situation, bien évidemment. J’ai vécu quelque chose d’assez extraordinaire.

Tout se passait bien à Wengen, j’ai vécu de bons entraînements, et de bonnes course en descente et en super-G jusqu’à la chute. Cet accident sur la dernière bosse, on n’a pas envie de le vivre en tant qu’athlète. Ça a été un choc, un dur retour à la réalité. À la réception du saut, j’ai tout de suite senti que mon genou avait lâché, il y a eu un claquement, comme je l’avais eu à la cheville il y a 10 ans. J’ai alors été pris en charge par les secours de l’organisation. J’avais beaucoup d’hématomes partout, au dos, au ventre, à la hanche, aux mains, aux poignets. La première nuit a été extrêmement douloureuse et difficile, je n’ai pas réussi à m’assoupir. Les examens à Interlaken ont confirmé que le problème principal était dans le genou gauche, avec un bon nombre de choses abîmées (rupture des ligaments croisés et lésion du ménisque interne, notamment). L’opération aura lieu en principe mardi (à Lyon).

Avez-vous eu peur?

On n’a pas le temps de réellement avoir peur. On est dans l’action et au moment où on sent que la situation nous échappe, on subit. On ne maîtrise plus rien. Ça va tellement vite… Mais on est conscient de tout ce qu’on vit. On prie pour que ça ne devienne pas trop grave.

Pensez-vous déjà à votre rééducation?

Je n’y suis pas du tout encore. Mon programme est flou. Déjà, je pense à ce que je dois faire jusqu’à l’opération mardi, pour autant qu’elle puisse avoir lieu. Il est possible que cela soit plus tard, si l’hématome ne se résorbe pas. Il y a eu une énorme contusion osseuse, un gros épanchement de liquide. Mon mollet s’est aussi déchiré sur 12 cm. Il faut déjà drainer l’hématome. Après l’opération, il y aura ensuite 3 à 4 semaines de rééducation à la maison. Comme dirais Johan Clarey, les athlètes qui récupèrent le mieux à ce moment-là sont les plus fainéants. Il faudra être très patient. Je ne sais pas encore si je remonterais sur les skis et surtout à quel moment.

Vous avez 32 ans. L’idée d’une fin de carrière vous a traversé l’esprit?

Complètement! Aujourd’hui, je connais le diagnostic. Ce n’est pas simplement un “croisé” isolé. Il peut y avoir énormément de complications dans ma rééducation, j’en suis parfaitement conscient. Je ne sais pas si j’arriverais à revenir à mon meilleur niveau. J’ai l’envie de pouvoir revenir sur les skis mais l’interrogation persiste de savoir si j’arriverai à devenir à nouveau compétitif.

Le fait de devenir père vous fait-il réfléchir différemment?

Oui et non. J’ai toujours fait des sacrifices pour mon sport. Je ne pense pas que ma nouvelle situation puisse me déranger. D’ailleurs, parfois, c’est agréable car on a plus de temps l’été pour être au contact de ses proches.

Votre blessure, couplée à plusieurs autres comme celle d’Aleksander Aamodt Kilde, a fait couler beaucoup d’encre. Pensez-vous que le programme était trop chargé la semaine dernière à Wengen?

C’est toujours la même chose! Dans le ski alpin, on est très bête! Il n’y a que les idiots qui refont les mêmes erreurs, mais à la FIS et dans le monde du ski, c’est exactement ce qui se passe. Ça peut arriver de faire une erreur, mais derrière on corrige. Sauf que là, au bout de 4, 5 ou 6 ans, on oublie et on refait les mêmes erreurs. J’ai des exemples à la pelle. Il y a les mouvements de terrain en vitesse qui posent toujours problème. On dit qu’on trace différemment pour limiter les blessures alors que là, on bat tous les records de vitesse en descente notamment. Et puis à l’époque de Günter Hujara (ndlr: directeur des courses masculines pour la FIS de 1993 à 2014), il avait essayé de limiter le calendrier. Mais maintenant, il y a une démultiplication des événements. Dès qu’une course est annulée, on en rajoute encore plus, ça crée une réelle surcharge. Nous les athlètes, on n’est pas contre avoir beaucoup de courses mais contre la surcharge du calendrier. Après, ce n’est pas forcément pour cela que je me suis blessé. J’ai eu une fille et ça a peut-être eu une influence physiologique ou peut-être qu’il s’agit simplement d’une faute.

Toujours est-il que finir la semaine de Wengen par la longue descente après deux entraînements, une descente plus courte et le super-G le plus long de l’hiver, ce n’est pas malin. On a envie de balancer les athlètes à l’hôpital! C’est mon constat, ça peut continuer malheureusement au fil de l’hiver si personne ne réagit. Ce n’est pas que la faute de la FIS, c’est aussi celle des comités d’organisations. La fédération suisse a plébiscité une course supplémentaire à Wengen et elle aurait dû dire non. Pourquoi y-a-t-il deux descentes à Kitzbühel? C’est pareil. Aujourd’hui, il faut faire un vrai ménage, mais personne n’a vraiment envie de le faire. Le système est certainement un petit peu gangréné par une vieille manière de procéder. Le Conseil est constitué de manière trop archaïque et on n’a pas de changement.

Pensez-vous être chanceux de n’avoir subi cette première grosse blessure que maintenant, à 32 ans?

Chanceux non, car je suis toujours parti du principe que l’une de mes principales qualités est mon physique. Après, on peut tout faire correctement mais être malchanceux et subir des accidents. Cette épée de Damoclès existe, j’en étais conscient. Après, à 32 ans, on n’a plus envie que ça arrive même s’il n’y a jamais de bon moment. Aujourd’hui, l’important c’est d’accepter.

Savez-vous déjà si vous allez continuer à vous orienter vers la vitesse, comme c’est le cas depuis le début de cette saison?

Mon but, c’est déjà de remonter sur les skis de bonne manière. J’espère arriver à être à nouveau compétitif et performant. Je serai peut-être amené à faire des choix, selon mes capacités. Mais bien sûr, si je parle de ce dont j’ai envie, j’aimerais pouvoir continuer à suivre cette quête. Mais je suis aussi conscient que certaines choses peuvent m’être imposées maintenant.

Laurent Morel