“La FIS doit réfléchir à la suite et se concentrer sur les quatre disciplines principales. Il faut arrêter d’aller picorer à droite ou gauche.” Le tacle deux skis décollés est délivré par Justin Murisier. Dans le viseur du skieur bagnard, et de bien d’autres: l’accumulation des courses, et notamment des compétitions à l’attrait moindre et souvent critiquées comme le combiné, le parallèle, voire le Team Event.

Pour la première fois de l’histoire, ce ne sont pas moins de 13 épreuves, avec l’ajout du parallèle, qui sont au programme des quatorze jours de courses aux Championnats du monde de Cortina. Dans un menu trop copieux, que ce soit lors de ces Mondiaux ou en cours de saison, la FIS est consciente qu’elle va devoir faire des choix. Et très rapidement. “Nous allons décider si nous conservons le combiné ou le parallèle au printemps”, confie Michel Vion, président de la fédération française de ski et membre du Conseil de la FIS. “Durant ces deux dernières années, les deux disciplines étaient en évaluation pour voir dans quelle mesure elles avaient encore un futur. Nous arrivons à la fin de cette phase.”

Un combiné où la concurrence manque

Autant le dire tout de suite, ni l’une, ni l’autre ne se sont fait une publicité reluisante lors des Championnats du monde de Cortina d’Ampezzo. A commencer par le combiné lundi. Lors des deux épreuves, seules 16 dames étaient classées, un chiffre à peine compensé par les 23 messieurs ayant franchi la ligne d’arrivée. Mais c’est surtout le spectacle de l’épreuve qui interpelle lorsque les Mikaela Shiffrin, Petra Vlhova, Michelle Gisin, Marco Schwarz, Alexis Pinturault et Loïc Meillard, trustent les deux podiums en survolant la compétition et affligeant plusieurs secondes de retard dans la vue de tous leurs adversaires.

“Avec près de quatre secondes de retard, je devrais être 25e et non 8e”, reprend Justin Murisier pour lequel le combiné “n’est pas sérieux”. Le Valaisan faisait partie pourtant des athlètes qui défendait la discipline il y a encore trois ans. “Sa perte condamnerait le lien entre la vitesse et la technique et mettrait fin à la polyvalence des athlètes”, confiait-il à l’époque. D’ailleurs, l’épreuve était déjà vouée à disparaître en 2018, sacrifiée sur l’autel de la modernité au profit du parallèle par la FIS, avant d’être réhabilitée une année plus tard au congrès de Dubrovnik. Et pour l’heure, le CIO tient à le conserver au programme olympique, contrairement au parallèle qu’il refuse de programmer en lieu et place du combiné justement.

Mais le problème a rapidement évolué. Aujourd’hui, le nombre d’athlètes polyvalents se comptent, chez les filles et chez les garçons, sur les doigts d’une main. “La majorité préfère se spécialiser”, regrette le bronzé de l’épreuve Loïc Meillard. Les spécialistes de vitesse se détournent de la discipline et ont de plus en plus de peine à s’exprimer avec des petits skis aux pieds. Sur les vingt dernières années, soit dix éditions mondiales, seul Aksel Lund Svindal était un descendeur au moment d’être sacré en 2009 et en 2011. Mais le Norvégien restait un redoutable géantiste. Et ce ne sont pas les deux ou trois petits combinés, lors des meilleures saisons, programmés chaque hiver qui risquent de changer la donne et inciter son monde à se diversifier davantage.

Le parallèle, un gag aux Mondiaux de Cortina

La FIS pensait ainsi avoir trouvé la parade et entendait se moderniser en mettant sur pied des parallèles à la place des combinés. Mais elle n’a jamais trouvé la formule adéquate pour en faire une épreuve attrayante. Voilà cinq saisons désormais que les parallèles font partie intégrante du calendrier, hormis une seule compétition disputée cet hiver à Lech/Zürs compte tenu de la crise sanitaire. Au début, ils faisaient office d’épreuves “perdues”, intégrées tantôt à la Coupe du monde de slalom ou de géant, trafiquant dès lors les résultats des classement des deux disciplines. Dès la saison dernière, la FIS a décidé d’attribuer un Globe pour en faire une discipline à part entière, mais son format de course n’a jamais été véritablement établi et ne fait qu’évoluer de course en course. Géant ou slalom parallèle? Quel mode de qualifications? Avec 16 ou 32 athlètes en séries finales?

Le panorama était plus spectaculaire que le parallèle à Cortina mardi. (Zoom)

Et la course mondiale de mardi fut une véritable parodie du début à la fin de journée pour une compétition qui offrait pour la première fois des médailles dans un grand événement. L’équité de l’épreuve, de par son format pourtant revu par les instances internationales après avoir été déjà fortement remis en cause l’an dernier à Chamonix, n’a pas été respectée. En cause cette fois-ci, un point de règlement qui attribue automatiquement une demi-seconde de retard à chaque athlète qui perd son premier duel avec un retard de 0″50 ou plus, ou s’il part à la faute. Mais à Cortina d’Ampezzo, le parcours rouge s’est bien moins détérioré que le bleu et était souvent plus rapide de près de 0″70, si ce n’est davantage, défavorisant ainsi le skieur évoluant en dernier sur le parcours bleu.

“Dans le système actuel, cette discipline ne me plaît pas forcément étant donné que ce n’est pas correct pour tout le monde”, expliquait Loïc Meillard après avoir accroché la médaille de bronze. “Je suis d’avis que l’on fait les choses correctement ou on ne les fait pas”, a poursuivi le Valaisan, alors que l’influente skieuse italienne Federica Brignone menace désormais de ne plus participer aux parallèles si le règlement ne changeait pas. De nombreux athlètes phares ont d’ailleurs déjà décidé de faire l’impasse, à l’image de Michelle Gisin en tous temps ou de Mikaela Shiffrin, Alexis Pinturault ou Henrik Kristoffersen, en autres, qui ont renoncé à Cortina.

Equité, formule, des favoris absents: les parallèles de la discorde

Et que dire des qualifications de ce même parallèle? Jusqu’ici, celles-ci se déroulaient sur deux manches, avec le cumul des temps des parcours bleu et rouge. Voilà que la FIS décide, au dernier moment, que chaque athlète ne dispute qu’une descente, répartissant les coureurs sur les deux parcours. Les huit meilleurs athlètes de chaque série étant alors qualifiés. Gare à ceux qui se retrouvent du côté le plus relevé… “Toutes ces modifications, c’est un peu limite pour avoir sa place au calendrier de la Coupe du monde, lance d’ailleurs franchement la technicienne valaisanne Camille Rast. On se pose aussi des questions si ça fait sens, surtout quand on regarde que plusieurs favorites ne sont pas présentes.”

Ce n’est pas un hasard si la nouvelle discipline est snobée: entre un manque d’équité flagrant, un calendrier surchargé et une compétition hybride qui se cherche entre géant et slalom. “Je ne suis pas sûr que ça c’est l’avenir de notre sport. On fait des demi-courbes, on a l’impression d’être en 1965. Franchement, je ne crois pas que ça attire le public de regarder ce qu’on a fait aujourd’hui (mardi)”, analyse Justin Murisier, alors que Camille Rast estime que “ce type d’épreuve est davantage orienté skicross que ski alpin”. Les skis sont prévus pour le géant, mais les virages sont plus serrés, alors…

Pas de spectacle, peu d’audience

“On essaie de trouver des solutions, mais on estime que l’on reçoit trop de critiques”, se plaignait mardi soir Markus Waldner, le responsable de la Coupe du monde masculine, lors de la réunion des chefs d’équipe à propos du parallèle. Qu’importe, de plus en plus de voix s’élèvent sur le Cirque blanc pour tout simplement rayer la discipline, ainsi que le combiné d’un planning déjà bien plein. D’autant plus que se pose la question de la publicité qu’offrent véritablement ces deux épreuves au ski alpin lorsque l’on voit le spectacle sur la piste et les audiences télévisuelles bien moins importantes que pour les compétitions traditionnelles.

Les prochaines semaines seront animées dans les couloirs d’Oberhofen, au siège de la FIS, sur les bords du Lac de Thoune.

Johan Tachet, Cortina d’Ampezzo