Le géant parallèle de dimanche n’est pas resté sans suite dans le petit monde du Cirque blanc. Si dans le camp suisse, on a pu fêter un splendide doublé grâce à Loïc Meillard et Thomas Tumler, personne n’a été dupe. La discipline ne convainc pas. Injustice, danger, manque de clarté, rien ne fonctionne. C’est ce qu’ont dénoncé plusieurs skieurs par la suite, notamment sur les réseaux sociaux, alors que nombre d’entre-eux étaient déjà sceptiques auparavant. Daniel Yule propose même de boycotter les prochaines courses s’il le faut, pour faire réagir la FIS. Et il fait quasiment l’unanimité chez les athlètes…

Alors oui, il faisait beau et le public a répondu présent au pied de la Verte des Houches au lendemain de l’éclatante victoire de Clément Noël. Les Haut-Savoyards attendaient le retour de la Coupe du monde dans la vallée de l’Arve depuis 4 ans. Si la fête a été belle durant l’ensemble du week-end à Chamonix, elle a donc tout de même été gâchée par la complexité du géant parallèle. Malgré sa première victoire dans l’élite, Loïc Meillard est d’ailleurs le premier à relativiser. “J’aurais préféré gagner un vrai géant”, reconnaissait volontiers le Valaisan, conscient d’avoir eu la chance de s’élancer lors de toutes ses manches sur le parcours bleu grâce à un tirage au sort favorable. Le skieur d’Hérémence a mis par la même occasion un vrai coup de pression sur la FIS. Il a d’ailleurs posté un message explicite sous un post critique de Justin Murisier: “💩💩👎🏼”.

Une fronde commune

C’est Alexis Pinturault qui a mis le feu aux poudres avec une publication salée sur les réseaux sociaux: “Aujourd’hui j’ai la rage, l’impression de me faire berner… Nous les athlètes pris pour des pions d’un spectacle et non acteurs d’un sport! Depuis quand en sport la chance prend le dessus sur la performance? Et la dangerosité du format on en parle? Mais surtout quand est-ce que la parole des athlètes sera prise en compte?”, demande-t-il encore en s’adressant à la FIS. Ses propos ont été largement relayés et le Français a reçu le soutien de nombreux skieurs.

Parmi les premiers à réagir, Daniel Yule a proposé de lancer un boycott. “C’est peut-être la seule solution, a-t-il expliqué ensuite, tout en reconnaissant que c’est compliqué à mettre en place. Il faudrait que tout le monde joue le jeu car actuellement, on critique mais on prend quand même le départ. On n’a pas vraiment le choix, notamment ceux qui sont dans la course au Globe, il y a trop d’enjeux.” Le meilleur slalomeur suisse de tous les temps, membre de la commission des athlètes, insiste sur les principaux défauts du format actuel. “Dans le ski, on doit souvent faire avec des injustices, à cause des dossards, des conditions, de la piste, reconnaît-il. Mais là, un parcours est clairement avantagé. Dimanche, à partir des 8es, 72% des vainqueurs l’ont été sur le parcours bleu. Je ne crois pas au hasard. Au moins, lors des City Event, où chaque tour se disputait sur les deux parcours, il y avait une forme d’équité.”

“On est passé à deux doigts de la catastrophe”

Surtout, le Valaisan estime le système actuel très dangereux. “On est passé à deux doigts de la catastrophe”, s’exclame-t-il en rappelant l’épisode qui a perturbé la demi-finale entre Thomas Tumler et Tommy Ford. L’Américain a perdu l’équilibre et s’est retrouvé sur le parcours du Grison, qui a failli lui rentrer dedans. “On skie avec des lames aux pieds”, rappelle Daniel Yule, qui n’est pas convaincu par la proposition de rendre obligatoire des tenues anti-coupures. “La protection dorsale n’est même pas obligatoire en descente, poursuit-il. Alors comment mettre un tel système en pratique, avec quels standards?”

Appelée à réagir à ces attaques, la FIS prend son temps et garde sa ligne de conduite. “À la fin de la saison, la FIS va rencontrer les principales parties prenantes, y compris les athlètes, les entraîneurs et les membres du groupe de travail parallèle pour obtenir les critiques, positives et négative, des courses de cette saison, explique Gianluca De Cristofaro, responsable de la communication du ski alpin masculin. Il s’agit de la première saison effectuée avec le nouveau format et les nouveaux règlements. Toutes les parties doivent tirer ensemble les leçons de cet hiver pour optimiser l’événement parallèle.” Pour rappel, c’est en effet la première fois qu’un Globe est distribué et que la discipline se dispute avec des qualifications, des 16es de finale aller-retour puis les tours suivants sur un parcours tiré au sort.

L’unanimité chez les athlètes

Les explications de la FIS ne convainquent pas. Alexis Pinturault justement ou Henrik Kristoffersen ont affiché leur soutien à Daniel Yule. Des grands noms du ski parmi lesquels on retrouvé Stefan Hadalin, Justin Murisier, Ted Ligety, Stefano Gross, Leif Kristian Nestvold-Haugen, Manfred Mölgg, Matteo Marsaglia, Ivica Kostelic ou Thomas Mermillod-Blondin ont clairement affiché leur camp. Et l’entier ou presque des artistes du Cirque blanc, dames et messieurs confondus, ont aimé la publication d’Alexis Pinturault, à l’image de Lindsey Vonn, Aline Danioth ou Marco Odermatt. D’autres, comme Ramon Zenhäusern, préfèrent ne pas s’inscrire à ces géants parallèles.

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Aujourd’hui j’ai la rage, l’impression de me faire berner… nous les athlètes pris pour des pions d’un spectacle et non acteur d’un sport! Depuis quand en sport la chance prend le dessus sur la performance? Et la dangerosité du format on en parle ? Mais surtout @fisalpine quand est-ce que la parole des athlètes sera-t-elle prise en compte ? #PGS #FisAlpine Today I feel like being fooled … we (athletes) taken for pawns of a show and not actor of a sport! Since when in sport luck is more important than performance? And how dangerous is the format? But above all @fisalpine when will the word of the athletes be taken into account? #PGS #FisAlpine

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De son côté, Luca de Aliprandini y est également allé de son avis, critiquant notamment la construction de sauts artificiels qui rendent le parcours d’autant plus dangereux. Il a bien évidemment reçu le soutien de sa petite amie Michelle Gisin, qui boude les parallèles depuis longtemps alors que chez les dames, le format est encore différent… Quant à son compatriote Simon Maurberger, il a terminé l’épreuve de Chamonix… à l’hôpital. “Il y a toujours plus d’athlètes qui se blessent regrette Daniel Yule. En même temps, on nous demande de skier avec des skis qui ont un rayon de 30 mètres sur des portes espacées de 22-23 mètres. Il y a peut-être un souci.”

Incapable de rester les bras croisés, l’homme aux quatre victoires en Coupe du monde regrette l’insistance de la FIS, qui force parfois les dirigeants locaux à accepter l’organisation de courses parallèles: “Le problème, c’est que la FIS fait ce qu’elle veut. Avant la course dimanche, je suis allé discuté avec Markus Waldner (ndlr: directeur des courses masculines). Il est conscient du problème et se rend également compte de la dangerosité du format. Si on veut garder des parallèles comme ceux-ci, il faut faire un circuit exhibition où chacun est libre d’aller prendre des risques s’il le souhaite, mais sans que des points Coupe du monde soient en jeu.”

Des audiences moindres

La FIS s’est souvent défendue en parlant de l’attrait potentiel du grand public pour la discipline, alors que tant les skieurs que les journalistes la décrient fréquemment. Il faut dire que depuis les premiers City Event il y a quasiment 10 ans et malgré les promesses, peu de choses ont évolué, si ce n’est qu’on se perd de plus en plus dans des règlements et des formats qui changent sans arrêt. “Est-ce que le nombre de fans de parallèle justifie les risques que nous prenons, s’interroge Daniel Yule. Je ne crois pas. Je ne suis même pas sûr que les téléspectateurs sont passionnés, j’aimerais bien connaître les audiences.”

Le Valaisan ne se trompe pas. Chiffres à l’appui, la RTS a confirmé l’hypothèse. “On remarque que les courses parallèles suscitent clairement moins d’intérêt que les autres épreuves”, affirme Christophe Minder, chargé de communication pour la télévision publique romande. Malgré le doublé suisse dimanche, le géant parallèle de Chamonix n’a été suivi “que” par environ 63’000 téléspectateurs en moyenne, pour une part de marché de quelque 27%. Un chiffre honorable, mais en-dessous des 31% (50’000) du super-G dames de Garmisch-Partenkirchen le même jour, des 40% (60’000) de la descente féminine disputée en Bavière le samedi et surtout des 40% (90’000) du slalom masculin de la veille, déjà à Chamonix. Même constat pour le géant parallèle d’Alta Badia du 23 décembre, qui se disputait certes en soirée, avec des téléspectateurs qui ont un mode de consommation différent. Entre 35’000 et 40’000 personnes étaient devant leur écran pour une audience moyenne de 11 à 12%.

“Manifestement, quelque chose ne va pas puisque personne n’est content, lâche encore Daniel Yule. Il faut que les choses bougent, même si j’ai peu d’espoir.” Pour rappel, trois géant et un slalom parallèles sont inscrit dans le calendrier prévisionnel de la FIS pour la saison prochaine…

Laurent Morel, de retour de Chamonix