“C’est fou, c’est indescriptible. J’ai trimé pour en arriver là. Cela fait longtemps que je me bats pour ce jour. Ce ne sera pas seulement une course, ce sera ma première en Coupe du monde et je m’en réjouis vraiment.” Vendredi, Arnaud Boisset va enfin se retrouver dans un portillon de départ, parmi les meilleurs descendeurs de la planète. Longtemps, le Valaisan de 25 ans a peut-être pensé que ce jour n’arriverait jamais. Par le passé, il avait goûté à l’élite mondiale, mais avait échoué à se qualifier pour la course à six reprises lors de qualifications internes. Parfois logiquement, parfois à cause de choix d’entraîneurs injustifiés, comme ce jour de janvier 2020 lors duquel il s’était pourtant montré plus rapide que ses concurrents à l’entraînement sur le mythique Lauberhorn.

Les échecs et les blessures ont façonné le skieur qu’est devenu l’athlète de Martigny aujourd’hui. “On ne m’a jamais fait de cadeau. Des fois, je me suis demandé si tout cela en valait la peine”, assure Arnaud Boisset, qui a su se montrer résilient. “Le sport de haut niveau n’est de loin pas facile, cela se saurait. Il y a des hauts, des bas, mais quand les étoiles s’alignent, c’est incroyable. Je m’estime chanceux de faire ce que je fais. Et je suis fier du chemin parcouru.”

Entre le cyclisme et le ski, son coeur a balancé

Un chemin qui débute sur les pistes de Verbier, lieu de villégiature de la famille Boisset lorsque le jeune Arnaud commençait tout juste à marcher. “J’ai dû mettre mes premiers skis avant mes 3 ans”, se remémore-t-il. Alors impressionné par ces jeunes qui claquaient des portes, il a mandaté sa maman pour lui obtenir une autorisation de parcours. “J’ai adoré et j’ai demandé directement à y retourner.” Rapidement, il a rejoint le Ski-Club de Bagnes qui a ses quartiers sur la Pasay, à Bruson. “À 6 ans, je prenais seul la télécabine de Verbier pour descendre au Châble et remonter de l’autre côté. Mais j’adorais cela, j’adorais aller skier. Et j’ai immédiatement eu du plaisir entre les portes.” Petit, Arnaud Boisset était un un enfant “dissipé”, qui pratiquait le ski pour canaliser son trop-plein d’énergie.

Comme tout gamin ou presque, il pratiquait également le football. “Mais je ne m’éclatais pas trop”. Lorsqu’il ne chaussait pas ses spatules, c’est son vélo qu’il aimait avant tout enfourcher, en compagnie de son pote d’enfance Antoine Debons, qui vient tout juste de signer son premier contrat professionnel dans le peloton. Sur deux roues, Arnaud Boisset impressionnait autant que sur les skis, se permettant même le luxe de dominer, ni plus ni moins, que le champion de Suisse 2023, Marc Hirschi, qui compte également une étape du Tour de France à son palmarès. À 16 ans, le Valaisan a dû faire un choix et il s’est naturellement porté vers la neige où il était plus performant. “À cet âge, on changeait de catégorie cycliste. Les courses ne faisaient plus 20, mais 60 kilomètres. Et ce n’était pas évident car l’hiver, je devais prendre du muscle pour le ski et l’été, en perdre pour le vélo. J’étais vite limité dans mon niveau d’endurance.”

Une première précoce sur les pistes de Coupe du monde

Il ne regrettera jamais son choix. D’autant plus qu’à l’époque, il était déjà bien endurci et savait ce qu’il voulait après avoir quitté le cocon familial à 15 ans pour rejoindre le centre de performance NLZ de Brigue, afin de poursuivre sa formation en sport-études. Dans le Haut-Valais, il est devenu un petit homme. À 17 ans, il a quitté l’internat pour aller vivre en colocation. “C’était l’une des meilleures périodes de ma vie. J’étais totalement indépendant et j’ai dû me responsabiliser, remplir le frigo, faire le ménage, car ça ne se faisait pas tout seul. C’était génial, j’avais beaucoup de liberté. Je devais juste assurer un minimum à l’école, mais j’avais pas trop de problème pour cela”, rigole celui qui est aujourd’hui en possession d’un Bachelor universitaire en économie et management, avec une spécialisation en finance.

Et sur les lattes, Arnaud Boisset grimpait les échelons aussi vite qu’il dévalait les pistes, intégrant tour à tour les cadres C et B de Swiss-Ski, jusqu’à être convoqué parmi l’élite helvétique, après “un podium surprise” en Coupe d’Europe. Sa première sur le Cirque blanc en 2019 s’est déroulée à Garmisch-Partenkirchen, avec la perspective de gagner ses galons en Coupe du monde en réalisant de bons entraînements. “Je suis passé totalement à côté. J’ai pris 5 secondes. J’étais encore trop jeune”, se rappelle-t-il, en songeant qu’il se retrouvait déjà en concurrence avec Lars Rösti qui l’accompagnera ce vendredi sur la Birds of Prey de Beaver Creek.

Entre non-sélection, blessures et idées noires

Dans sa progression linéaire, tout n’a pas été rose. En 2020 a eu lieu un premier vrai point de bascule. Il y a d’abord eu cette non-sélection, non-compréhensible, pour la descente de Wengen, encore face à Lars Rösti. “J’ai toujours eu de la peine avec l’ordre, surtout lorsque les décisions ne sont pas fondées. Peut-être que j’ai perdu de l’énergie, cela m’a peut-être desservi, mais je ne le regrette pas.” Une semaine après cette mésaventure, Swiss-Ski, qui s’était fait tirer les oreilles, lui assure une place en Coupe du monde pour la prochaine descente. “Nous étions alors à Orcières Merlette pour la Coupe d’Europe. Et le lendemain, je me blesse…” Le ligament croisé antérieur du genou gauche avait lâché.

Arnaud Boisset n’a pas été épargné par les pépins physiques. (kuva.swiss)

Heureusement, la rééducation s’est passée à merveille. “Après cinq mois et demi, j’avais plus de force dans ma jambe opérée que dans l’autre.” Sa saison 2020-2021 en Coupe d’Europe a été prometteuse. Ses classements dans le top 15 en descente et en super-G lui ont ouvert les portes de l’équipe de Suisse qu’il a rejoint pour la tournée américaine à l’automne 2021 en compagnie de ses amis Alexis Monney et Yannick Chabloz.

Mais l’expérience a tourné là encore aussi court que mal. “Mon début de saison était catastrophique. Je ne me sentais pas bien.” Le Bas-Valaisan ne se sentais pas à sa place, dans un monde qu’il ne reconnaissait pas. “Je trouvais que l’on ne s’amusait plus, que l’on pratiquait juste le ski comme un métier. On était juste des collègues, il y avait beaucoup de pression déjà aux entraînements. Franchement, je n’étais pas bien entouré.” Résultat, il sera victime d’une fracture de l’humérus peu avant Noël qui l’a contraint à mettre un terme prématuré à sa saison. “Avec le recul, je peux le dire, c’était une fracture de fatigue. Car rien n’allait, notamment dans la tête, et il fallait quelque chose pour inverser la tendance.”

Franz Heinzer comme mentor

C’était en fait le tournant dont avait besoin Arnaud Boisset dans sa carrière, même si les entraîneurs de Swiss-Ski l’ont alors rétrogradé dans le groupe de Coupe d’Europe. “C’était un mal pour un bien et je ne l’ai pas mal pris. En plus, je retrouvais mes potes Christophe Torrent et Gaël Zulauf.” Le Martignerain a remis l’ouvrage sur le métier. Son été s’est déroulé “comme jamais” et il en a profité pour encore progresser sous la houlette de son coach, l’ancien champion du monde de descente Franz Heinzer. “Il m’a énormément apporté ces dernières années et pour ma carrière.” Bien dans sa tête, bien dans ses chaussures de ski, le Bas-Valaisan a finalement explosé dans l’antichambre de l’élite l’hiver dernier, avec quatre podiums, dont deux victoires, et surtout une 1re place au classement de la Coupe d’Europe de super-G, qu’il a partagé avec Gilles Roulin, mais surtout qui lui a ouvert les portes du Cirque blanc.

“Ce chemin forge le caractère”, sourit-il même s’il a dû attendre de fêter ses 25 ans pour arriver sur le front de la Coupe du monde. “Chacun a sa carrière, nous ne sommes pas tous, les jeunes, tout de suite extrêmement forts”, explique-t-il en comparant sa trajectoire à celle de Marco Odermatt. “Je suis content d’être arrivé en Coupe du monde. Et si je monte sur mon premier podium à 27 ans, cela m’ira très bien.”

Une pensée là-haut

Mais avant de rêver de lever les bras, Arnaud Boisset ne veut pas se mettre de pression pour son baptême du feu vendredi sur la Birds of Prey. D’autant plus qu’il aborde cette descente comme “un bonus” après avoir gagné sa place lors du second entraînement duquel il a pris la 18e place. “J’étais venu pour le super-G, à la base. Et me voilà au départ de la descente également. Je suis comme un petit fou.” Rempli d’enthousiasme, il aura naturellement une pensée pour son papa, disparu il y a une année, et à qui il rendra hommage en portant un casque spécial. “Ce sera émotionnellement très fort.”

Cette descente restera marquée à vie pour Arnaud Boisset qui a pris sa destinée entre ses mains, entre ses spatules, pour le conduire sur le chemin des sommets de son sport.

Johan Tachet, Beaver Creek