À 32 ans, Alexis Pinturault est à l’aube de sa seconde carrière. À l’image de Justin Murisier, le vainqueur du gros Globe de cristal en 2021 a décidé de s’orienter vers les disciplines de vitesse. Après de nombreuses années en slalom, il a choisi de tirer un trait sur une discipline qui lui a offert 12 podiums en Coupe du monde, dont trois victoires. Le champion du monde du combiné sera toujours aligné en géant et en super-G, mais pour la première fois cet hiver, il participera à l’ensemble des descentes.

Enfin presque à toutes, puisque le skieur de Courchevel ne sera pas à Zermatt/Cervinia dans une semaine. Il préfère déjà s’envoler pour les États-Unis et le Colorado afin de préparer la suite de la saison. Mais cela n’empêche pas le Tricolore d’être attentif aux différentes polémiques et problématiques qui ont entouré la préparation de la piste de la Gran Becca et de porter un regard avisé sur l’avenir de son sport en lien avec le réchauffement climatique. Entretien.

Alexis Pinturault, dans quelles mesures votre préparation estivale a évolué en choisissant de vous orienter davantage vers les disciplines de vitesse?

En terme de journées de ski, c’est la même chose, mais cela a changé dans le contenu. À l’entraînement physique, on a quand même travaillé pour prendre un certain volume, de la masse supplémentaire. Et à l’entraînement sur la neige, je n’ai pas fait de slalom. En axant sur la descente, le super-G et le géant, cela donne une nouvelle perspective, une nouvelle manière de s’entraîner et de se préparer. Il y a aussi moins de développement du matériel, car le slalom prend énormément de temps. Ce sont de nouvelles choses, différentes mais passionnantes.

Vous avez également pris la décision de vous entourer de deux nouveaux entraîneurs, l’Autrichien Martin Sprenger et le Français Maxime Tissot, pour parfaire votre développement dans les disciplines de vitesse. Comment se déroule la collaboration?

Cela se passe très bien. Martin a bien entendu l’expérience de la descente (ndlr: Sprenger était l’entraîneur de l’équipe autrichienne de vitesse depuis 2014) et Maxime possède sa propre expérience du haut niveau (ndlr: Maxime Tissot a évolué en Coupe du monde de slalom). Ils m’apportent beaucoup de belles choses. Ils ont été les deux très exigeants avec moi durant la préparation. Que ce soit physiquement ou sur les skis, elle a été difficile en tous points. Psychologiquement, ils m’ont titillé pour que je m’améliore, pour aller chercher la petite bête, mais aussi physiquement, pour tester de nouvelles choses dont je n’ai pas l’habitude et que j’ai trouvées plus dures. Et résultat des courses, ça a été une préparation difficile, mais j’espère pour la bonne cause.

Avec votre propre cellule, comment vous organisez-vous pour vous entraîner dans les disciplines de vitesse qui demandent certaines structures?

Il est évident qu’en descente, d’un point de vue de sécurité, il faut pouvoir bénéficier des autres équipes pour sécuriser la piste. Cela dépend où on s’entraîne. Mais si on parle de piste d’entraînement de niveau de Coupe du monde, comme à Copper Mountain, il faut s’entraîner avec d’autres équipes. J’avais prévu d’aller au Chili avec l’équipe de France cet été. Finalement, on a fait le choix d’y renoncer à cause de la météo qui s’annonçait compliquée. J’ai la chance d’avoir cette flexibilité-là. Le groupe de vitesse suisse a quitté Zermatt au moment où nous sommes arrivés. Et on a eu la possibilité de s’entraîner sur une piste où je me suis retrouvé avec les jeunes Suisses et les Allemands.

Avez-vous le sentiment que vous débutez une seconde carrière?

Personnellement, c’est mon sentiment. J’arrive maintenant dans une seconde partie plutôt chouette. Durant de nombreuses années, j’ai eu des objectifs bien précis, notamment en slalom. Maintenant, je me lance sur quelque chose de différent que j’ai toujours mis de côté au profit du général, des résultats, des Championnats du monde en France (ndlr: Chez lui à Courchevel, il est devenu l’hiver dernier pour la deuxième fois champion du monde du combiné et a remporté le bronze du super-G). Grâce à la réussite que j’ai eue, je peux désormais mettre cela de côté et avoir de nouvelles perspectives.

De nombreux suiveurs estiment que vous avez le potentiel pour monter rapidement sur le podium en descente. Et ce, dès cette saison…

Vous êtes optimistes (rires). Alors oui, mon but est de gagner une descente d’ici la fin de ma carrière, mais je suis aussi réaliste. Faire un podium ou même faire un top 5 en descente dès ma première saison semble difficile. Cela ne veut pas dire impossible, rien n’est impossible, mais c’est difficile, il faut garder les pieds sur terre.

Vous ne serez pas à Zermatt la semaine prochaine. Toutefois, vous êtes au fait des nombreuses polémiques qui ont émaillé la préparation de l’événement. Dans un contexte plus général, vous sentez-vous des plus concernés par les problématiques écologiques liées à la pratique du ski alpin?

Il n’y a que les fous qui ne se sentiraient pas concernés. Quand on fait du ski, on aime notre sport, on aime notre milieu. Automatiquement, quand on voit ce qu’il se passe à Zermatt, on se sent affectés. Que ce soit en bien ou en mal. On remarque bien que l’on est les premiers concernés par le réchauffement climatique. À l’époque, quand je skiais en France, on pouvait se rendre sur cinq ou six glaciers, maintenant, il n’y en a plus qu’un, un et demi si on compte Tignes et je ne suis pas sûr qu’on peut le compter. Cela démontre à quel point, en 20 ans, et je dis bien en 20 ans, les glaciers ont reculé et que cela affecte notre sport. Personne ne veut détruire ce que l’on fait. On veut préserver notre milieu et, en même temps, nous avons envie de continuer notre activité. La question est de savoir comment faire tout cela au milieu. Il est facile de dire qu’il faut tout arrêter. Mais à partir de là, c’est la même chose pour tout le monde. Il faut arrêter de regarder Netflix, d’envoyer des mails, il faut que, vous, les journalistes arrêtiez d’utiliser des micros fabriqués en Chine. Il faut trouver du raisonnement dans tout cela et trouver les meilleures combinaisons possibles. Et on se doit de montrer le meilleur des exemples.

L’une des questions qui fait débat est le calendrier de la Coupe du monde. Devrions-nous repousser les premières courses plus tard dans l’automne, quitte à skier encore en avril?

C’est une question qui revient souvent notamment dans les médias et entre nous les athlètes. La FIS, je suppose qu’elle y réfléchit aussi. Mais la plus grande difficulté de commencer plus tard, c’est la préparation. Cela veut dire moins de possibilités d’entraînement. Car celles-ci ne se démultiplient pas pour nous athlètes. Elles diminuent. On a la possibilité de s’entraîner dans l’hémisphère sud jusqu’à fin septembre et début octobre, mais après tout devient plus compliqué. Il y a de moins en moins d’opportunités et si on commence la saison plus tard, elles ne vont pas augmenter. Ou alors il faudrait commencer vraiment plus tard et c’est en décembre. Quoiqu’il en soit, c’est un vrai sujet, car cela devient problématique. Et à l’inverse, il y a de moins en moins de problèmes de neige en avril, en mai, on peut skier sans problème jusqu’en juin à Zermatt avec de superbes conditions. Il faut vouloir franchir le pas, car il ne faut pas oublier qu’il y a toute une économie du ski qui est derrière, ce sont des millions de gens qui travaillent dans ce secteur-là, ce n’est pas simple et je peux le comprendre. Cela n’a jamais été fait avant et c’est pour cela que ça fait peur à tout le monde.

Concrètement, on a vu les athlètes monter aux barricades avec succès contre la FIS concernant le nouveau combiné alpin. Vous, skieurs, pouvez-vous également avoir du poids sur la question du calendrier?

Oui, mais il ne faut pas oublier que les athlètes ont parfois des avis très personnels, en fonction de leurs propres objectifs. La FIS est là pour peser les intérêts du sport. Mais il y a une évolution, car j’ai l’impression que la FIS écoute davantage les athlètes, en tout cas depuis plusieurs années. Au début de ma carrière, les athlètes ne pouvaient rien dire, ça ne servait à rien. Je prends comme exemple l’histoire du casque des athlètes, dont je suis concerné vis-à-vis de mon sponsor. La FIS a retourné sa veste de ce point de vue là. C’est une première. Je ne pense pas que cela soit arrivé souvent. Effectivement, il y a certaines évolutions qui ont été apportées, notamment vis-à-vis du combiné qui était un gros problème pour certains athlètes et je cite Petra Vlhova qui hypothéquait ses chances de gagner le gros Globe car elle n’a pas de partenaire slovaque. La FIS a entendu cela et va apporter des changements. C’est une bonne chose. On est tous concernés par ce qui nous touche et nous voulons tous trouver les meilleures solutions possibles.

Johan Tachet, de retour de Sölden