“Redoutable”, “terrible”, “infernale”: les adjectifs ne manquent pas lorsque les athlètes évoquent la piste de la Streif à Kitzbühel qu’ils dévalent à plus de 130 km/h. Une descente aussi spectaculaire que dangereuse lors de laquelle les moments de repos sont quasiment inexistants. A écouter ces valeureux guerriers des pistes verglacées, je me suis laissé tenter, moi aussi, à essayer de descendre, sur les skis si possible, le mythe autrichien. 

Bonnet Ovomaltine vissé sur la tête, mon enthousiasme d’imiter Didier Cuche est toutefois rapidement refroidi au moment où je découvre mercredi soir la piste depuis l’aire d’arrivée. Elle est aussi gelée que le lac Baïkal. Mes craintes sont confirmées par quelques entraîneurs croisés. “J’espère que tu as fait tes carres”, me lance la cheffe de presse de la FIS Sophie Clivaz au moment de me donner mon sésame pour la reconnaissance du lendemain. 

Une question m’envahit: Est-ce l’année dernière ou il y a deux ans que mes skis sont passés pour la dernière (première) fois au service? Une légère hésitation me traverse l’esprit et je me demande alors quelle est la différence entre les filets de sécurité A et B si on devait les traverser. L’apéro avec les collègues a fini de me convaincre. On ne renonce pas à la Streif ainsi.

Joue-la comme Hermann Maier

Le rendez-vous est donc pris à 8 heures jeudi matin aux télécabines. Les skis sur les épaules, les yeux collés, je suis bien déterminé à démontrer que les heures passées à jouer à Ski Challenge durant mes études n’ont pas été vaines. Coup du destin, c’est dans la cabine affublée du nom d’Hermann Maier, vainqueur de la descente de Kitzbühel en 2001, que nous embarquons. Même si les sièges chauffants sont agréables, en tant que Valaisan, j’aurais toutefois préféré monter dans celle de Collombin, Pirmin, ou Def pour me rassurer. Pendant que je serre soigneusement mes souliers – on ne néglige aucun détail – les collègues John Nicolet, Patrick Délétroz et Ricardo Zanoni content tour à tour leurs expériences passées où ils ont flirté avec les filets de sécurité de la piste.

Après douze minute de cabines, nous faisons face au départ de la Streif: une rampe de lancement qui permet aux athlètes d’atteindre les 110 km/h en 6 secondes. Nous entrons timidement sur la piste. Sous le pied, le ski dérape déjà. La concentration est maximale. Même à 0,3 km/h, le moindre écart est interdit si tu ne veux pas tomber au fond de la Mausefalle. Déception toutefois, il est interdit de skier sur cette chute aussi verglacée que vertigineuse lors de l’inspection. Moi qui étais déjà prêt à défier Beat Feuz. Bref, je ne vous raconte pas mon soulagement.

Des skis en mode savonnette

C’est donc au Steilhang, autre passage mythique que nous nous retrouvons. La pente est bien plus prononcée qu’à la télévision. Dans cet immense carrousel, les skieurs peuvent ramasser jusqu’à 3G. Malgré toute ma bonne volonté, je n’ai pas souhaité tenter l’expérience extrême. Mon excuse est simple: j’ai des skis de slalom qui ne sont pas adaptés à ce type de virage à haute vitesse. Comme je le peux, j’essaie de me laisser descendre jusqu’au Brückenschuss, évitant de finir le nez dans la neige une bonne demi-douzaine de fois. Enfin en sécurité sur la partie la plus plane de la piste, je peux faire le malin et me prendre l’espace de cinq secondes pour un descendeur de Coupe du monde.

On arrive par la suite à l’Alte Schneise, réputé comme étant l’une des parties les plus turbulentes du tracé avec des changements de terrain incessants. Alors qu’à deux mètres de moi le Français Adrien Théaux sifflote tranquillement en étudiant sa ligne, je me questionne: comment vais-je descendre cette traverse pentue et glacée sachant que mes spatules ont autant d’accroche qu’une savonnette. “Tu laisses simplement aller les skis. Mais prends de la vitesse si tu veux remonter la pente”, me lance-t-on. Tant que l’on peut manger des Schnitzels à l’hôpital, je n’ai rien à craindre en même temps. Du coup, peux te dire que ma tenue sur les skis était aussi laborieuse que les goûts vestimentaires du brave Hansi Hinterseer dans l’aire d’arrivée.

La “videuse” de la Hausbergkante

Je parviens péniblement à me traîner au sommet de la Hausbergkante où les skieurs plongent littéralement dans le vide, sautant à l’aveugle vers la traverse et ses 70% de déclivité. Une dame vêtue de la veste des bénévoles de la compétition, et aussi aimable qu’une porte de grange schwytzoise, m’indique que je n’ai pas le droit de descendre le mythique passage de la Streif qui mène vers le stade d’arrivée. Je crois qu’elle ne m’a pas vu en train d’épater la galerie avec mes numéros d’équilibriste quelque centaine de mètres en amont. Ici, il faut montrer patte blanche. Seuls les athlètes et un entraîneur par équipe nationale reçoivent l’agréable accord verbal de passer par la “videuse” autrichienne.

En même temps, elle m’évite un très probable tête à tête avec les filets de sécurité. Il me reste donc à rejoindre tranquillement le schuss final pour traverser la ligne d’arrivée et saluer des gradins malheureusement vides après mon pensum, alors qu’aucun journaliste n’a la gentillesse de m’apostropher pour analyser ma performance et ma descente réalisée en 34 minutes.

Qu’importe, je vais me rabattre sur l’après-ski. Il paraît que j’ai davantage de chance de finir sur le podium.

Johan Tachet (vivant), Kitzbühel