Malorie Blanc serre le poing avant de se prendre la tête des deux mains. La foule jubile, le speaker s’égosille, son papa Alexandre lève les bras, les coéquipières de la Valaisanne courent la rejoindre sur la piste Karl Schranz et Federica Brignone pousse un gros ouf de soulagement. Prostrée au milieu de l’aire d’arrivée, la skieuse valaisanne peine à réaliser la portée de sa performance qui l’a menée à la 2e place de la descente de Sankt Anton. Un exploit monumental lorsque l’on songe que la talentueuse skieuse d’Ayent, qui vient de fêter ses 21 ans, disputait sa toute première descente de Coupe du monde et seulement sa seconde course à ce niveau.
« Je ne trouve pas les mots, c’est assez incroyable. Mais j’imagine que c’est normal de me retrouver dans cet état », lance celle qui vient de se révéler aux yeux du ski mondial, avec toujours un brin d’incrédulité quelques minutes après avoir pris pour cible Federica Brignone pour l’arroser de champagne. « C’est totalement fou de me retrouver entre Federica (Brignone) et Ester (Ledecká). J’avais l’impression de ne pas être à ma place. Même enfant, je ne pensais pas que vivre un tel moment aurait été possible. »
Adoubée par Federica Brignone et Lindsey Vonn
Avant de prendre place dans le portillon avec son dossard 46, la Valaisanne s’est évertuée à se vider la tête, pour éviter tout stress inutile. « Je sais que le ski est au rendez-vous si tout fonctionne d’un point de vue mental. Il faut simplement faire les choses intelligemment », poursuit la championne du monde juniors de super-G qui « marche à la décontraction et la détente ». Il est exclu pour elle de se fixer des objectifs chiffrés. D’ailleurs, elle s’était présentée au départ avec l’unique but d’acquérir de l’expérience ce week-end en Autriche.
Mais beaucoup de monde la voyait déjà venir et Federica Brignone, la première, qui a conservé un maigre matelas de sept centièmes d’avance pour s’adjuger la victoire. « J’avais déjà vu skier Malorie à Copper Mountain avant le début de la Coupe du monde », concède la skieuse valdôtaine. « Je ne suis pas étonnée de la retrouver aussi bien classée. Elle skiait très très bien déjà. » Une impression confirmée jeudi lors du seul et unique entraînement où la Valaisanne avait amassé une énorme confiance en signant déjà le 3e temps.
Et Malorie Blanc a confirmé en course. Ce samedi elle a découpé la piste autrichienne, taillant la courbe comme une championne trentenaire et faisant apprécier son touché de neige qui émerveille même Lindsey Vonn. « Je la savais très forte », assure la revenante américaine qui dénombre 86 podiums en Coupe du monde et finit 6e de la course du jour. « J’adore voir des jeunes skieuses comme Malorie qui n’ont pas peur et qui attaquent en descente, dans un sport qui demande d’avoir un caractère spécial. Je me réjouis de voir où cela va l’amener ces prochaines semaines. »
Une blessure qui lui a permis de grandir
L’avenir justement pour Malorie Blanc s’écrira notamment à Saalbach, puisque cette performance lui offre une qualification pour les Championnats du monde dans un mois. « Je peine à croire que c’est mon histoire », reprend la star du jour enjouée. « Je suis heureuse de faire mes preuves en descente, car c’est dans cette discipline que je me suis blessée et je peux désormais me faire à nouveau totalement confiance. »
Celle qui a appris à skier sur les pistes d’Anzère se remémore naturellement sa grave chute en Coupe d’Europe dans la station voisine de Crans-Montana en février dernier, deux semaines après avoir ramené trois médailles des Mondiaux juniors. Son genou gauche avait cédé, mais dans l’adversité, elle était parvenue à positiver. « J’ai pris cette blessure comme une expérience de vie », nous confiait-elle vendredi. Un avis partagé par Jvano Nesa, son ancien coach en Coupe d’Europe: « Cette mésaventure lui a permis de gérer le stress et de dire non aussi à certaines choses. Mais je ne pensais pas qu’elle grimperait aussi vite les échelons. »
Malorie Blanc peinait à trouver les mots après sa 2e place. (JT/SkiActu)
Sur les traces de Lara Gut-Behrami
Près d’une année après son accident, Malorie Blanc évolue à un niveau que peu de personnes auraient osé imaginer. « Franchement, ça fait peur quand je repense aux derniers mois. Tout a été très vite », sourit la Valaisanne qui étonne également Didier Cuche, qui a suivi son exploit depuis Adelboden. « C’est totalement fou d’être à ce niveau après une telle blessure », lance l’ancien champion neuchâtelois qui avertit toutefois que Malorie Blanc « a l’avenir devant elle, mais elle ne doit pas non plus brûler les étapes ».
Aussi habile sur ses skis que pour exprimer sa pensée et sa philosophie de vie, l’Ayentôte est pleinement consciente qu’elle ne doit pas s’emballer. « Il faut avancer en réfléchissant et en faisant les choses intelligemment et calmement », mentionne la skieuse qui devient la première Romande à monter sur un podium de Coupe du monde en descente depuis Sylviane Berthod il y a un peu plus de dix-neuf ans. « Il ne faut pas s’attendre à voir Malorie monter à chaque fois sur le podium, mais elle prouve qu’elle appartient aux meilleures descendeuses », reprend Jvano Nesa qui compare son ancienne protégée à Lara Gut-Behrami. « Elles n’ont pas le même caractère, mais elles ont la même qualité sur les skis. »
Lara Gut-Behrami, justement, était montée sur son premier podium en Coupe du monde dès sa première descente dans l’élite. Une belle coïncidence pour Malorie Blanc qui peut désormais rêver grand.
Johan Tachet, Sankt Anton/LMO