Corinne Suter sera peut-être la dernière athlète à avoir triomphé à Lake Louise. Il est de plus en plus incertain que la Coupe du monde, tant masculine que féminine, fasse étape dans la station des Rocheuses canadiennes l’an prochain. La raison principale? Un conflit financier entre la fédération canadienne, qui a repris l’organisation de l’événement depuis cette année, et les propriétaires des remontées mécaniques de la station. L’étape nord-américaine coûterait beaucoup plus d’argent à la fédération de ski à la feuille d’érable qu’elle n’en rapporterait.

Les rumeurs font échos que le Lake Louise Ski Resort, propriétaire des pistes, des remontées mécaniques et, donc, du site de compétitions réclamerait plus d’un million de dollars canadiens pour organiser les courses de Coupe du monde. “C’est même bien davantage”, lance un proche de la FIS, sans divulguer de montant précis. Et à ce prix-là, la fédération canadienne ne rentre pas dans ses frais. “Les coûts sont extrêmement élevés”, explique Markus Waldner, le responsable de la Coupe du monde masculine. “Les revenus télévisuels ne couvrent pas les frais. C’est problématique.” A côté de cela, le Château Fairmont, ce formidable écrin hôtelier coincé entre les falaises des impressionnantes montagnes de l’Alberta et le lac Louise au milieu du Parc national de Banff, lieu où logent tous les participants du Cirque blanc, n’entend plus faire de réduction pour la caravane du ski et les prix pratiqués sont naturellement élevés.

Manque de bénévoles et de fans

Autre reproche fait aux compétitions de Lake Louise: le manque d’engouement populaire. Ils étaient tout au plus quelques centaines de fans ou de curieux dans l’aire d’arrivée à suivre la descente hommes, épreuve phare du week-end, il y a une dizaine de jours. “C’est uniquement une course pour la télévision”, explique-t-on dans les coursives de la FIS. Enième souci, le manque de bénévoles qui se manifestent pour aider l’organisation, en témoigne le très faible nombre de lisseurs présents sur la piste cette année. Une problématique qui avait conduit notamment à l’annulation du second entraînement de la descente hommes malgré le beau temps qui régnait sur la région. Par ailleurs, l’engagement de personnel ajoute des coûts supplémentaires.

“C’est dommage car c’est l’une des plus belles étapes du circuit. Nous avons chaque année beaucoup de plaisir à y débuter la saison”, explique Corinne Suter, lauréate du super-G dimanche. Son discours est partagé à l’unanimité par les athlètes du Cirque blanc. Lake Louise accueille la Coupe du monde depuis 1980. La station est devenue une étape incontournable du calendrier à partir de 1989, une année après les exploits de Pirmin Zurbriggen et de Vreni Schneider aux Jeux olympiques de Calgary, dont les épreuves alpines ne s’étaient pas déroulés dans la station située au coeur du parc national de Banff mais à Nakiska, plus proche de la capitale de la province (environ deux heures de route entre Calgary et Lake Louise).

Si les skieuses s’y rendaient le plus souvent, messieurs et dames se partagent le lieu depuis 1999 pour lancer l’hiver en vite. Avoir des compétitions de vitesse en novembre dans les Rocheuses canadiennes, c’est la garantie pour la FIS de trouver des températures fraîches et surtout de la neige pour les organiser. Cependant, organiser des courses dans un parc national, dont les spectateurs doivent payer l’entrée et peinent à trouver des logements, complique la situation.

Des épreuves techniques féminines à Mont-Tremblant

Il est déjà certain que la station de Mont-Tremblant, au Québec, organisera deux géants pour les dames la seconde semaine de la tournée nord-américaine dès la saison prochaine et au moins jusqu’en 2025, soit aux dates auxquelles se déroulaient jusqu’ici les compétitions de vitesse féminine à Lake Louise. Pour le ski canadien, c’est l’assurance d’avoir de nombreux fans, contrairement à la station de l’Alberta. “Il y a une belle ferveur populaire”, assure Marie-Michèle Gagnon, presque locale de l’étape, qui aura lieu à moins de 90 minutes de route de Montréal.

Du côté des organisateurs québécois, on prévoit déjà une grande fête populaire basée sur le mélange des cultures européenne et américaine. “Nous avons la chance d’avoir un site qui se prête parfaitement à la mise en place d’un tel événement”, nous a-t-on confié au sein du comité d’organisation. La piste a été homologuée et va être testée en février 2023. D’imposants bâtiments devraient également pouvoir accueillir l’ensemble des parties prenantes au pied des pistes.

Dans le clan canadien, on ne perd toutefois pas espoir qu’il puisse encore avoir des compétitions masculines au pied des Rocheuses. “Il faut cependant que le mode opératoire de l’organisation change”, assure Thérèse Brisson, la présidente d’Alpine Canada Alpin, la fédération canadienne de ski, dans plusieurs médias du pays. “Mais on espère pouvoir travailler tous ensemble, avec le Lake Louise Ski Resort et l’hôtel. Car Lake Louise reste notre option principale.”

Nakiska et Panorama ne sont pas aux standards

“Franchement, cela devient de plus en plus critique. Sans les courses femmes, les coûts engendrés uniquement pour l’organisation des compétitions hommes seraient encore plus élevés”, reprend Markus Waldner. Cette année déjà, les épreuves de vitesse n’ont failli pas avoir lieu. “Les courses n’ont été confirmées qu’en septembre grâce à des sponsors supplémentaires qui ont été trouvés. Mais c’était uniquement pour cet hiver.”

Alpine Canada étudie alors toutes les possibilités de délocalisation. Nakiska et Panorama, lieux d’entraînements privilégiés des équipes européennes, ont été proposés comme solutions de repli auprès de la FIS. “Nous avons envoyé Hannes Trinkl, notre directeur de course, pour les inspecter. Mais ni l’une, ni l’autre n’atteint les standards requis pour organiser une descente de Coupe du monde hommes”, balaie le patron italien du ski masculin. De lourds travaux seraient nécessaires à une homologation.

Les organisateurs ont désormais jusqu’au mois de février pour trouver une solution, délai fixé par la FIS. Mais il devient de plus en plus probable qu’il n’y aura pas de course de Coupe du monde dans l’Alberta l’hiver prochain.

Johan Tachet, de retour Lake Louise/LMO