Le 20 décembre 2020 était marqué d’une pierre blanche. Justin Murisier grimpait sur son tout premier podium de Coupe du monde lors du géant d’Alta Badia après de nombreuses années de galères et quatre grosses blessures au genou. Depuis son canapé, Florian Lorimier n’a pu contenir son émotion. Car si le Bagnard est revenu plus fort que jamais, il le doit à son préparateur physique neuchâtelois qui l’accompagne depuis un plus de cinq ans. Interview à la veille des deux géants d’Adelboden.

Florian Lorimier, comment avez-vous vécu la 3e place de votre protégé Justin Murisier lors du géant d’Alta Badia?

C’était une grosse émotion. Je me mets surtout à la place de l’athlète. Pour Justin, c’était un accomplissement, une délivrance. Car le chemin à entreprendre fut long, on l’a partagé ensemble et c’est une juste récompense.

Etait-ce un soulagement pour Justin Murisier d’enfin cueillir ce podium en Coupe du monde?

Je ne voudrais pas dire enfin, même si c’est quelque chose qui lui tenait à cœur. C’est un rêve d’enfant qui se réalise. Il y a tout ce vécu derrière, ces moments de merde, de poisse, et cela donne davantage d’émotion à ce podium, des émotions comme seul le sport peut en donner.

Vous-même, comment avez-vous vécu cette course?

Cela fait un peu plus de vingt ans que j’accompagne des athlètes en Coupe du monde. Je peux vous dire que j’ai sauté, gueulé. J’ai eu les larmes. J’étais tellement heureux pour lui. C’était comme mon enfant qui gagnait.

Vous êtes-vous appelés après la compétition?

Je l’ai engueulé de m’avoir fait chialé (rires). Après quand tout va bien, on n’a pas besoin de beaucoup parler. On a simplement refait la course. Pour lui, c’était fait. Et ce podium va l’alléger d’un poids en moins. Après, on reste les pieds sur terre pour ne pas partir dans une euphorie inutile.

Rappelez-vous de votre début de collaboration?

Oui, c’était il y a cinq ans. A la base, Justin m’avait approché car il avait mal au dos. C’était compliqué pour lui de terminer ses manches. Beaucoup de médecins disaient même qu’il ne pouvait plus faire de sport. Nous avons trouvé une solution, je lui ai dit que cela prendrait deux à trois saisons, et aujourd’hui il n’a plus de douleur.

Puis vient la tuile: une nouvelle blessure au genou droit en août 2018. Pensiez-vous alors récupérer encore une fois ce genou si souvent meurtri?

Avant même qu’il se blesse à nouveau, son genou avait mal été réathlétisé lors des deux précédentes opérations. On évoquait avec Justin une nouvelle opération, même sans blessure. Puis il y a l’accident. Je ne veux pas dire qu’il est arrivé au bon moment, ce serait inhumain, mais cela nous a permis de le réathlétisé comme il faut. 

Justin Murisier n’a jamais douté?

Il ne s’est jamais posé la question d’arrêter ou non. Il voulait tout faire pour que son genou récupère totalement et j’avais une totale confiance pour y parvenir. Il y a eu une grosse quantité de travail. Il est même venu à s’installer à Neuchâtel, c’est dire (rires). Bien évidemment, il y a des moments de doute. J’étais présent quand il fallait le rebooster. Il y a également un côté psychologique dans mon travail car on passe près de 95% des séances avec l’athlète blessé. Il y a un dialogue qui s’installe, on parle en permanence, on se confie l’un à l’autre. Il faut que l’athlète puisse évacuer des choses. Pas uniquement pas rapport au sport, mais également par rapport à lui. J’avais un rôle de guide et c’est une partie de mon travail que j’aime beaucoup car je peux apporter au sportif.

Aujourd’hui, deux ans après, son genou est-il complètement rétabli?

Le genou à Justin est à 100%, même s’il reste sensible. Ce qui est délicat, c’est que le cartilage a été touché et on ne sait pas encore comment le réparer et cela crée des douleurs, mais celles-ci sont acceptables. Notre travail est de faire en sorte que ces douleurs ne dégénèrent pas pour le sport de haut niveau mais également pour l’après-carrière. On s’adapte au jour le jour, mais je le répète, ce n’est rien de grave.

Du coup, Justin Murisier, qui fêtera ses 29 ans vendredi, peut skier sereinement encore pendant plusieurs belles années sur le Cirque blanc? 

Il peut skier tranquillement même après ses 35 ans. Lors de sa blessure au genou, nous avons pu travailler tous les détails. Tout a été fait pour qu’il y ait un minimum de contrainte dans sa vie future. Après, il va progressivement avoir une orientation vers la vitesse, ce qui sera positif pour son genou.

Ce premier podium va-t-il complétement libérer le Valaisan et en appeler désormais d’autres en Coupe du monde?

Il a la confirmation qu’il peut le faire, de plus, il a la confiance qui lui permet d’oser de se lâcher en course. Après, il faut rester réaliste. Il sait qu’il a un matériel qui est performant dans certaines conditions, comme à Alta Badia, et pas d’autres. On l’a vu à Santa Caterina. Il ne faut pas oublier qu’il a changé de matériel à l’aveugle (ndlr: il est passé chez Head) en avril et il a encore beaucoup à tester. En tout cas, il n’y a pas d’euphorie, mais il sait qu’il peut le refaire désormais.

Pour conclure, un petit mot sur la Valaisanne Camille Rast qui a fêté son retour en Coupe du monde cette saison après une blessure au genou il y a près de deux ans et qui travaille aussi depuis avec vous. Si elle toute proche d’accrocher une deuxième manche en géant ou en slalom, elle a déjà réussi à grimper sur le podium en Coupe d’Europe. Vous êtes donc confiant pour la suite de l’hiver?

Totalement. Camille est beaucoup plus forte qu’avant sa blessure. Mais elle n’utiliser pas encore son plein potentiel en course. C’est une confiance à retrouver. Il ne faut pas oublier qu’elle n’a pas concouru pendant vingt mois avant de prendre part au géant de Sölden, le plus dur de la saison pour les filles. Pour le moment, ce sont ses dossards qui l’empêchent de passer en deuxième manche (ndlr: Au slalom de Zagreb, elle portait le 57), mais également un petit brin de folie supplémentaire pour se lâcher. Au niveau de son potentiel, physiquement, elle-même est surprise. Elle a des rendements de puissance physique phénoménaux par rapport à son gabarit. Il faut simplement être patient, la reconstruction passe par la confiance. Et pas uniquement pour se qualifier pour une deuxième manche, mais pour aller chercher tout en haut, car elle a les capacités.

Johan Tachet