Sur ses bouts de spatule, du haut de ses cinq ans, Daniel Yule fonce lors de l’Erika Hess Open. Motivé comme jamais, il descend droit en bas, sans prendre une porte et lève les bras, certain d’avoir gagné au moment d’avoir franchi la ligne d’arrivée. “J’étais vraiment déçu d’avoir été disqualifié”, se rappelait-il il y a quelques années. Un quart de siècle plus tard, non seulement ses éliminations se comptent sur les doigts des deux mains, mais il a surtout pu soulever à cinq reprises les bras en Coupe du monde, dont la dernière à Madonna di Campiglio, là où il s’est déjà imposé trois fois, juste avant la nouvelle année. “Je suis fier de ce que j’ai accompli jusqu’ici”, sourit Daniel Yule.
Mais sa principale réussite reste sa constance au plus haut niveau en Coupe du monde de slalom. “On ne termine pas sept ans de suite parmi les 16 meilleurs slalomeurs de la planète par hasard.” Mieux encore, Le skieur de La Fouly aura terminé dans le top 6 de la discipline lors de quatre des cinq derniers hiver. Seule exception, sa 16e place lors de la saison 2020-2021. “Il avait connu des soucis de matériel”, rappelle son coach Matteo Joris, expliquant que son protégé s’était peut-être mis un peu trop de pression. “Il venait de gagner quatre courses en quelques mois, du coup, il ne skiait plus pour le plaisir, mais pour gagner. Il était un peu trop dur et avec son matériel, ça ne fonctionnait pas.”
“Daniel est une bête de course, un guerrier”
Alors, Daniel Yule s’est remis à la tâche, besogneux, entamant son retour au premier plan l’hiver dernier avec deux podiums à Wengen et à Flachau. Il confirme en ce début d’hiver avec, en plus de la victoire en Italie, une 7e place à Val d’Isère et une 4e dans les difficiles conditions de Garmisch-Partenkirchen mercredi dernier pour un début de saison réussi où il pointe à la 3e place du classement de la spécialité. Le skieur du val Ferret a une faculté, à l’image de son comparse Justin Murisier, de se transcender les jours de course. “C’est une bête de course, un guerrier et il peut désormais s’imposer sur toutes les pistes”, assure l’un de ses entraîneurs Thierry Meynet. Daniel Yule, lui, ne sait pas véritablement comment il parvient à passer un cap lorsque le chrono est officiel. “Je ne sais pas l’expliquer autrement, car à l’entraînement, que je sois devant ou derrière, ça n’a pas trop d’importance.”
Le Valaisan le reconnaît, il n’a “jamais été un as de l’entraînement”. Avant son succès à Madonna di Campiglio il y a deux semaines, il n’avait pas remporté la moindre manche chronométrée en interne. Pourtant, il skiait fort. De l’aveu de ses coaches, il avait trouvé les bons réglages dès les premiers camps “et cela grâce à son expérience et sa progression lors des dernières années”. S’il n’est pas le plus régulier à l’entraînement, Daniel Yule s’évertue surtout à travailler sa régularité dans le but “de voir la ligne d’arrivée”, comme il le décrit. “Il est toujours important pour moi de terminer mes manches, même si je fais une faute et que je prends une seconde et demie. En course, on répète les réflexes bossés à l’entraînement.” D’ailleurs, le Valaisan ne sort pratiquement jamais dans une discipline aussi précise que le slalom où un millimètre de trop peut rapidement te faire enfourcher. Preuve en est, il ne dénombre que neuf éliminations en six saisons.
Une régularité à toute épreuve répétée inlassablement à l’entraînement
À bientôt 30 ans, le Valaisan dégage une sérénité que de nombreux skieurs peuvent lui envier. “J’arrive à skier avec du plaisir, une certaine décontraction. C’est important en slalom. Et avec le temps, je suis parvenu à amener de la vitesse dans mon style de ski et j’espère que je vais pouvoir continuer à le faire.” Après une décennie sur le Cirque blanc, le skieur au bonnet vert entend encore performer au plus haut niveau quelques années. “Je commence gentiment à faire partie des meubles”, se marre-t-il. “Mais je sais qu’une carrière passe vite. Reste que je me sens bien physiquement, je touche du bois. Évidemment, j’ai plus de saisons de ski derrière moi que devant, mais je profite de donner à chaque fois le maximum car je n’aurais plus 1000 possibilités de remporter certaines courses.”
Et déjà dimanche, Daniel Yule est prêt “à partir au combat” sur une Chuenisbärgli qu’il affectionne après y avoir triomphé en 2020. “Ma victoire ici, c’est quelque chose dont je me souviens très bien. Je ressors la vidéo durant les journées d’été quand j’ai un coup de blues ou de moins bien. Ça donne un petit coup de boost de savoir que je l’ai déjà fait et que je peux le refaire.” Avec la perspective de lever une nouvelle fois les bras dimanche en franchissant la ligne d’arrivée.
Johan Tachet/LMO, Adelboden