En lançant son ski dans l’aire d’arrivée de la « Rock » de Yanqing à la manière d’un Didier Cuche, Beat Feuz a trouvé le moyen de laisser exploser sa joie. Car c’est bien lui le vainqueur de la descente olympique, le patron de l’épreuve-reine des Jeux. Meilleur descendeur de la planète ces quatre dernières saisons, le maçon emmentalois n’avait pas prémédité son clin d’oeil, réalisé après une course quasiment parfaite. « Le geste n’a pas fonctionné comme je le voulais, rigole-t-il d’ailleurs après avoir manqué le rattrapage de son ski. Mais c’était de l’intuition pure. En fait, j’ai dû d’abord lire le tableau des résultats pour connaître ma position. Mais les noms étaient inscrits en chinois. J’ai vu le drapeau suisse à la première place et en sachant que Hintermann (ndlr: le seul Suisse à s’être élancé avant lui) n’était pas premier, ça devait être moi. Tout est ensuite devenu assez chaotique. Mais c’était un jour grandiose! »
Des émotions partagées en famille
Champion du monde en 2017, quadruple tenant du Globe de cristal de la discipline, multiple vainqueur à Wengen et à Kitzbühel, Kugelblitz a été submergé par un nouveau tourbillon d’émotions. C’est surtout lorsqu’il a pu parler à son amie Katrin Triendl et à ses enfants qu’il a réalisé la portée de son exploit. « Zoé (ndlr: Chastan, l’attachée de presse de l’équipe de Suisse) m’a fait une surprise, raconte-t-il. Elle a appelé mon amie en vidéo, on est allé sous une petite tente. Là, je reconnaît que les émotions m’ont envahies. »
Un sentiment rarement dévoilé par le champion. « Katrin a fait beaucoup de sacrifices pour moi ces dernières années, reconnaît-il. Elle est en coulisses, travaille mieux que moi pour me permettre d’atteindre mes objectifs. Et là, elle est seule à la maison avec deux petites filles. Tout père de famille sait comment c’est. J’ai un immense respect pour elle et je voulais juste la remercier. » D’ailleurs, Beati profite même de l’aide de sa compagne, avant celle de ses entraîneurs, lorsqu’il s’agit de choisir son numéro de dossard (le 13 ce lundi).
Médaillé d’argent en super-G et de bronze en descente il y a quatre ans à PyeongChang, Beat Feuz complète sa collection de métal. Pourtant, le Bernois a toujours insisté pour ne pas faire une fixette de cette médaille d’or. « Je n’étais pas tendu ou stressé par les Jeux olympiques, affirme-t-il. Bon, hier (ndlr: avant le report de la course) il y avait un petit peu de pression, parce qu’on ne savait pas si ça partait ou pas. Mais ce matin, on est monté avec la cabine et c’était clair qu’on partait à 12h. J’ai exactement su comment me préparer pour être prêt pour la course, ça m’a aidé. »
Un voyage en toute décontraction
L’expérience de Beat Feuz a probablement fait la différence. « Beat est incroyable, reconnaît Thomas Stauffer, entraîneur en chef de l’équipe de Suisse masculine. Il sait tout faire juste au bon moment. Il était prêt et a su profiter de la nervosité des autres. » Arrivé en Chine lundi dernier, quelques jours après les autres descendeurs, le skieur de Schangnau maîtrise son emploi du temps à la perfection. Lors de son vol en compagnie notamment de Luca Aerni, Gino Caviezel et Yannick Chabloz, il était complètement décontracté et ne s’est pas excité lorsqu’il était question d’attendre plusieurs heures avant de pouvoir rejoindre le village olympique de Yanqing.
Après Bernhard Russi (Sapporo 1972), Pirmin Zurbriggen (Calgary 1988) et Didier Défago (Vancouver 2010), Beat Feuz est devenu le quatrième champion olympique suisse dans la discipline. « C’est quand même le meilleur descendeur de ces dernières années et il mérite à 100% sa victoire, avoue Bernhard Russi, heureux de voir un nouveau skieur helvétique lui succéder. Aujourd’hui, il fallait être relax. Je pense que c’est un très joli final pour sa carrière. » Didier Défago abonde dans ce sens. « Beat a fait une manche fantastique, il mérite son succès, félicite le Morginois. Il a su rester vraiment calme et profiter de son expérience. C’était du grand Beat aujourd’hui. »
Didier Défago: « Au niveau émotionnel, ça fait quelque chose »
Les deux hommes, qui ont également dessiné la piste de cette descente olympique, ont pu se réjouir de voir leur travail crédibilisé par un podium de prestige, avec également Johan Clarey et Matthias Mayer, le tout lors d’une course équitable. « Le report était la bonne option, confirme Didier Défago. Le sport est ressorti vainqueur et le résultat est là aujourd’hui. » Quant au fait de voir gagner un compatriote sur un parcours qu’il a mis en place, le Valaisan était très touché: « Au niveau émotionnel, ça fait quelque chose. C’est des moments inoubliables dans une carrière, des rêves de gosses qui se réalisent. Là, ça donne des frissons. »
Et Beat Feuz de répondre, à la question de ce qu’il peut encore gagner: « L’or en super-G, mais il faudrait un miracle pour ça! ». C’est plutôt son compatriote Marco Odermatt qui devrait tenter de lui ravir la vedette mardi. « Mais c’est difficile d’aller aussi vite que les descendeurs et les athlètes Head sur cette piste, relativise le Nidwaldien. Ils sont super bons sur cette neige. C’est la même qu’à PyeongChang plus ou moins et elle leur convient idéalement. Mais je vais attaquer pour gagner une médaille. »
La moisson de l’équipe de Suisse est lancée. Et tous au sein du clan helvétique en sont certains: elle sera fructueuse sur la neige chinoise.
Laurent Morel, Yanqing