Sur un canapé de l’hôtel Glemmtalerhof à Hinterglemm, Loïc Meillard est songeur en regardant le feu qui crépite dans la cheminée à côté de lui. Il tente de fouiller dans ses souvenirs pour y trouver le nom des trois autres skieurs romands qui ont réussi la performance de terminer au moins une fois dans le top 3 du classement général de la Coupe du monde. “Didier Cuche, mais les autres…”, questionne l’Hérensard. Il faut remonter près d’un demi-siècle en arrière pour ressortir également les noms de Lise-Marie Morerod et de Roland Collombin, dont Loïc Meillard en est le digne héritier.

Cela pose le contexte du rare exploit réalisé cet hiver par le Valaisan. Sauf grande surprise, le skieur d’Hérémence terminera sur la boîte du général, avec une forte probabilité de se placer en dauphin de l’intouchable Marco Odermatt. “Réussir à être sur le podium, c’est quelque chose d’exceptionnel. C’est la conséquence de la constance durant tout un hiver, à performer week-end après week-end. Et pourtant, je ne pense pas que c’était le cas cette saison”, rigole Loïc Meillard qui n’aurait jamais imaginé se retrouver en aussi bonne posture il y a encore deux mois en arrière. “Si on m’avait dit mi-janvier que j’allais me battre pour le podium du général…” Il n’aurait alors pas cru son interlocuteur. “À ce moment-là, j’avais tout effacé et le top 3 était loin d’être un objectif.”

“Au mois de janvier, tout était effacé. Le top 3 du général était loin d’être un objectif”

Loïc Meillard

Le creux de janvier, l’orgueil, le travail et la confiance

Au soir du slalom de Schladming, duquel il terminait 16e, Loïc Meillard se retrouvait en quête de réponses et surtout de confiance. “Je sais skier, mais ça n’avance pas”, confiait-il alors sous la pluie et les projecteurs autrichiens. Le skieur de 27 ans, qui s’était avancé dans la saison avec des grosses ambitions, voyait le podium lui échapper à chaque course depuis le début de l’hiver. Parfois pour quelques centièmes, comme lors des slaloms de Gurgl ou de Madonna di Campiglio, parfois plus largement. “Avec le matériel que j’avais aux pieds, je savais que j’étais capable de gagner des courses. Je l’avais déjà prouvé par le passé”, se remémore-t-il aujourd’hui. “Mais le problème est venu du projet de la nouvelle fixation, et tout ne s’est pas déroulé comme prévu.” Une fixation qui a lâché notamment lors du géant de Sölden, finalement annulé, puis lors de celui d’Adelboden. Et avec ces incidents, la confiance s’est effritée. “Ce n’était pas une période facile, je ne vais pas mentir, c’était très dur mentalement. On tombe vite de haut et c’est là que ça fait un peu mal.”

Lâcher ne fait pas partie du vocabulaire du besogneux Loïc Meillard. Il n’y a pas eu de grosse révolution pour le vice-champion du monde de géant qui a réalisé un premier pas en avant dans la tête. “Je suis peut-être parvenu à accepter le fait que cela ne se passe pas forcément comme souhaité, alors que j’avais des grosses attentes.” Avec ses entraîneurs, et plus particulièrement Julien Vuignier, il s’est évertué à poursuivre dans la direction fixée, convaincu que celle-ci était la bonne. “Il est important de prendre le temps, de faire des kilomètres, de se sentir vraiment à l’aise. Nous avons continué à croire en notre projet en général et il était nécessaire surtout de reprendre confiance. S’il faut deux courses pour la perdre, dix sont nécessaires pour la retrouver.” Et c’est en vitesse que le skieur va retrouver de l’assurance en prenant la 3e place du premier super-G de Garmisch-Partenkirchen. Un premier podium de l’hiver qui a enfin libéré la machine enrouée.

Depuis, Loïc Meillard est inarrêtable ou presque. Il est monté sur cinq podiums lors des neuf dernières courses auxquelles il a pris part, avec en point d’orgue un week-end fructueux à Aspen où il a terminé deux fois deuxième en géant et été victorieux en slalom, une première, au terme d’un “week-end exceptionnel” selon ses dires. “Tout s’est mis en place au bon moment, nous sommes parvenus à enchaîner en utilisant notamment l’expérience accumulée ces dernières années. Être à nouveau là, sur le podium, en cette fin de saison, être tout devant tous les week-ends, être au départ d’une course avec le sentiment de pouvoir jouer la victoire, c’était l’objectif souhaité.”

Des histoires communes avec Marco Odermatt

Dans l’ombre de Marco Odermatt qui attire beaucoup de lumière, Loïc Meillard réalise une fin de saison folle pour ce qui restera sur le plan comptable comme l’hiver le plus fructueux de l’athlète de 27 ans. Et derrière le prodige nidwaldien, peu de personnes se rendent compte de la portée de la performance réalisée par le skieur d’Hérémence. Beaucoup se plaisent alors à le comparer à Stan Wawrinka, qui s’est si souvent retrouvé dans le sillage de la silhouette imposante de Roger Federer. De cette comparaison, Loïc Meillard en a cure. “Honnêtement, je m’en fiche pas mal. Wawrinka a eu une carrière exceptionnelle que beaucoup de tennismen auraient rêvé d’avoir.” Le Valaisan rappelle, à juste titre, qu'”Odi” est “un extraterrestre” qui “pousse les autres skieurs à travailler encore plus dur pour essayer de l’aller le titiller”. “Chacun a son niveau, chacun donne le meilleur de soi-même et on atteint ce que l’on peut atteindre.”

“Honnêtement, je me fiche pas mal d’être comparé à Wawrinka. Il a eu une carrière exceptionnelle que beaucoup de tennismen auraient rêvé d’avoir.”

Loïc Meillard

Si Stan Wawrinka et Roger Federer ont marqué l’histoire du sport suisse en remportant l’or olympique en double et la Coupe Davis, Marco Odermatt et Loïc Meillard ont aussi entamé leur conte commun en se parant de l’or et de l’argent lors du géant des Championnats du monde de Courchevel l’hiver dernier. Un prochain chapitre pourrait s’écrire si le Valaisan parvenait à devancer Manuel Feller, qui le précède de trois points, pour terminer deuxième du général, et offrir au ski helvétique son tout premier doublé.

Jour après jour, course après course, les deux hommes, avec également Lara Gut-Behrami et plusieurs autres athlètes d’une génération dorée, sont en train d’écrire à leur tour leurs lettres de noblesse dans le grand livre du sport helvétique. Et c’est peut-être cela qui rend le plus fier Loïc Meillard. “Réussir à procurer des émotions à tout un peuple, à les faire regarder à nouveau notre sport, qu’ils aient du plaisir à le faire, c’est fantastique.” Pour que dans une cinquante d’années, l’histoire ait retenu le nom de Loïc Meillard.

Johan Tachet, Saalbach