On l’avait quitté en larmes il y a huit mois, au bas du halfpipe de Zhangjiakou où il tirait sa révérence à la compétition après avoir pris la 4e place de la plus folle épreuve de snowboard de l’histoire, lors des Jeux olympiques de Pékin. On a retrouvé Shaun White (36 ans) à la fin de l’été, arborant un fier sourire, à Crans-Montana. La légende américaine était l’invité prestigieux d’Omega, dont il est ambassadeur, lors de l’European Masters de golf disputé dans la station, sur le Haut-Plateau. C’était l’occasion pour le triple champion olympique et 15 fois médaillé d’or aux X-Games (skateboard compris), désormais reposé, de revenir sur près de deux décennies de succès lors desquelles il aura révolutionné son sport et d’évoquer ses futurs projets. Et bien évidemment, “The flying tomato” (“La tomate volante”) ne restera jamais loin d’un snowpark.

Shaun White, la vie de retraité sportif semble vous convenir à merveille. Qu’en est-il?

La vie va bien. Pour le moment, tout cela paraît assez naturel, car normalement j’avais l’habitude de prendre une saison sabbatique après les Jeux olympiques. Ça sera différent et très certainement plus difficile l’hiver prochain car cette fois-ci il n’y aura pas de retour aux affaires. Mais jusqu’ici, tout se passe bien.

Comment allez vous désormais remplir votre emploi du temps?

Je vais continuer de rider, c’est sûr, trouver de belles montagnes où aller snowboarder, faire des sauts. Mais aussi du park car je n’en faisais pas énormément, même si j’ai toujours aimé pratiquer le slopestyle pour le plaisir. Je vais également promouvoir la marque que je suis en train de lancer (ndlr: Whitespace). Des tests de matériel sont prévus cette saison (ndlr: il se trouvait d’ailleurs à Saas-Fee au mois d’octobre dans le cadre du Stomping Grounds Project). Et on verra ce qui va arriver.

Avec la retraite sportive, vous n’avez pas peur de vous retrouver face à un vide à l’image de nombreux sportifs avant vous?

Je ne sais pas. Je crois que c’est ce qui est aussi beau dans le sport. Ce n’est pas comme avec le football ou les autres sports traditionnels, où tu n’as plus de match à jouer… Je vais toujours pouvoir aller rider pour moi. Il y aura toujours la même sensation, la même excitation de travailler sur une figure, de faire quelque chose de nouveau, même sans compétition. Par contre, j’ai toujours eu ce sentiment d’avoir peur de louper quelque chose, je suis clairement “FOMO”. (ndlr: “Fear of missing out”).

On ne serait pas étonné de vous voir réaliser un comeback…

Je ne sais pas. J’ai eu une carrière incroyable.

On imaginait peut-être en freeride. Cela ne vous tenterait pas?

J’ai toujours été intéressé par des grosses compétitions de backcountry. Ça a l’air fun de jouer avec le terrain que l’on nous propose. Des gros sauts dans de la grosse poudre. C’est incroyable. Quelque chose comme cela serait super, mais vous voyez, la compétition, c’est toujours beaucoup de pression.

Au regarde de votre carrière, avez-vous l’impression d’avoir révolutionné votre sport?

Par moment, oui. Je regarde parfois où était mon sport quand j’ai commencé et où il se trouve maintenant. Je ne pense pas que j’étais tout seul, mais je pense que j’ai pu aider d’une certaine façon à amener le snowboard vers le grand public et à le développer. Je suis fier de cela. Et c’est fun de regarder en arrière. Aux Jeux olympiques de Pékin, l’hiver dernier, des gars me disaient: “J’ai joué à ton jeu vidéo”, “je portais un t-shirt où tu étais dessus”, “je ridais la même board quand j’étais petit, je portais ton masque et je pensais que j’étais toi” (rires). C’était des fans qui étaient devenus des rivaux, c’était bizarre. Ça m’a permis de me rendre compte depuis quand je pratiquais ce sport. C’est presque irréel de se retrouver désormais en présence de grands talents, de grands athlètes que j’ai pu inspirer.

Lorsque vous avez remporté votre troisième médaille d’or aux Jeux olympiques de PyeongChang en 2018, on se disait que le niveau du snowboard ne pouvait pas être plus élevé. Pourtant, la finale olympique de Pékin a été encore plus monstrueuse. Franchement, quelle est la limite de votre discipline?

En Chine, le halfpipe était immense. Je pense l’un des plus gros que je n’ai jamais ridé. C’était massif. Il fallait oser s’élancer dessus, prendre une vitesse de dingue. Ils ont construit quelque chose d’extraordinaire. C’était un peu venteux, les organisateurs avaient dû placer une grande bâche… Et il y eu le triple (cork)… Il vient tout juste de commencer à être plaqué. Du coup, je ne sais pas si on approchera bientôt du sommet comme en slopestyle. Mais c’est excitant de voir la direction que prend le halfpipe même si on ne sait pas où il va aller. J’espère d’ailleurs que je ne serai jamais loin et toujours dans le coin pour être impliqué d’une certaine façon. J’aimerais rester proche de la nouvelle génération. Je viens de lancer ma nouvelle marque. C’est excitant. Il y a aussi le potentiel de soutenir la carrière d’autres riders et je trouve cela vraiment cool.

Avez-vous déjà signé avec des athlètes?

On parle avec certains gars… Mes racines se trouvent dans les sports d’hiver et c’est où nous commençons. Mais je ne veux pas voir ma marque comme une entreprise uniquement de snowboard. J’ai des idées pour l’agrandir car j’aime de nombreuses choses, de nombreux sports. Plus globalement, j’aimerais qu’elle représente la performance. Je n’ai pas véritablement l’envie de construire une équipe de 20 riders, mais je pense que ce serait cool d’en sélectionner certains.

Votre “business model” ressemble un petit peu à celui de Marcel Hirscher qui a créé sa marque de skis Van Deer.

En quelque sorte. J’aimerais avoir la possibilité de prendre des incroyables talents mais également des personnalités qui puissent représenter la marque. Mais c’est étrange de se retrouver de l’autre côté du miroir.

Vous pensez uniquement à des riders américains ?

Non, cela pourrait même être des Suisses. Mais je prends mon temps pour monter ce projet.

Si vous ne deviez garder qu’un accomplissement de votre fantastique carrière. Quel serait-il?

Mes premiers Jeux olympiques (ndlr: à Turin en 2006). C’est à ce moment-là que mon monde a totalement changé. Pas uniquement pour moi, mais également pour ma famille. J’ai grandi en voulant être snowboardeur pro et les gens pensaient que j’étais fou. Ils me disaient: “Tu veux faire quoi? Il n’y a pas de futur dans ce sport”. Ils pouvaient dire ce qu’ils voulaient, je sentais que j’avais un peu de talent dans ce que je faisais. Je me suis battu et je suis devenu champion olympique. A ce moment-là, je me suis dit: “Wouahh, on l’a fait”.

Et tout à coup, ma vie a changé. Je me rappelle que je ne pouvais pas faire un pas dans l’aéroport, tout le monde m’applaudissait et je saluait sans cesse les gens. Partout où j’allais, c’était pareil (il se marre). Peu de temps après, j’ai fait la couverture de Rolling Stone Magazine, j’étais invité à des talk-shows totalement fous, à la fashion week de Milan. Mon monde s’est retrouvé sans dessus dessous. J’avais eu quelques succès avant, je pensais être plus ou moins préparé pour ce qui allait arriver. Mais c’était un tout autre niveau. Au départ, je me disais que peut-être certaines personnes allaient me reconnaître. Mais je n’avais pas imaginé que ce serait à ce point. Et avec le succès, arrivent les bons et les mauvais côté. Il y a le plaisir, mais tu dois accepter d’avoir moins de vie privée. Tu dois faire attention à tout ce que tu fais. Je représentais quelque chose de bien plus grand que ma propre personne, je représentais mon sport. J’ai dû apprendre, comment je parle à la caméra, qu’est-ce que je fais dans telle ou telle situation.

Vous vous êtes habitué à ce statut d’icône?

Il existe toujours un étrange sentiment. Je suis resté le même, j’ai ramassé les crottes de mon chien (rires). On rencontre toujours des gens un peu fous. Il y en avait plus quand j’étais plus jeune. Je me sens toujours moi-même, je suis toujours excité par les choses que j’ai envie de faire. Il y a ma vie et il y a cette vie. Et aussi longtemps que j’arrive à garder les pieds sur terre et que j’apprécie cette vie, je serai satisfait.

Johan Tachet, Crans-Montana