Le 10 décembre 2001, dans la nuit de Madonna di Campiglio, Bode Miller remportait son tout premier succès lors d’un slalom de Coupe du monde. Devant sa télévision, sur les hauteurs de Sofia, Albert Popov avait les yeux qui brillaient devant la prestation du fantasque skieur américain. Il n’avait alors que quatre ans, mais le Bulgare était déjà un amoureux du ski. Ce qu’il ignorait à l’époque, c’est qu’il écrira lui aussi une page de l’histoire du ski, en remportant son premier succès en Coupe du monde sur cette même piste, 23 ans après son idole.

Mercredi soir, Albert Popov a virevolté sous les étoiles italiennes, dansant entre les piquets pour devenir le deuxième Bulgare après Peter Popangelov, victorieux en slalom à Lenggries (GER) en 1980, à s’imposer sur le Cirque blanc. « Ce succès signifie beaucoup », a lancé l’athlète de 27 ans après son exploit. « J’espère que cela va donner envie à des Bulgares de faire du ski et qu’ils puissent croire que tout est possible. »

« Une récompense pour le travail et les sacrifices »

Albert Popov est obstiné, sûr de son fait et de sa force, ne doutant jamais de sa réussite. « Chaque jour, je me donne les moyens de progresser, de devenir plus fort », nous confiait-il lors d’un entretien à Levi voici cinq ans lorsque son talent venait d’éclore au plus haut niveau. Il a dû s’armer de patience pour confirmer son potentiel, puisqu’il est monté sur son premier et seul podium en mars 2023 à Palisades Tahoe, avant son exploit de Madonna. « Cette victoire représente tout le travail que j’ai accompli, tous les sacrifices, tout le temps passé loin de ma famille. »

C’est sur les pentes d’une petite station à 20 minutes de Sofia qu’Albert Popov a fait ses premières armes. Il n’avait que deux ans lorsque sa maman, elle aussi athlète à l’époque, lui a appris les rudiments de la glisse sur neige. Petit, il pratiquait aussi le surf, le skateboard, le basketball, mais c’est le ski qui a attiré son attention. « Je regardais les courses à la télévision avec ma maman. Elle me disait de regarder ce que faisaient les skieurs sur la piste. Plus je les regardais, puis je me disais qu’un jour, je voulais les battre. »

La Bulgarie trop petite pour son talent

De son apprentissage, il se rappelle de sa première course internationale en Slovénie. « J’avais 10 ou 11 ans. J’ai terminé aux alentours de la 30e place. Je me suis alors dit que je devais m’entraîner plus, car je voulais simplement être le meilleur. » Une année plus tard, il a participé à la même compétition qu’il a remportée. « C’est à partir de là que j’ai su que je voulais devenir skieur professionnel. »

La Bulgarie devient rapidement trop petite pour le jeune et talentueux skieur, obligé de s’exiler. « Notre sport coûte très cher en Bulgarie et on ne peut skier que deux ou trois mois dans l’année, ce qui est peu comparé aux autres pays alpins. Heureusement, j’ai pu compter sur le soutien de mes parents qui ont trouvé les ressources financières pour que je puisse continuer à poursuivre mon rêve. » Direction l’Autriche et l’Allemagne, où il a poursuivi sa formation avant de remporter le Trofeo Topolino, une compétition réservée aux jeunes talents, en 2012 et 2013, succédant au palmarès à des skieurs comme Benjamin Raich, son autre idole, Beat Feuz ou encore Henrik Kristoffersen. Le tout devant notamment Marco Odermatt, comme on peut le découvrir dans l’ouvrage consacré au génie nidwaldien.

Face à la mort à Sölden

À 17 ans, il a pris part à sa première course de Coupe du monde, à Sölden en 2014. C’est dans la station de l’Ötztal que sa vie a basculé une année plus tard. Après un entraînement sur le glacier du Rettenbach, la voiture dans laquelle il se trouvait sortait de la route et faisait une embardée de 250 mètres. Son entraîneur, l’ancien slalomeur slovène Drago Grubelnik, y perdit la vie. Albert Popov s’en est lui sorti miraculeusement avec une cheville cassée et un gros choc.

De retour dans le jeu quelques mois plus tard, sa progression a ensuite été linéaire. Après une médaille de bronze aux Championnats du monde juniors à Davos en 2018, il s’est installé l’hiver suivant dans le top 30 mondial des virages courts pour ne plus jamais le quitter. Et le petit Bulgare, grand par le talent, détonne par sa taille. Avec son mètre soixante-quatre, il dispose d’un centre de gravité très bas et est très dynamique sur les skis. Mais son gabarit présente autant d’avantages que d’inconvénients. « Je suis loin d’être favorisé sur les plats. Des gars comme Ramon Zenhäusern ou Clément Noël peuvent profiter d’avoir un mètre de jambes pour créer de la vitesse. Moi, mes pistes préférées, sont les plus verglacées et les plus pentues. »

Rêver toujours plus grand

Son succès dans le mur de la piste Canale Miramonti, tout comme ses performances de choix régulières à Kitzbühel ou Schladming, n’ont rien d’un hasard. Et Albert Popov, du haut de ses 27 ans, n’entend pas s’arrêter en si bon chemin. Ce matin-même, il était déjà de retour à l’entraînement à Madonna di Campiglio pour préparer au mieux le slalom d’Adelboden samedi. « Mes objectifs sont toujours très élevés. Si je vois quelqu’un être meilleur que moi, je vais tout entreprendre pour le battre. Quand je prends le départ, c’est pour viser la victoire, pas une 20e place. » Voilà ses adversaires avertis de l’appétit toujours grandissant du jeune papa qui virevolte sur les skis.

Johan Tachet