« J’ai une médaille d’argent! » Hugo Steinegger sourit. Le Berno-Valaisan de 80 ans a reçu des mains de l’Association Internationale du Sport (AIPS) une récompense honorifique pour célébrer sa participation à ses 28es Jeux olympiques à Paris. Seul un photographe italien, avec 29 Jeux, fait mieux. « Mais je compte bien le devancer », rigole celui qui a longtemps été attaché de presse de la délégation suisse avant d’être employé par plusieurs comités d’organisation puis par le CIO. Également vice-président de l’organisation des courses de Coupe du monde de ski à Crans-Montana jusqu’à cette année et président d’honneur des Championnats du monde 2027, Hugo Steinegger, désormais observateur, replonge dans son livre de souvenirs olympiques.
La première: Sapporo 1972
« J’étais le premier attaché de presse de Swiss Olympic. Il y en avait déjà pour les grandes nations comme les États-Unis, mais jamais auparavant pour la Suisse. Les représentants des médias se trouvaient à plus d’une heure des villages olympiques, dans des appartements. Mon travail était de communiquer entre l’équipe et les journalistes dans des conditions souvent compliquées. Avec moi, j’avais une petite machine à écrire et j’avais le droit de faire 5 copies par jour. Alors j’ai innové. J’ai écrit chaque jour un bulletin avec les nouvelles médicales, l’entraînement des athlètes et les petites informations. Cela donnait une ou deux pages par jour. Chaque soir, je me rendais au village des journalistes, à pied dans la neige, pour aller scotcher derrière la porte le papier. Chaque matin, ils avaient alors le programme à jour. C’était révolutionnaire. Les journalistes m’ont décerné une médaille honorifique à la fin. Et les journalistes des autres pays se demandaient comment les petits Suisses pouvaient toujours être informés. J’ai inventé, donc, en quelque sorte les communiqués de presse. »
Le premier défi: Entre bagarres et villages olympiques
« À Sapporo, il y a eu plusieurs histoires à gérer. La première est celle de Roland Collombin qui s’est retrouvé en prison après avoir fêté sa médaille. Rien n’avait filtré à l’époque et c’est Adolf Ogi, le chef de la délégation de ski, qui s’en est occupé. De mon côté, j’ai dû gérer une bagarre entre deux bobeurs dans la maison suisse. On avait Jean Wicky qui s’était qualifié et pas René Stadler, qui était le champion du monde en titre. Ensuite, il y avait deux villages olympiques. L’un pour les hommes et l’autre pour les femmes. Un jour, le matin, on a découvert que quelqu’un sautait par-dessus la barrière qui séparait les deux villages. C’était l’un de nos médecins qui allait voir une fille de l’autre côté. C’était un immense scandale à l’époque, mais son nom n’a pas été dévoilé. »
Les plus beaux Jeux olympiques: Lillehammer 1994
« À Lillehammer, la population vivait pour les Jeux. En Norvège, ils aiment le sport, la neige. C’était des Jeux à taille humaine dans une ambiance de folie. Les spectateurs campaient dans les forêts pour ne pas manquer les compétitions, car ils n’avaient pas d’hôtel. En été, j’ai trois éditions que je ressors. Pékin 2008 car c’était de la folie, une incroyable organisation, tout roulait parfaitement. Ensuite, Sydney 2000, c’était génial, aussi pour l’ambiance. Je mettais Londres 2012, mais je crois que désormais, je dois rajouter Paris. »
Les pires Jeux olympiques: Lake Placid 1980 et Atlanta 1996
« Je me rappelle que l’on avait dû attendre des bus pendant parfois deux heures à Lake Placid, lorsqu’ils venaient… Avec la délégation, nous vivions dans un bâtiment construit pour être une prison avec des portes métalliques. À Atlanta, il y avait trop de distances, les transports ne jouaient pas, il n’y avait pas d’ambiance. Il n’y avait pas d’âme. En revanche, rien à dire aux États-Unis sur Los Angeles 1984 et Salt Lake City 2002. »
Le plus grand souvenir: Marie-Theres Nadig à Sapporo 1972
« La double victoire de Marie-Theres Nadig en descente et en géant à Sapporo. Cela m’a marqué car c’étaient non seulement mes premiers Jeux olympiques, mais un sacré exploit inattendu. »
Le pire souvenir: Gabriela Andersen-Schiess à Los Angeles 1984
« Elle courait le marathon. Elle est arrivée dans le stade à bout de force et déshydratée. Elle était alors complètement désorientée et repartait même en arrière. Au final, elle est quand même parvenue très difficilement à terminer la course. Ensuite, il y a eu un énorme tapage médiatique autour de cette histoire. »
Hugo Steinegger avec la star de la gymnastique Nadia Comăneci lorsqu’il a reçu un titre honorifique pour ses 28e Jeux. (DR)
Le plus grand sportif olympique suisse de tous les temps: Pirmin Zurbriggen
« Il y en a plusieurs. En Suisse, on a vécu des exploits, mais il n’y a pas forcément de légendes olympiques. Il y a eu Pirmin Zurbriggen toutefois, c’est lui que je citerais. Sinon, je pense aussi à Markus Ryffel, qui a décroché la médaille d’argent à Los Angeles en 1984 sur 5000 mètres. »
Le meilleur sport olympique: Le ski alpin et le 100 mètres
« L’hiver, c’est le ski alpin, clairement. La finale de hockey sur glace est aussi spéciale pour moi, car j’ai longtemps travaillé dans ce milieu. En été, il y a bien sûr la finale du 100 mètres mais il y a aussi de nombreuses autres disciplines qui valent le coup. »
Le sport que vous préférez aller voir en été: L’équitation, l’athlétisme et le tennis de table
« J’y ai réfléchi avant ces Jeux de Paris. J’ai d’abord placé l’équitation sur ma liste. J’aime ce sport, également car ma fille en a fait. Il y a également l’athlétisme. Et c’est étonnant, mais j’ai découvert un sport ici, le tennis de table. C’est spécial mais le spectacle est incroyable sur cette toute petite surface. C’est passionnant, j’y suis allé deux fois. Ça bouge peut-être moins que d’autres sports mais le niveau est tel aujourd’hui que c’est génial. Pour les Français, Félix Lebrun est une vraie vedette, l’une des stars de ces Jeux. »
Le meilleur moment de Paris 2024: Les médailles de Félix Lebrun et Teddy Riner
« Il y a eu la médaille de Félix Lebrun donc, mais également l’exploit de Teddy Riner qui maintenant compte cinq médailles d’or olympique (3 en individuel et 2 par équipes) à son palmarès. Je trouve génial ce qu’il a réussi et la manière dont il l’a fêté. Il est formidable. J’ai adoré, peut-être aussi car j’ai tiré des parallèles entre le judo et la lutte suisse que j’aime beaucoup. »
Une image marquant des Jeux: L’allumage de la vasque olympique par Mohamed Ali à Atlanta
« Mohamed Ali qui a allumé la vasque, c’était pour moi encore plus marquant que Céline Dion qui chante cette année par exemple. Je mets ça dans une autre catégorie. Pour moi, les Jeux restent du sport et Ali a été élu sportif du siècle. J’ai en plus eu la chance de voir l’un de ses combats, c’était extraordinaire. »
Le pire moment: La prise d’otage et les assassinats de Munich 1972
« J’étais tout proche, à 200 mètres seulement dans un garage souterrain. J’ai vu les terroristes entrer dans le garage mais je n’ai pas réalisé ce qu’il se passait. J’ai ensuite rejoint les logements suisses, tout proche, et on n’a quasiment pas pu sortir durant plus d’une journée. On voyait l’autre maison où se déroulaient les faits, elle était très proche de la nôtre! En plus, ce n’était que mes deuxièmes Jeux. En tant que chef de presse, j’ai dû donner passablement d’informations. J’étais spectateur. »
Jeux olympiques d’hiver ou d’été?
« D’hiver! J’aime les deux mais j’ai une relation particulière avec les Jeux d’hiver. »
Laurent Morel & Johan Tachet, Paris