La neige tombée en abondance ces derniers jours à Zermatt a offert des paysages féériques mais surtout contraint les organisateurs à renoncer à la tenue des deux descentes masculines prévues sur la Gran Becca. Le projet est-il trop ambitieux? Éléments de réponse.

Ce dimanche, c’est sous un épais manteau blanc, dans un paysage hivernal de rêve, que s’est réveillée la station de Zermatt. Avec la gueule de bois, en quelque sorte. Car si la décision était actée depuis bien longtemps, elle a été confirmée à 6h30 par la FIS. Non, il n’y aura pas de descente masculine cette saison au pied du Cervin. Mère Nature a encore une fois donné trop de fil à retordre aux organisateurs. Et si samedi, le grand soleil qui brillait sur la Gran Becca pouvait laisser quelques regrets au Cirque blanc, la météo dominicale ne laissait guère place au doute.

Le défi que représente l’organisation du “speed opening” est donc trop escarpé jusqu’à aujourd’hui. La Coupe du monde et Zermatt, c’est réellement un rendez-vous manqué. “Ce n’est malheureusement pas ce qu’on espérait, concède Franz Julen, président du comité d’organisation. Mais on a encore deux chances supplémentaires avec les descentes féminines. On ne va pas abandonner, on reste positif. Je suis persuadé que ces courses ont une raison d’être.” Et si des chutes de neige sont encore annoncées lundi et mardi, les prévisions sont plus favorables dès mercredi entre le Valais et le Val d’Aoste.

De (trop?) nombreux paramètres

Pour que cela fonctionne, le nombre de paramètres à prendre en compte ne rencontre pas d’égal sur le circuit. Les descentes sont organisées entre deux pays avec des lois et des cultures différentes, avec des équipes différentes, entre deux vallées avec une météo potentiellement différentes, sur des altitudes jamais encore explorées par le ski de compétition (départ à 3720 mètres, arrivée à 2840 mètres). En plus de cela, il faut que l’ensemble des remontées mécaniques puissent tourner tant depuis Zermatt que depuis Cervinia, que les hélicoptères puissent voler pour des questions de sécurité (si un athlète doit être transporté à l’hôpital) et que la neige soit présente en quantité suffisante, ce qui n’avait pas été le cas en 2022.

“Au final, c’est toujours Mère Nature qui a le dernier mot, rappelle Markus Waldner, directeur de la Coupe du monde masculine. On va réfléchir aux meilleurs options pour le futur.” Sauf que ces options justement, sont (très limitées). “Avec le retrait de Lake Louise, on doit déjà faire avec un week-end de pause dans le calendrier masculin, poursuit l’Italien. Ce n’est pas bon pour nous. Et si la solution de Levi est envisageable pour la technique, il n’existe aucune autre alternative que Zermatt/Cervinia pour la vitesse en Europe en novembre.” Pour rappel, ces courses au pied du Cervin font partie d’une stratégie sur cinq ans entre les comités d’organisation, Swiss-Ski, la fédération italienne (Fisi) et la FIS.

La seule fenêtre possible dans le calendrier

Et repousser ces courses de plus de deux semaines (ce qui a été le cas entre 2022 et 2023) n’est pas non plus une solution pour Franz Julen. “Je suis convaincu que les bonnes dates se situent entre le 5 et le 20 novembre, affirme le président du comité d’organisation local. Et pour nous, c’est la seule et unique fenêtre possible de toute façon. Plus tard, la météo est plus instable et la saison touristique commence. Nous ne pourrions pas profiter de l’aide mise à disposition par les remontées mécaniques et il serait impossible de préparer la piste.”

Et la possibilité de mettre en place les courses au printemps est balayée d’un revers de main. “Préparer un glacier en mars, c’est encore bien plus de travail que l’automne, rappelle Franz Julen. Il faut modeler 4 ou 5 mètres de neige tombés durant l’hiver. Par ailleurs, la météo n’offre aucune garantie non plus et les hôtels dans les stations de Zermatt et Cervinia sont de toute façon pleins.” Fin de non-recevoir, donc.

“On nous demande souvent de poursuivre la Coupe du monde plus tard dans la saison jusqu’en avril, mais les conditions ne sont pas forcément acceptables, poursuit Markus Waldner. Les Championnats nationaux organisés dans les différents pays le prouvent. Souvent, il pleut ou on peine à garantir une météo favorable. Et la neige n’est pas non plus de qualité suffisante. Ce n’est pas une solution.”

Une image positive

Alors même si Zermatt se serait bien passé de ces annulations après les différentes révélations sur le travail illégal des pelleteuses sur le glacier du Théodule, les organisateurs ont en partie réussi leur coup. Les sponsors ont pu montrer leurs logos et leurs produits au pied du Cervin. Samedi soir, la Matterhorn Night réunissant le gratin du ski suisse avait tout du gala réussi. Et les tirages au sort organisés vendredi et samedi en présence des meilleurs descendeurs de la planète ont fait le plein, même si l’ambiance était plus distinguée qu’à Adelboden, par exemple.

Et si Franz Julen n’a pas voulu communiquer le budget des courses, le retour sur investissement semble être assuré, surtout que les assurances ont pris en charge les coûts des annulations. “Et nous remboursons les billets”, se félicite le patron de ces épreuves, qui rappelle que personne d’autre ou presque ne fait de même sur le Cirque blanc. “Mais même si les revenus sont garantis et que nous avons pu montrer que Zermatt est prête pour l’hiver, ça me fait mal pour tous les bénévoles, pour les gens qui ont mis beaucoup de coeur et beaucoup de passion dans ce projet.”

Et au sein des équipes, on ne veut pas non plus trop élever la voix. Notamment car on est également conscients que Zermatt est un des seuls endroits où il est possible de s’entraîner à cette période de l’année. “Zermatt n’a pas besoin de ces courses, rappelle Franz Julen. Nous voulons simplement aider le ski de compétition. C’est d’ailleurs pour ça qu’on propose des jours d’entraînements autour de ces courses (lire ici). Malheureusement, le ciel a vraiment joué contre nous cette année. Mais comme je l’ai déjà dit, aussi longtemps que les gens y croient ici, on continuera!”


“Nous sommes des montagnards, robustes”

L’une des pelleteuses de la discorde. (LMO/SkiActu)

Franz Julen, c’est dur de subir ces annulations après les critiques des dernières semaines?

Nous sommes des montagnards, robustes. Et je n’ai jamais rien eu contre des critique objectives. Nous avons par exemple reçu des critiques de skieurs. La descente était apparemment trop longue, on a abaissé le départ. Le vent peut être un problème, nous avons trouvé trois départs alternatifs.

Ce qui me gêne plus, ce sont les critiques non objectives, quand on nous accuse notamment d’avoir travaillé le glacier avec de l’eau, que nous avons fabriqué de la neige sur le glacier ou que nous l’avons démoli, brisé. Tout ça est faux! Mais ça fait partie du jeu aujourd’hui malheureusement. Le plus important, dans les montagnes, où le tourisme joue un rôle prépondérant, c’est que nous ayons une approche touristique qui garde du respect envers la nature, que nous trouvions le bon équilibre entre commerce et nature. C’est aussi ce que veulent les visiteurs. Zermatt est un exemple. Nous ne pouvons pas permettre a une petite minorité de détruire le tourisme.

Et vous allez prendre encore plus de précautions pour la saison prochaine?

L’année prochaine, nous allons faire le même travail sur le glacier. Exactement le même travail ou nous ne ferons pas de course! C’est aussi pour le ski en général sur le glacier, pour l’entraînement des juniors. On doit l’accepter. Il faut mettre cela en perspective. Trois pelleteuses travaillent pendant trois semaines pour boucher des crevasses. Comment peut-on comparer ça à ce qui se passe ailleurs sur la planète avec le climat? Cinq mille personnes peuvent faire une croisière de 3 semaines sur un énorme paquebot, faire le tour de monde, et personne ne dit rien. Et nous sommes traînés dans la boue pour 3 semaines de travail avec des pelleteuses. Et ça s’est aussi déroulé une semaine avant des élections en Suisse…

Laurent Morel/SSW, Zermatt