Lundi matin, dans l’un des couloirs blancs réservés des pistes de Reiteralm, Luca Aerni est le seul slalomeur suisse à répéter ses gammes entre les piquets. Noel von Grüningen et Joel Lütolf à Hinterreit, les autres en récupération à l’hôtel après le slalom de Kitzbühel, le skieur de Crans-Montana profite d’une séance privée en compagnie de ses coaches Matteo Joris, Thierry Meynet et Thomas Stauffer. Un entraînement nécessaire pour l’athlète du Haut-Plateau, passé au travers de sa course dimanche sur la Ganslern, qui avait souri à Daniel Yule.

L’objectif pour Luca Aerni: retrouver la confiance en son ski à la veille du slalom nocturne de Schladming, la course la plus attendue de l’hiver pour les spécialistes des virages courts. Le Valaisan dévalera ce mardi soir, devant plusieurs dizaines de milliers de fans déchaînés, la mythique piste de Planai pour la dixième fois en compétition. Pour l’occasion, le champion du monde du combiné de 2017 en profite pour analyser son début de saison, revenir sur son évolution depuis une décennie sur le Cirque blanc, tout en se plongeant dans l’avenir, avec un regard tourné vers les Championnats du monde de Crans-Montana, chez lui, en 2027.

Luca Aerni, vous avez totalement manqué votre première manche dimanche à Kitzbühel (48e). Que s’est-il passé?

Je n’ai pas réussi à attaquer, j’étais un peu bloqué et cela s’est remarqué assez vite. Je n’ai pas osé. La neige était très spéciale et si on n’y va pas, ça ne peut pas payer.

Mais pourquoi vous n’êtes pas parvenu à attaquer?

Je ne sais pas, honnêtement. Aux entraînements, cela allait bien, même si je n’étais pas le plus rapide. Mais la piste, la neige, les mouvements de terrain… J’ai été bloqué. À part la toute première fois sur la Ganslern (ndlr: 5e en 2014), je n’ai jamais été à l’aise sur cette piste, même si l’an dernier (13e), j’étais content de ma performance. Mais je ne suis pas parvenu à prendre cela avec moi.

Pourtant, vous retrouviez enfin une neige dure et des conditions que vous aimez…

Exactement. C’est vraiment dommage car lors des trois slaloms précédents, où je me suis retrouvé dans des conditions molles qui ne me plaisaient pas, j’étais bien physiquement et mentalement. Et là, à Kitzbühel, le jour où il fallait être en forme, je n’ai pas réussi à être prêt.

C’était un problème mental?

Je dirais qu’il y avait un côté mental et un autre côté où je n’ai pas eu confiance en mon matériel. Et après, c’est l’effet boule de neige. Tu t’élances et tu ne peux plus te reprendre sur la piste.

Il y a déjà eu quatre slaloms en ce mois de janvier. Existe-t-il une frustration de ne pas parvenir à exploiter pleinement votre potentiel?

Je sais que j’ai eu de la peine avec les conditions tant à Garmisch-Partenkirchen, qu’à Adeldoden et à Wengen, puis à Kitzbühel, le problème était d’aller chercher mes limites. Ça arrive, malheureusement. Nous ne sommes pas des machines, mais cette contre-performance m’a permis d’analyser ce que j’ai fait de faux. J’en ai remis une couche à l’entraînement, seul ce lundi. J’ai pu voir que tout fonctionne. Simplement, je n’ai pas réussi à envoyer hier (ndlr: dimanche). Aujourd’hui (lundi) à l’entraînement, j’ai réussi à me mettre dedans dès la première manche, sur un parcours difficile, avec les traces des passages d’autres athlètes pour simuler les conditions de mon numéro de dossard (23 ce mardi à Schladming).

D’ailleurs, à Schladming, vous allez retrouver une piste gelée et pentue qui, comme celle de Madonna di Campiglio, correspond davantage à vos qualités. Cela permet d’aborder cette course avec un autre état d’esprit?

Exactement, je vais me pousser à mes limites. Et je sais que quand j’y parviens, je suis plus sûr sur mes skis, tout se met en place. Et le plaisir va revenir, je dois le retrouver après l’avoir un peu perdu lors de ces courses de janvier. Il y a beaucoup de possibilités de bien faire.

C’est la première fois depuis le début de ce mois des slalomeurs que vous vous dites: « Enfin cette course est pour moi »?

Franchement, avant Kitzbühel, je me sentais bien… J’ai mes qualités, je sais que je vais les démontrer. Si ce n’est pas à Schladming, ça sera un autre jour. Mais je me sens bien, cela fait vraiment depuis le début du mois de janvier, même avant, que je le suis.

Existe-il également une pression pour décrocher votre billet pour les Championnats du monde (ndlr: Luca Aerni a besoin d’un top 15 pour valider son ticket) de Courchevel/Méribel?

Je sais que je n’ai pas encore rempli les critères, mais ça ne sert à rien d’y penser finalement. Plusieurs gars de l’équipe ont déjà réussi les minima et je dois faire un exploit si je veux y aller. Mais mon but est déjà de trouver ma limite et si j’y parviens, je sais que l’exploit est possible. Je pense à moi et à mes qualités.

Avec votre profil d’athlète polyvalent, qui est rare dans l’équipe de Suisse, n’avez-vous pas la garantie de pouvoir participer au moins au combiné des Mondiaux?

Pas du tout, car il n’y a eu aucune compétition pour se qualifier avant. On ne sait pas comment et sur quels critères les entraîneurs vont choisir les quatre athlètes qui participeront à la course. Mais je ne me pose pas la question, je me concentre sur mon slalom, sachant que pour le moment je ne me suis pas entraîné en vitesse cette année.

Mais en tant qu’ancien champion du monde de la discipline, il vous plairait naturellement de participer à ce combiné?

Si je peux le faire, et que j’ai le temps de faire deux jours d’entraînement en vitesse un peu avant, j’aimerais bien être au départ. Mais ce n’est plus un objectif comme auparavant où il y avait aussi d’autres courses dans cette discipline durant la saison. Loïc (Meillard), Alexis (Pinturaut) et (Marco) Schwarz s’entraînent dans les deux disciplines durant l’hiver, nous, les autres, nous concentrons sur d’autres choses et faisons comme nous le pouvons.

On vous a vu en géant par le passé en Coupe du monde, continuez-vous toujours à vous y entraîner?

Oui, j’ai fait un jour à Hinterreit récemment. Je garde le géant d’un côté. J’ai besoin encore de faire une course FIS en fin de saison pour baisser mes points et ainsi pouvoir profiter de meilleurs dossards en FIS ou en Coupe d’Europe.

Avec la perspective, à terme, de pouvoir concourir dans deux disciplines en Coupe du monde?

Oui, mais on voit qu’il n’y a pas beaucoup de places dans l’équipe de Suisse. Les jeunes poussent derrière. Pour le moment, c’est un entraînement à côté. Cela sera différent quand j’aurai totalement retrouvé la clé en slalom, le géant sera aussi plus facile.

Revenons au slalom, vous vous rappelez de votre premier slalom nocturne à Schladming en 2014?

Oui, c’était juste avant les Jeux olympiques de Sotchi. Je me souviens que Steve (ndlr: Locher, l’entraîneur de l’équipe de Suisse à l’époque) avait tracé la première manche. On sortait d’un excellent Kitzbühel sur un tracé technique et là, il nous fait une autoroute. Au final, personne ne s’était qualifié pour la seconde. Après ma 5e place de « Kitz », je suis vite retombé sur terre (rires).

Cela fait une décennie que vous skiez en Coupe du monde. Ça passe vite…

Oui, très vite même. Mais on vit toujours de nouvelles expériences, on ne s’arrête jamais de progresser et c’est pour cela que c’est toujours intéressant.

La passion est toujours intacte?

Parfois, on se dit quand même: « purée, ce slalom, c’est chiant » (rires). Car on sait que dans cette discipline tout doit fonctionner. Justement, c’est ce que j’aime, c’est le challenge pour trouver la clé dans toutes les conditions. Je pense l’avoir trouvée dans les conditions faciles, mais dès que c’est extrême, avec le sel, j’ai encore de la peine.

Avec l’expérience, est-il plus facile à gérer les hauts et les bas d’une carrière?

Je sais mieux situer mes forces et mes faiblesses. Cela me donne une confiance en moi différente. Si je sais que la neige est facile, je peux me libérer. Après, sur les autres neiges, je sais que je dois me forcer.

Vous avez été champion du monde en 2017 de combiné. Une saison plus tard, vous êtes dans le top 7 mondial du slalom. N’avez-vous pas l’impression d’avoir été freiné dans votre progression?

Si on parle qu’en terme de résultats, j’ai clairement été freiné. Après, je me suis un peu perdu aussi avec les entraînements, avec mon matériel, c’est aussi pour cela que j’ai changé de marque entre temps. Par contre, en tant que personne, j’ai beaucoup appris. C’était aussi joli de retrouver le haut niveau après une saison où j’étais totalement perdu (ndlr: 14e en slalom lors de la saison 2021-2022 après avoir terminé 50e l’hiver précédent).

Vous vous considérez comme un ancien dans l’équipe de Suisse, désormais, alors que vous n’avez que 29 ans?

Un petit peu. Les jeunes poussent derrière. Je me mets à la place de Marc Gini quand on est arrivés dans l’équipe. On se disait: « En fait, dans la tête, ils ne sont pas si vieux ». J’espère que les jeunes pensent également la même chose de moi aujourd’hui (rires).

Comment gérez-vous désormais l’approche des courses avec les années?

A l’époque, quand ça n’allait pas bien, je me disais: « Tu dois te mettre dans les trente lors de la prochaine course ». Mais j’ai appris à regarder plus en avant, au-delà du résultat. Et c’est comme ça que j’avance. Avec des petits buts à court terme, évidemment, mais également penser plus loin, à deux-trois ans en avant.

Vous ne vous voyez pas continuer plus loin que trois saisons?

Je n’ai pas de limite pour le moment. On le voit avec Razzoli (38 ans), même s’il a des problèmes de dos en ce moment, et avec Dave Ryding (36 ans). Tout est possible, on peut être compétitif malgré les années. Et j’espère mûrir, comme le bon vin… (rires)

Avec la perspective de disputer en 2027 les Championnats du monde, chez vous, à Crans-Montana?

Ça, ce serait magnifique. C’est quand même un petit but. L’été, j’y pense souvent quand je vais courir dans la montagne, que je passe sur la piste. Disputer cet événement à la maison, ce serait incroyable.

Et ce serait sympa de remporter une seconde vache qui s’appellerait « Nationale », comme la piste masculine de Crans-Montana, pour accompagner Corviglia (ndlr: du nom de la piste de Saint-Moritz où il a été champion du monde) dans les pâturages de la station du Haut-Plateau?

Ce serait vraiment pas mal (rires)!

Johan Tachet, Schladming