Katharina Althaus survole le tremplin flambant neuf de Prémanon posant délicatement un télémark à 94 mètres. L’Allemande, double lauréate du week-end de compétitions en France voisine, est l’actuelle patronne du saut à ski féminin, une discipline qui prend progressivement son envol. Il y a deux semaines dans le Jura français, à moins d’un kilomètre à vol d’oiseau de la frontière suisse, ce sont plus d’une soixantaine d’athlètes de dix-sept pays différents qui ont pris part au second rendez-vous de la Coupe du monde féminine de l’hiver. “En l’espace de quatre ans, le nombre de sauteuses inscrites a sensiblement augmenté et le niveau est devenu extrêmement dense”, analyse Jérôme Laheurte, directeur des équipes de France de saut et de combiné nordique. “Désormais, les filles se rapprochent du niveau international des hommes.” 

Pourtant, rien n’a été facile pour ces femmes volantes afin de se faire accepter et dépasser les préjugés dans un milieu, qui était jusqu’il y a peu, exclusivement masculin. Sautons plus de dix ans en arrière. En 2005. Le CIO refuse l’intégration du saut à ski féminin au programme olympique pour un manque de niveau. Président de la FIS, le Grison Gian-Franco Kasper justifiait lui cette décision par le fait que “le saut à ski ne semble pas approprié aux filles d’un point de vue médical” car il pouvait rendre stérile. Alors que le coach russe de saut Alexander Arefyev estimait que le saut détournait les femmes de leurs… devoirs ménagers.

Evolution des mœurs

A l’époque, l’Américaine Lindsey Van, à ne pas confondre avec la descendeuse Lindsey Vonn, s’est démenée pour que sa discipline soit pleinement considérée.  “Ces messieurs doivent comprendre que mes organes reproducteurs sont à l’intérieur”, avait-elle répondu à Kasper. “Ils ont sûrement un problème d’ego et peur que l’on bouscule l’ordre établi”. Jérôme Laheurte reconnaît l’esprit “macho” qui régnait dans le sport. “Les dirigeants estimaient que cette discipline était trop exigeante pour les filles. Heureusement, les mentalité sociétales et sportives ont évolué, car ces sauteuses sont aussi courageuses que les hommes.”

La Française Léa Lemare en pleine action. (Jura Ski Events)

Les dames sautent aussi loin que les hommes

Si ces dames ont participé aux Mondiaux de 2009 et à leur première Coupe du monde en 2012, elles ont dû patienter jusqu’à Sotchi en 2014 pour intégrer le programme olympique après une longue bataille juridique contre la discrimination de genre. Quatre ans plus tard, et pour la première fois cette saison, le calendrier féminin comprend autant de concours sur grands que sur petits tremplins.

Toutefois, pour pouvoir bénéficier de ce privilège, les sauteuses ont livré un nouveau bras de fer avec la FIS. “Nous avons dû nous battre pendant plusieurs années”, assure l’Allemande Carina Vogt, première championne olympique de l’histoire. “La fédération disait qu’il y avait trop peu de filles qui possédaient les qualités pour sauter sur un grand tremplin. Nous avons démontré que l’on était tout aussi capable que les garçons.” Preuve en est, Katharina Althaus s’est posée à 139,5 mètres lors de sa victoire à Lillehammer au début du mois de décembre, une distance qui n’a rien à envier à celles réussies par les meilleurs athlètes masculins en mars dernier sur ce même tremplin.

Une Tournée des quatre tremplins féminine?

En quête de davantage de reconnaissance et de médiatisation, les sauteuses ne veulent pas en rester là. “Nous souhaitons disputer notre propre Tournées des quatre tremplins, concourir les Mondiaux et les Jeux olympiques sur grand tremplin et prendre part à des concours par équipe mixte”, expose Katharina Althaus qui a pris goût à parfois s’envoler à plus de 140 mètres. “Les sensations sont telles que l’on n’a plus envie de revenir sur des petits tremplins”, rigole-t-elle avec l’espoir que son sport puisse encore faire un bond en avant ces prochaines années. En attendant, le CIO a déjà accepté d’inscrire un concours mixte aux Jeux, dès 2022.

Johan Tachet, de Prémanon

Mardi: L’état actuel du saut à ski féminin en Suisse