La tension avant la délivrance. En franchissant la ligne avec son dossard 7 et “seulement” 0″22 d’avance sur l’Autrichienne Myriam Puchner, Lara Gut-Behrami a eu le sentiment que son chrono ne suffirait pas pour aller décrocher l’or. “J’étais tellement nerveuse, bien plus qu’au départ, car je n’étais totalement contente de ma manche”, sourit-elle, les yeux mouillés, effaçant le souvenir douloureux d’avoir manqué le podium olympique pour 0″01 il y a quatre ans à PyeongChang. Elle ajoute enfin à son incroyable palmarès la plus belle des médailles, la dernière qui manquait à son incroyable palmarès, en remportant le super-G. “J’aimerais en profiter, mais je pense que je vais avoir besoin de quelques jours de plus pour comprendre ce qui se passe.”

Une médiatisation lourde à porter

La Tessinoise est ainsi, toujours pleinement concentrée sur la performance, qu’il lui est difficile de se rendre compte pleinement de l’exploit réalisé sur le moment. “Cela a toujours été l’un de mes défauts”, assure celle qui est devenue la première Suissesse championne olympique de super-G. Il est vrai que la “bombe de Comano” a été élevée dans le culte de la performance bien avant ses débuts en Coupe du monde à 16 ans.

Et son arrivée fracassante sur le Cirque blanc n’a fait qu’accentuer la pression pesant sur ses spatules, faisant d’elle la future grande championne de ski que la Suisse attendait depuis Vreni Schneider. “A l’époque, je n’étais qu’un enfant, je ne savais pas comment gérer ces choses. Après trois, quatre victoires, tout le monde s’attendait à ce que j’en gagne rapidement une dizaine et davantage.” Lara Gut-Behrami a alors grandi sous les feux des projecteurs, ne sachant plus si elle skiait pour elle ou pour les autres. “Parfois, j’étais complètement perdue, je me demandais si je faisais les choses pour moi ou parce qu’on me le demandait.”

Des changements de vie salutaires

Le déclic intervient en février 2017. Dix mois après son sacre au classement général, la skieuse de Comano se blesse au genou gauche avant la manche de slalom du combiné des Championnats du monde de Saint-Moritz. “Cette blessure a changé ma vie”. A partir de là, Lara Gut-Behrami décide de prendre les choses en main et de structurer sa vie. Elle rencontre le footballeur Valon Behrami quelques mois plus tard, avec qui elle se mariera à l’été 2018. “Ça a été la clé pour que je change ma façon de penser. J’aime le ski, mais j’ai compris à ce moment-là que ce n’était pas toute ma vie. Cela m’a enlevé toute la pression que je me mettais avant pour remporter une médaille d’or.”

Ce n’est pas un hasard si la nouvelle Lara Gut-Behrami a été la grande dame des Mondiaux de Cortina d’Ampezzo l’an dernier où elle a enfin remporté le plus beau des métaux dans une grande compétition, et plutôt deux fois qu’une, en géant et super-G. Avec une nouvelle mentalité. “Depuis, je veux juste profiter, sans pression.” Alors qu’elle a désormais atteint la trentaine, elle sait parfaitement se gérer, à l’image de cet hiver compliqué. Après un début de saison perturbé par un refroidissement puis par le Covid-19 et des performances mitigées, elle n’hésite pas à renoncer aux épreuves de Garmisch-Partenkirchen avant les Jeux pour se ressourcer à la maison. “Je n’avais plus d’énergie. Je me disais que si je continuais, j’allais me crasher. Je suis rentrée à la maison pour recharger les batteries, c’est le seul endroit où je me sens en sécurité. Et c’était la meilleure décision que j’ai prise.”

A Yanqing, c’est une Lara Gut-Behrami revigorée qui a débarqué sur la neige chinoise en compagnie de son entraîneur de père Pauli. La médaille de bronze “inattendue” lors du géant lui a donné des ailes. “Je n’avais pas forcément de grandes sensations, mais je m’étais montrée performante.” Elle a alors abordé le super-G “sans stratégie”, juste avec l’envie “de bien skier”. “Par le passé, je pensais trop à ce que je devais faire.” Et en skiant pour elle, Lara se fait plaisir. Et au bout, il y a de l’or au rendez-vous.

Johan Tachet, Zhangjiakou