C’est dans la peau de la leader du classement général de la Coupe du monde de ski alpin que Lara Gut-Behrami débarque cette semaine à Crans-Montana. Avec trois courses de vitesse au programme, deux descentes et un super-G, et l’absence de sa dauphine Mikaela Shiffrin, toujours convalescente, la Tessinoise pourrait frapper un grand coup sur le Haut-Plateau et se rapprocher d’un second grand Globe de cristal après celui remporté en 2016. “Il est vrai qu’à l’extérieur, beaucoup de gens en parlent, mais de mon côté je me concentre sur mon ski”, lance-t-elle. “Calculer les points, compter les courses restantes, c’est la meilleure manière pour ouvrir la porte aux problèmes et aux doutes.”

Éviter les pensées parasites et faire plutôt parler son ski, tel est le credo depuis plusieures saisons de la skieuse aux 43 victoires en Coupe du monde. Grâce à son expérience, Lara Gut-Behrami, qui se trouve sur le circuit depuis plus d’une quinzaine d’années désormais, maximise sa performance en tentant de minimiser les sollicitations extérieures. La difficulté est là, trouver l’équilibre pour ne pas perdre inutilement de l’énergie. Jamais simple lorsque l’on est une athlète de renom, multiple médaillée mondiale et olympique, à l’apogée de sa carrière. “Tu fais ta course, tu dis aux gens que tu aimerais du temps pour te reposer, et on râle. De l’autre côté, tu savoures ton temps à disposition des enfants venus voir la course, tu comprends que cela leur fasse plaisir, mais le jour d’après tu es fatiguée et tu fais une course horrible. Quelle est la solution?”, questionne-t-elle en faisant également référence à ses obligations médiatiques mais aussi sportives avec les nombreuses remises de prix et tirages au sort de dossards le soir venu en station, sans parler des demandes des sponsors. “Le sport est devenu un show, mais il est toujours plus difficile de trouver cet équilibre.”

Une gestion du quotidien en questions

Elle l’avoue, avec l’enchaînement des courses, la répétition des efforts et les nombreuses sollicitations, qu’elle décline lorsqu’elle le peut, “l’énergie vient à manquer” en cette fin de saison. À Cortina d’Ampezzo, elle a pu s’accorder une sieste de 30 minutes sur les trois jours de compétitions. Si pour Lara Gut-Behrami, la fatigue est une résultante du programme quotidien drastique que mènent les meilleures skieuses de la planète, les nombreuses blessures de cet hiver ont bien d’autres origines. “D’une certaine manière, beaucoup d’athlètes n’arrivent pas à gérer tout ce qu’elles font. Ce n’est pas seulement la faute du calendrier surchargé ou du programme du soir. Mais il y a beaucoup de facteurs que les athlètes sous-estiment.”

Lara Gut-Behrami en conférence de presse. Un exercice qu’elle tente de limiter au maximum. (LMO/SkiActu)

Dans le viseur de la Tessinoise, des sportives qui perdent trop de temps sur les réseaux sociaux. “Il faut être conscient que si tu veux faire la star sur Instagram, partager ta vie et ensuite tu te blesses, c’est peut-être aussi là qu’il faut regarder. Beaucoup d’athlètes doivent apprendre à optimiser leur temps à disposition.” Lara Gut-Behrami l’a bien compris. Elle a volontairement quitté les réseaux sociaux en 2018. La raison première? Ce n’était pas elle, l’image qu’elle renvoyait sur les différentes plateformes numériques. “À l’époque, je voyais les meilleures skieuses de la planète et je me disais qu’il fallait faire pareil, les copier, faire le show. Mais après ma blessure (ndlr: Aux Mondiaux de Saint-Moritz en 2017), je me suis rendue compte que j’étais diamétralement différente de la personne que je montrais sur les réseaux sociaux. Je me sentais mal à l’aise dans ce que je faisais, car mon objectif était de prendre du plaisir sur les skis uniquement.”

Entre Instagram ou skier, il faut choisir

Rares sont les athlètes qui ont choisi de se concentrer pleinement sur leur sport au détriment de leur communauté et de leurs fans. Et Lara Gut-Behrami skie aussi vite qu’elle envoie des tacles glissés. “Tu peux capitaliser sur ce que tu postes, mais je me demande combien de skieurs sont heureux de leur vie, conscients de ce qu’ils sont en train de faire. Ils sont présents le soir sur Instagram, mais pas lors de la course, car beaucoup gagnent mieux leur vie en-dehors de la piste que dessus.” Naturellement, Lara Gut-Behrami possède le palmarès et l’aura qui lui permettent d’éviter de perdre du temps sur les différentes plateformes ou simplement de se promouvoir. Toutes les skieuses ne sont pas logées à la même enseigne et la visibilité de leurs sponsors sur internet est une source vitale de revenus.

Toujours est-il que son absence des réseaux sociaux fait partie de sa stratégie dans le but d’être la plus efficiente possible sur les skis, tout comme le nombre d’interviews qu’elle donne est calibré. “Il y a deux ans, j’ai manqué dix courses car j’étais malade et fatiguée. Je me suis dit plus jamais. Mon but est de participer à toutes les compétitions.” C’est sur la neige qu’elle entend uniquement s’exprimer. “Je gagne ma vie sur les skis, car je ne fais rien d’autre. Je touche du bois, mais c’est en prenant ces décisions que je suis encore en train de skier.” Et de gagner, car à 32 ans, Lara Gut-Behrami n’a jamais semblé aussi forte.

Johan Tachet/LMO, Crans-Montana