Au milieu de l’athlétisme, du judo, du VTT, ou encore de l’escrime, le saut à ski détonne dans le programme des troisièmes Jeux européens qui ont débuté la semaine dernière à Cracovie. Ce mardi, en Pologne, un pays mordu de ce sport, les meilleurs sauteuses et sauteurs du continent s’envoleront pour la première fois dans une manifestation estivale de cette envergure.

“Je me réjouis de participer à cet événement”, reconnaît Gregor Deschwanden, actuellement sauteur le plus régulier de notre pays qui a terminé dans le top 30 mondial lors des trois dernières saisons et qui visera une médaille sur le tremplin de Zakopane. “Être aux Jeux européens, c’est l’occasion, au contraire des autres sports d’hiver, de démontrer que le saut à ski est un sport hybride. C’est une chance énorme de montrer qu’il existe des possibilités futures d’organiser des compétitions.”

Dans un contexte où le changement climatique est un sujet préoccupant pour les disciplines hivernales, le saut à ski entend assurer son avenir. “Il y a réellement un créneau intéressant”, explique l’ancien sauteur helvétique Sylvain Freiholz. “Le saut à ski est un sport quatre saisons depuis les années 70. Il existe une tournée estivale, le Grand Prix d’été, depuis 1994, qui n’a cependant pas la résonance des Quatre Tremplins ou du Raw Air. Et d’un point de vue écologique et médiatique, le saut à ski a tout à gagner.”

Une Coupe du monde annualisée?

Il est vrai que suiveurs et athlètes s’inquiètent de l’avenir de leur sport lorsque chaque année les températures augmentent et que la couche de neige diminue. “Ce n’est pas à exclure que les compétitions estivales soient l’avenir de notre sport”, mentionne Sina Arnet, la meilleure spécialiste helvétique. Pour Killian Peier, le saut à ski doit rester un sport hivernal. “Je n’espère pas que le changement climatique aille aussi loin, que l’on n’ait plus de neige et que l’on soit forcé de faire une discipline d’hiver en été.” C’est le cas pourtant, comme l’assure Sylvain Freiholz. “La réflexion mérite d’être lancée”, poursuit le consultant de la RTS. “Plein de choses vont être chamboulées dans les vingt prochaines années. Le ski alpin va au devant de gros soucis d’enneigement. Aura-t-on encore des courses sur la Streif ou le Lauberhorn? Le ski de fond devra également évoluer. Ce n’est pas un hasard si de nombreuses stations de ski se tournent de plus en plus vers le VTT. Mais, contrairement à tous les sports hivernaux, le saut à ski a l’avantage de pouvoir se pratiquer sur douze mois.”

Pour la première fois la saison dernière, la Coupe du monde s’était d’ailleurs ouverte début novembre à Wisla sous un format hybride avec un tremplin glacé pour une réception sur du gazon synthétique. Une expérience qui ne sera toutefois pas renouvelée lors du prochain hiver, mais qui interpelle Gregor Deschwanden, qui s’est toujours plu à sauter sur des tremplins en été. “Nous sommes parés à d’éventuels hivers sans neige. De plus, on a l’habitude de sauter toutes les saisons. Pourrait-on envisager alors d’avoir une Coupe du monde annuelle afin également de revaloriser les concours en été?”

Courchevel organise toutes les années l’une des étapes du Grand Prix d’été. (Paul Brechu/Zoom)

Ne pas devenir indifférent

Car en plus du réchauffement climatique, l’attractivité du sport est au centre du débat. Sylvain Freiholz est partagé sur la question. “C’est une opportunité qui permettrait de globaliser le saut à ski en ouvrant de nouveaux marchés, vierges, puisque l’on pourrait organiser des concours partout dans le monde, pour autant que l’on trouve une place dans un programme sportif déjà copieux en été entre le football, l’athlétisme et le cyclisme”. D’un autre côté, le Vaudois a peur que le saut à ski perde de sa saveur et de ses spécificités en devenant annuel. “Le risque sur douze mois est de perdre en médiatisation. Le saut à ski est reconnu pour la Tournée des Quatre Tremplins, il est important aux Jeux, et il est nécessaire de conserver ces créneaux-là, pour éviter de devenir aussi populaire que le hornuss ou la boxe thaïlandaise. Il ne faut pas oublier qu’il y a très peu de licenciés, il ne sont que quelques extraterrestres à sauter en Suisse et il est déjà compliqué de vendre notre sport.”

Opportunité ou risque, la question se doit d’être posée, même si tous les acteurs du saut à ski s’accordent à dire que ces Jeux européens vont offrir une belle vitrine à leur discipline. D’ailleurs, Sina Arnet “n’exclurait pas” que le saut à ski soit un jour une discipline à part entière des Jeux olympiques d’été. Du saut sur le Mont Coot-tha lors des Jeux de 2032 de Brisbane? On n’en est pas encore là. Mais pas si loin de l’avis de Sylvain Freiholz. “Je m’imagine assez bien le saut aux Jeux d’été dans une vingtaine d’années.” Rendez-vous donc peut-être pour les sauteurs à Doha ou à Istanbul en 2040.

Johan Tachet, Ittigen