Dans un processus de progression et de quête de performance, les qualités physiques, techniques et tactiques d’un athlète sont essentielles. Mais il ne faut surtout pas négliger une composante encore plus importante que les premières citées pour un sportif d’élite: le mental. « La part de la tête dans la performance en ski est énorme », lance Daniel Yule, suivi dans son raisonnement par Luca Aerni: « Le mental, c’est 30% du ski ».
En slalom et plus que dans les autres disciplines, l’approche mentale joue un rôle primordial. « Les cinquante premiers slalomeurs de la planète vont très vite. Ce qui fait la différence: C’est la tête », souligne Ramon Zenhäusern. Au sommet de son art et toujours impassible dans n’importe quelle situation, le patron du Cirque blanc Marcel Hirscher en est le parfait exemple. « Gagner pour Marcel est une habitude. Lorsqu’il se retrouve en tête de la première manche, cela ne lui fait ni chaud, ni froid. Lorsqu’il n’est pas au top, il gagne avec un ou deux dixièmes et lorsque tout roule, il met une seconde à tout le monde », reprend Daniel Yule, actuellement 2emeilleur slalomeur de la planète derrière l’Autrichien, pour qui « le sportif représente un tout ». « Tout est lié. Si techniquement tu te sens bien, tu as davantage de confiance pour skier. Ce sont ensuite des petits réglages saison après saison qui te permettent à devenir plus fort mentalement. Rien n’est jamais acquis, surtout lorsque l’on parle de Coupe du monde. »
Zenhäusern a dû apprendre à « se faire grand »
Dans l’équipe de Suisse de slalom, chacun travaille différemment sur les aspects cognitifs de la performance. Si Daniel Yule, qui se nourrit de la compétition, est autodidacte, les autres membres romands se sont entourés de personnes compétentes. Voilà désormais deux ans que Ramon Zenhäusern est suivi par un psychologue du sport. « C’est une aide précieuse », confie le récent vainqueur du City Event de Stockholm qui, grâce à ce travail, a pris confiance en son ski et en ses capacités l’hiver dernier. « On a passablement fait de la relaxation pour être davantage concentré lorsque je skie afin que je ne sois pas replié sur moi-même. Avec ma taille, j’avais tendance à me faire tout petit, j’ai dû apprendre à être plus ouvert avec le corps. »
Révélation de la saison en slalom, Tanguy Nef travaille depuis plusieurs années avec une coach mentale. « Je me fixe chaque année de nouveaux objectifs toujours plus élevés », explique le Genevois, de retour aux USA et qui ne sera donc pas au départ à Kranjska Gora ce week-end, mais dont les résultats cet hiver ont dépassé toutes les attentes. « En tant qu’athlète, nous sommes amenés à passer des paliers et j’essaie de comprendre le mécanisme pour y parvenir. » Afin de progresser, Tanguy Nef se concentre sur plusieurs aspects: « La fixation d’objectifs, l’importance de l’entourage, la routine de l’entraînements, la qualité des séances et la façon de les approcher. L’objectif est d’être capable d’aborder l’entraînement et la compétition de la même manière. »
Sortir de la spirale négative
L’adage dit lorsque la tête va, tout va, La réciproque est également de mise. Marc Rochat, qui n’a pas terminé un seul slalom cet hiver, en fait l’amère expérience cet hiver. « Je ne sais pas si c’est un blocage, mais à force, cela devient une mauvaise habitude », explique le Vaudois de Crans-Montana qui avoue avoir « une expérience de moments difficiles plus élevés que d’autres ». « Mais on travaille, on s’accroche et on ne lâche rien ». Le skieur de Crans-Montana s’est également entouré d’un préparateur mental depuis plusieurs hivers. « Ce qui m’aide est de pouvoir parler, de m’ouvrir, car les problèmes auxquels nous faisons face, nous n’en parlons pas forcément à tout le monde. » Sortir de cette spirale n’est pas chose aisée, Ramon Zenhäusern qui est souvent passé par les chemins de traverse avant d’exploser connaît bien le sentiment, lui qui performait aux entraînements et peinait en compétition. « Il faut se convaincre que l’on peut réussir car même si l’on traverse une mauvaise passe, on n’a pas oublié de skier. »
« La zone », ce sentiment extraordinaire recherché par chaque athlète
Dans l’absolu, un athlète cherche à atteindre ce que l’on appelle communément « la zone ». Un moment d’euphorie, de transe, où toutes les composantes de la performance sont alignées et lors duquel le sportif se laisse simplement guider par son instinct. « Tout est automatique, tu es davantage lucide, tu vois les choses avant de les réaliser et tu parviens à faire ces choses avant de partir à la faute. Et ce sentiment vient principalement de la tête », mentionne Luca Aerni qui court cette saison après ce sentiment qu’il n’a plus retrouvé depuis l’hiver dernier. » Cette sensation est « le but que chaque sportif veut atteindre », reprend Marc Rochat. « On parvient à trouver un relâchement total et faire ce que l’on souhaite sans pression externe ou idée négative. »
Mais se retrouver dans « la zone » ne se réalise pas avec un claquement de doigts. « On ne peut provoquer ce sentiment », analyse Daniel Yule qui est parvenu à skier avec cette sensation lors de sa victoire à Madonna en décembre dernier. « Tout venait naturellement. Je parvenais même à entendre le speaker et les temps intermédiaires qu’il me donnait. »
Dans le ski ou le sport comme dans la vie, le but est donc de ne pas perdre la tête.
Johan Tachet