C’est l’une des épreuves qui a le plus fait parler lors des Jeux olympiques de Paris 2024. Certains l’attendaient avec impatience pour s’enflammer, d’autre pour se moquer de ces “Intervilles” des temps modernes. Tout le monde avait son avis sur le kayak cross lundi au centre nautique de Vaires-sur-Marnes, à quelques dizaines de kilomètres de la capitale française. Mais sous la touffeur et le soleil, l’ambiance était chaude et électrique. Les spectateurs venus en nombre ont donné de la voix et en ont eu pour leur argent, même s’ils espéraient probablement retrouvé plus d’un Français sur le podium.
Parmi les instigateurs de la discipline, Tony Estanguet avait le sourire autour du bassin. “C’est un test et on tirera le bilan à la fin de ces Jeux”, a toutefois insisté le grand patron de Paris 2024, sans qui l’épreuve n’aurait peut-être pas obtenu ses lettres de gloire auprès du CIO. Mais alors pourquoi avoir voulu ajouter le kayak cross aux traditionnelles compétitions de canoë-kayak? “Dans nos sports, on s’adresse à des audiences de spécialistes”, nous décrit encore le triple champion olympique de canoë slalom. “Les gens n’arrive pas forcément à voir les spécificités, contrairement au cross.” La Bernoise Alena Marx, 6e au final, approuve. “Ça permet de faire connaître notre sport au plus grand nombre.”
Le skicross comme inspiration
Tony Estanguet rappelle qu’il a trouvé ses inspirations notamment sur la neige. “Sur ce format, le premier qui arrive a gagné. Je m’étais inspiré du skicross et du BMX.” Car le kayak cross, c’est exactement le même principe que le ski ou le snowboardcross. Quatre athlètes s’élancent en même temps d’une rampe, doivent franchir des obstacles (portes à descendre, portes à remonter, esquimautage) et les deux premiers arrivés passent au tour suivant. “Ces sports avec la confrontation directe apportent quelque chose de différent, c’est important”, glisse Jean-Fred Chapuis, champion olympique de skicross en 2014. “Cela fait plusieurs années qu’on est convaincus que ça mérite d’être au programme olympique”, confirme Tony Estanguet.
Cela n’était pourtant pas forcément le cas des puristes lorsque la discipline est apparue il y a quelques années. “J’étais un des gars qui n’aimaient pas ce sport au départ”, reconnaît Martin Dougoud, malheureux éliminé en demi-finales lundi. Il y a deux ans encore, je trouvais la discipline trop aléatoire. Mais j’avais l’occasion de me qualifier pour les Jeux et je me suis passablement entraîné. Et au final, ce n’est pas si aléatoire que cela. Les meilleurs se retrouvent très souvent dans le dernier carré, ou au moins en demies.” Je suis convaincu que l’on peut être bon en slalom comme en cross.” Fini donc l’époque lors de laquelle les kayakistes de rivière sont arrivés sur le cross. Ceux-ci ont rapidement vu leurs limites et les slalomeurs se sont montrés bien meilleurs grâce à leur explosivité, même si les embarcations sont largement plus légères en cross.
Impossible d’augmenter le contingent d’athlètes olympiques
“C’est certain qu’au début, c’est contraignant car il faut développer une nouvelle technique”, assume Tony Estanguet. “Contrairement au skicross, on prend les mêmes athlètes que pour le slalom. Pour des contraintes de contingent olympique (ndlr: le CIO limite le nombre total d’athlètes à 10’500), on ne peut pas sélectionner de purs spécialistes. Il fallait donc un format différent du slalom, mais que les mêmes athlètes puissent pratiquer.” Finalement, avec la possibilité d’obtenir une médaille supplémentaire, tout le monde a joué le jeu et s’y retrouve.”
Sans oublier qu’il est plus simple de s’élancer en cross qu’en slalom. “Le bateau est plus léger. C’est l’un de ceux avec lequel on apprend”, confirme Tony Estanguet, décidément convaincu et convaincant. “En slalom, il faut déjà avoir plusieurs années de bateau pour être capable de descendre un bassin pareil. Dès la première année avec un bateau de cross, on arrive à s’amuser. Pour les jeunes, c’est idéal.” Pour l’entraînement, cela apporte aussi une pointe de diversité dans un sport qui peut parfois être répétitif. “Ça renouvelle aussi l’entraînement journalier, ça amène de la fraîcheur au quotidien”, confirme Benjamin Buys, entraîneur de Martin Dougoud et des Suisses.
La Suisse brille dans les sports de confrontation
Le mot de la fin revient justement à son protégé, qui n’a pas mis très longtemps à se remettre de sa déception. “Cette nouvelle discipline apporte de la fraîcheur. C’est cool, excitant. J’adore, car on ne sait pas ce qu’il va se passer et il faut aller à fond tout le temps.” Et comme dans le snowboardcross, le skicross ou le BMX, la Suisse a su se précipiter sur ces nouveaux sports pour y briller. Il n’y a pas eu de médaille, mais gageons que les kayakistes helvétiques seront au rendez-vous en 2028 pour les prochains Jeux olympiques. Martin Dugoud le promet.
Laurent Morel/JT, Vaires-sur-Marne