Elle n’est peut-être pas la descente la plus difficile sur le Cirque blanc, pas forcément la plus suivie non plus. Pourtant, la course de Wengen n’est reste pas moins un mythe. Déjà parce qu’elle est la plus longue du circuit (4,5 km pour 2’30 de course). Aussi, parce qu’elle rythme l’hiver de la vallée de Lauterbrunnen depuis 88 ans et une première édition en 1930!

Il est 8 heures passées de 7 minutes ce jeudi lorsque j’embarque dans le petit train vert et jaune depuis la plaine. Impossible en effet de rejoindre la station alpine par la route. Ce qui fait son charme, mais qui complique aussi l’organisation. Les skieurs se plaignent souvent de cet aspect, sans jamais toutefois remettre en cause l’existence des fameuses courses. “Au niveau logistique, c’est pas simple, concède Daniel Yule. Les possibilités de s’entraîner ici sont compliquées.” Cette année, le roi du combiné Alexis Pinturault a d’ailleurs préféré s’abstenir. Le Français ne viendra sur les versants du Männlichen que pour le slalom dimanche.

Touristes et officiels se croisent

Mais ces difficultés techniques font aussi le charme de la petite station bernoise. Et alors que les militaires et employés de l’organisation chargent des trains de marchandises, touristes asiatiques et membres des équipes embarquent dans le train passager. Pas tout le monde a pu obtenir une place dans les hôtels de Wengen. Surtout que les prix prennent l’ascenseur lors du fameux week-end de mi-janvier. On parle d’une chambre simple sans aucun confort particulier à quelque 180 francs la nuit au minimum.

Alors que les nombreux Chinois hébergés à Interlaken filent jusqu’à la Kleine Scheidegg pour prendre ensuite le train qui les mènera à la Jungfrau, la plupart des skieurs sortent du train à Wengneralp. Ensuite, télésiège à bulle jaunes, direction le départ de la fameuse descente. Comme il est de tradition à Kitzbühel notamment, chaque vainqueur a son nom inscrit sur une des remontées mécaniques, du Wixi en l’occurence. Je suis tombé sur Travis Ganong. Il s’est imposé l’an dernier, sauf que la descente n’a pas eu lieu à Wengen mais à… Garmisch. C’est en effet la station bavaroise qui avait repris l’épreuve après son annulation.

Tout de suite dans le bain

Place désormais à la reconnaissance sur le Lauberhorn. Seuls les membres des équipes nationales et quelques journalistes triés sur le volet ont le droit d’y prendre part. Et doivent avoir assisté à la séance des chefs d’équipe le soir précédent afin d’éviter tout malentendu. D’ailleurs mercredi, il a notamment été décidé par les dirigeants dans une salle de cours de l’école du village de réduire la durée de l’écart entre le départ de chaque coureur pour ce test. On ne veut pas y passer la nuit, hein.

Un passage par le mythique portillon de départ après avoir laissé la voie libre à quelque champions, trois poussées, et je me rends déjà compte que la vitesse et bien là. Certes, la rampe de départ ne bat pas des records d’inclinaison, mais il s’agit pour les skieurs de trouver la meilleure glisse possible dans cette zone. Premier amas de skieurs d’ailleurs après à peine deux ou trois portes. Personne ne veut se tromper, sous peine de mettre fin à ses chances après seulement quelques secondes de course. Là, la neige est encore assez molle. Elle crisse sous les skis, mais ce n’est rien par rapport à la patinoire qui est en place sur le bas du tracé. Il faut dire que vers la fin, la descente a été injectée par un mélange chimique pour la faire durcir au maximum.

La tête de chien, une légende pas usurpée

Après les premiers virages sur cette partie dégagée, on aperçoit le départ du combiné. Désormais, la descente est un peu plus courte pour les “polyvalents”. Il s’élancent juste en dessus de l’incroyable “Hundschopf”. Passage mythique entre deux rochers, la tête de chien en français est le 2e endroit vraiment clé après le “Russisprung” quelques dizaines de mètres plus haut.

Sur les lieux, il y a embouteillage. Gilles Roulin notamment s’y attarde longuement, sans perdre son sourire communicatif. Il me saluera quelques minutes plus tard mais là, le Zurichois est concentré. Il visualise sa trajectoire à de nombreuses reprises. Car à seulement 23 ans, le 4e de la descente de Val Gardena va devoir compenser son manque d’expérience samedi. Jamais encore il ne s’est élancé en Coupe du monde sur la mythique piste.

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce saut dans un couloir d’à peine 6 ou 8 mètres de large est aussi impressionnant en réalité qu’il l’est à l’écran. Ce n’est pas un hasard si avant la course tout les spectateurs espèrent se placer de manière à avoir un oeil sur le “Hundschopf”. Lors de l’inspection, interdit de déraper sous le saut. Il faut faire un petit détour sur la gauche. Dans les amoncellements de neige nés du passage des divers intervenants, difficile de descendre skis aux pieds. Krystof Kryzl en paie de sa personne. Le Tchèque se retrouve le nez dans la neige et peine à se relever. Du coup, la plupart des skieurs préfèrent ensuite déchausser pour arpenter cette pente compliquée. Ils évitent des sueurs froides et une perte d’énergie inutiles. Je comprends mieux leur choix après avoir tenté de braver cette espace avec mes lattes mal aiguisées.

Justin Murisier attentif devant Didier Cuche

En-dessous, Didier Cuche et Justin Murisier. Depuis qu’il a rejoint le “team” du Neuchâtelois, le Valaisan profite parfois des conseils de son illustre prédécesseur. Et à voir sa manière de boire les paroles de son interlocuteur, il y a fort à parier que cette attention n’est pas feinte. Il faut dire que ce n’est pas donné à tout le monde de recevoir les recommandations d’un ancien quadruple vainqueur du Globe de la descente.

Quelques instants pour étudier par la suite la Minschkante et le Canadian corner. Que des noms mythiques qui résonnent dans les têtes. Place ensuite au Kernen-S. Passage anachronique dans une Coupe du monde qui prône désormais les pistes ultra sécurisées et larges, ce couloir est analysé en détails par les équipes. Des dizaines de skieurs s’arrêtent pour tenter de comprendre comment il est imaginable de trouver une trajectoire dans ce serpent impossible. Bruno Kernen, qui a donné son nom à cet enchaînement, répond aux journalistes présents. A cet endroit, tout le monde veut un mot du vainqueur du Lauberhorn 2003. Même sans vitesse, cela me semble presque invraisemblable de traverser ce S, alors que les athlètes eux, y arrivent à plus de 100 km/h en course. En ressortant, on tombe directement sur le tunnel au-dessus duquel passent les trains. Beaucoup choisissent de s’y arrêter un court instant, histoire de profiter du majestueux panorama. Et car c’est une autre incongruité de Wengen.

Les cuisses qui brûlent

La longue partie de glisse qui suit (Wasserstation et Haneggschuss notamment) n’est peut-être pas la plus intéressante pour le spectateur, mais la course peut s’y perdre, ou s’y gagner. Et ce jeudi, elle est déjà particulièrement gelée. Dire que samedi, les meilleurs athlètes seront survolés par un hélicoptère (une tradition désormais) pour y filmer des images étonnantes. Le plus fou, c’est que si les cuisses commencent à chauffer (même lors de la reconnaissance, si, si), il reste encore le difficile S final. Certains s’y attardent, d’autres remontent même un bout de pente pour être sûr d’avoir bien saisi toutes les spécificités du lieu.

Une nouvelle fois, je me dis que les équilibristes du Cirque blanc ont quelque chose de plus. D’aucuns diront un grain. Il s’agit en tout cas d’un courage et d’une force indéfectible. Alors que je remonte jusqu’au sommet de la piste pour y observer le départ du test, les premiers rayons de soleil font leur apparition, comme pour encourager les athlètes à se lancer pour ce 2e entraînement.

 

Le futur en questions
Depuis toujours, les épreuves du Lauberhorn comprennent un combiné, une descente et un slalom. Un point d’interrogation persiste quant à la suite, puisque le combiné est condamné par la FIS à l’horizon 2019. Wengen conservera-t-elle ses trois jours de compétition? Peut-être, mais le format devra être modifié. On parle notamment d’une descente sprint pour varier les options mais rien n’a encore été confirmé.
Texte et photos: Laurent Morel, Wengen