“J’ai encore repoussé mes limites.” Philippe May se marre lorsqu’il revient sur sa participation à la Race Around Poland (RAP), une compétition d’ultracycling de 3600 kilomètres à laquelle le spécialiste de ski de vitesse participait en solo et comportant son lot de péripéties. Qui aurait notamment eu le courage et la volonté de rouler près de 1000 km avec une clavicule luxée et même fracturée à un endroit après un accident frontal avec une voiture?

Mais remontons le cours de l’histoire, avant les incidents qui ont émaillé la compétition de l’athlète de Versegères. A 51 ans, le Valaisan n’est plus un novice dans le monde de l’ultracycling en ayant disputé à plusieurs reprises en Amérique du Nord, la RAW et la RAAM qu’il a même remportée en duo l’an dernier avec l’Italien Giovanni Prosperi après 4’800 km d’effort. “La suite logique pour moi était de repartir sur une course en solo, mais je ne voulais pas retourner tout de suite galérer dans le désert de l’Arizona”, explique Philippe May qui a alors été contacté par les organisateurs polonais. “A proximité de la Suisse, le défi était intéressant.”

Un chien qui attaque et une pente à 26%

Toutefois, de son propre aveu, Philippe May débarque sur la ligne de départ à Varsovie le 23 juillet avec “un poil d’arrogance”. “Mon image de la Pologne, c’était des longs plats roulants, des collines avec un point culminant à 1500 mètres et peut-être quelques routes légèrement difficiles.” Au pays des sauteurs à ski, le Bagnard fait pourtant face à un parcours dénombrant plus de 33’000 mètres de dénivelé positif, la grande majorité répartie sur la première moitié de course. “C’était bien plus difficile de ce que j’imaginais, certaines routes étaient en gravel et il a fallu grimper des portions à 26%.”

33’000 mètres de dénivelé positif, ça pique. (DR)

Les trois premiers jours se passent sans encombre, “comme dans un rêve”, hormis un accrochage avec un chien qui l’a mordu. Philippe May, en pleine forme, limite les arrêts siestes, et occupe même la 2e place du classement. Arrivé au sommet du fameux col aux pentes vertigineuses du sud de la Pologne, les ennuis commencent. “Je venais de grimper les 26%, mon véhicule d’assistance m’attendait. Mon équipe me dit qu’ils vont alors faire le plein et me rejoignent sur le parcours d’ici une heure.” Deux tours d’horloge plus tard, sous la pluie des Tatras, le Valaisan est toujours tout seul au moment de rentrer dans la station de Zakopane. Et là, le choc…

Repartir pour éviter la police

A la sortie d’un parking, un véhicule le shoote. Philippe May perd un instant connaissance et se retrouve au milieu de la chaussée, alors que son vélo s’y trouve de l’autre côté. “Je n’étais pas très bien quelques minutes, je me suis relevé et je me suis finalement dit que je n’avais pas trop mal et que mon vélo roulait encore.” Rapidement, et malgré qu’il soit marqué à la cuisse et qu’il saigne, il prend la décision de reprendre la route, car l’arrivée de la police lui aurait certainement signifié la fin de son aventure pour une consultation médicale immédiate. “Il commençait à avoir un attroupement, je ne comprenais pas le polonais et cette situation me stressait.”

Toujours garder le sourire, en toute circonstance. (DR)

Sans victuaille, ni eau, le cycliste bagnard s’arrête quelques kilomètres plus loin pour prendre des nouvelles de son équipe qui lui avait laissé plusieurs messages pour lui signifier que l’embrayage de son véhicule avait lâché. Philippe May poursuit alors son chemin jusqu’à la prochaine “time station”, où il est finalement rejoint par son crew au milieu de la nuit. “On a désinfecté les plaies, rien ne semblait cassé. j’étais certes enflé, mais je pensais récupérer sur mon vélo les prochains jours avec l’objectifs d’aller à la time station 6, afin que je sois considéré comme “finisher”, même si je me trouvais à la 4.”

900 km “à l’adrénaline”

A partir de ce moment, tout a empiré. Pour compenser sa blessure, il change de position sur sa selle et roule presque de travers. Une plaie ouverte, avec nerfs apparents, se profile alors sous la fesse gauche. Philippe May serre les dents jusqu’à la time station 6 où son physio le convainc de poser pied à terre après avoir roulé au total 1920 kilomètres en 138 heures de course et surtout plus de 900 km “à l’adrénaline”, avec ses multiples blessures. “Je continuais mais je me dégradais”, mentionnant encore qu’il n’a pas retrouvé toutes ses sensations dans le pied gauche aujourd’hui. Des examens médicaux à Varsovie révèleront une clavicule luxée et une légère fracture sur la tête de celle-ci. “Comme j’ai été accidenté six jours plus tôt, j’ai pu éviter l’opération”, souffle-t-il, heureux de ne pas avoir dû passer sur le billard.

C’est “meurtri physiquement et mentalement” que Philippe May a retrouvé son val de Bagnes le week-end dernier. “J’ai encore poussé la machine dans ses derniers retranchements”, poursuit celui qui porte un défibrillateur cardiaque depuis un malaise avant la RAAM en 2014. “Malgré une préparation pointue et une équipe performante, nous ne sommes jamais à l’abri de rien. Mais c’est ce que je recherche aussi, c’est de pouvoir vaincre les difficultés.” Le quinquagénaire est un homme de défis, et nul doute qu’il voudra, peut-être l’année prochaine déjà, revenir sur la RAP et terminer ce tour extrême de la Pologne. “Je sais à quoi m’attendre et je vais devoir l’aborder sans trop de confiance cette fois-ci.”

Les Mondiaux de ski de vitesse comme objectif

Entre temps, il est déjà remonté sur son home trainer à la maison. “Tracie (sa femme) m’a dit que j’étais taré”, rigole-t-il. “Mais j’ai vu que les jambes étaient là et cela m’a rassuré, car j’ai quelques objectifs dans un coin de la tête.” Et notamment performer aux Championnats du monde de ski de vitesse qui se dérouleront à Vars (FRA), sur l’une des ses pistes fétiches, l’hiver prochain. “Malgré mon grand âge, il n’y a pas beaucoup de Suisses qui arrivent à prendre ma place. Et quand je vois que je peux faire 2000 km sur un vélo, dont la moitié avec un physique réduit, je me dis que la forme est toujours présente.”

Et il est certain que, comme sur son vélo, Philippe May foncera sur ses skis.

Johan Tachet