Dans le désert californien, la température atteint les 42° peu avant midi. “Et cela ne fait qu’augmenter”, assure Philippe May (49 ans) qui se prépare à un entraînement de cinq heures sur son vélo sous le cagnard de l’Ouest américain. Une ultime séance, avant de prendre mardi pour la troisième fois le départ de la Race Accross the West (RAW), une course qu’il n’a encore jamais terminée. La RAW, c’est une compétition d’ultra-cyclisme extrême de 1400 km en solitaire et sans escale entre Oceanside (CA) et Durango (CO), où généralement rien ne se déroule comme prévu. Mais motivé comme jamais et avec l’expérience des dernières années, le spécialiste de ski de vitesse valaisan, qui plus est porte un défibrillateur cardiaque depuis cinq ans, est déterminé à aller au bout de son défi.

Philippe May a troqué ses skis contre son vélo et est prêt à souffrir. (Tracie May)

Philippe May, dans quel état de forme abordez-vous cette RAW?

Beaucoup mieux que ce que je pensais. Je suis plus serein. L’année dernière, j’étais malade dès ma troisième sortie aux USA avant la course. Actuellement, j’ai les mêmes ratios cardiaque et puissance qu’en Suisse alors que les conditions sont bien plus difficiles. Je suis assez euphorique.

C’est la troisième fois que vous participez à la RAW, l’expérience est nécessaire pour aller au bout de ce genre de course?

Enormément. Avec les années, j’ai acquis les connaissances de l’ultra-cyclisme. Lors de mes premières participations, j’étais speedé, je n’acceptais pas les données que mon corps donnait, j’étais très exigeant avec moi-même et je n’avais pas la patience de m’adapter. Je sais que je vais à nouveau souffrir, mais je suis prêt à gérer. C’est un signe de maturité.

Quelles sont les erreurs à ne pas répéter?

Mon problème était la précipitation. Je roulais à bloc, je faisais peu de pause et je ne me nourrissais pas correctement. Je voulais rouler 24 heures sans dormir et sans manger chaud. Je continuais, mais je m’affaiblissais musculairement Quand tu arrives au bout de tes ressources dans le désert, il n’y a plus rien, ce n’est pas comme si tu pouvais redescendre le col et rentrer à la maison.

Le Valaisan va traverser des paysages arides. (Tracie May)

A bout de force, vous avez été contraint deux fois à l’abandon, victime du syndrome de Shermer qui paralyse les muscles du cou.

C’est un mal tellement pénalisant, car tes muscles ne tiennent plus ta tête qui pend et tu n’es plus capable de faire un mètre. Ce syndrome est un gros questionnement pour tous les coureurs, car personne ne peut maîtriser un tel mal. Tu penses toujours que cela peut arriver au voisin, mais même des coureurs expérimentés, qui n’ont pas eu de souci pendant plusieurs années, peuvent attraper ce syndrome.

“Le directeur de course le répète chaque année: “Peu importe la stratégie que vous voulez appliquer, elle ne tiendra que lors des dix ou douze premières heures, tellement il existe d’imprévus”.

Philippe May sur la RAW

Comment allez-vous gérer l’effort pour pouvoir terminer cette fois-ci la course?

A chaque point de contrôle, qui se trouve chaque cinq à six heures sur le parcours, je vais m’obliger à faire des petites pauses d’une dizaine de minutes afin de manger quelque chose de consistant et me faire masser la nuque. J’en profiterais pour rouler à bloc la nuit, et dormir une heure la journée au plus fort de la chaleur. Mais vous savez, le directeur de course le répète chaque année: “Peu importe la stratégie que vous voulez appliquer, elle ne tiendra que lors des dix ou douze premières heures, tellement il existe d’imprévus”.

Finir la RAW est donc logiquement votre objectif principal?

Effectivement. Il faut environ 92 heures pour terminer la course. Mais je sais que lorsque l’on a un casque sur la tête, on est moins intelligent. L’année dernière, les gars de mon team me disaient que j’étais 3e et du coup je me suis mis à trop pousser. Cette année, je vais essayer de me préparer à ne pas recevoir d’information sur le classement et faire ma course.

Vous avouez être une personne un peu têtue?

Je dirais déterminée et fonceuse et tant que je tiens quelque chose, je pousse. On dit que la détermination est une qualité jusqu’au moment où elle devient une stupidité. L’année dernière, je me nourrissais bien, mais j’ai vomi un gel après 800 km. J’ai alors pensé que si je ne mangeais pas trop, j’arriverais à tenir la deuxième partie de course restante. J’avais l’impression que c’était une bonne idée. Je me cachais même du team quand je buvais pour cracher. Des gars sont là pour toi pour t’aider, mais toi tu as un comportement nocif.

Préparer une telle course est un véritable travail sur douze mois.

C’est même davantage qu’une année. Depuis 2015 lorsque j’ai souhaité me lancer dans cette aventure, j’ai accumulé les kilomètres et de l’expérience. J’ai commencé mes entraînements au mois de juillet déjà pour cette année.  Le problème est les séances hivernales. Comme je ne pouvais pas sortir sous la neige, je faisais parfois sept heures de home trainer à la maison. Au final, c’est au minimum une à deux heures d’entraînement quotidien pour un total de 5000 km.

Philippe May a roulé 5000 km cette année pour préparer la RAW. (Tracie May)

D’une certaine manière, vous entraînez pour la RAW vous permet à 49 ans de rester compétitif en Coupe du monde de ski de vitesse.

Effectivement, mes performances en Coupe du monde ne sont pas étrangères. Je n’ai pas l’âge de mes concurrents, mais je suis à chaque fois dans le coup (ndlr: Philippe May a notamment terminée 4e de l’ultime étape de Coupe du monde de la saison à Andorre). Cette discipline que demande la préparation de la RAW m’aide à rester au top. On ne peut pas se dire: cette semaine, je vais lever le pied.

Il y a cinq ans, à la veille de votre participation à la RAAM (Race Accross America, la traversée des USA en équipes), vous êtes victime d’un malaise cardiaque et vous devez vous faire implanter d’urgence un défibrillateur cardiaque aux Etats-Unis. Ce n’est pas dangereux de continuer à pratiquer le sport de haut niveau avec de telles conditions de santé?

J’ai la chance d’être tombé sûrement sur le seul cardiologue qui soutient ma démarche sportive. Mais il stresse beaucoup aussi, car il me laisse partir rouler dans le désert. Neuf chirurgiens sur dix me diraient de ne pas aller. C’est compliqué car il existe vraiment une zone grise. Le sport d’endurance est déconseillé dans cette condition, mais les médecins ne peuvent dire clairement si c’est nocif. Surtout que j’ai eu un nouvel épisode cardiaque à l’hiver 2018 et sans la machine, nous ne serions peut-être plus là en train de discuter. Mais contrairement à ce que pense le milieu, j’ai toujours fait du sport de haut niveau et je pense que mon cœur est bien entraîné. Cela m’évite d’avoir plus de problèmes avec cette maladie.

“Manger des chips et boire des bières sur mon canapé me tueraient bien plus rapidement.”

Philippe May sur la pratique d’un sport extrême avec des problèmes cardiaques

Arrêter le sport par précaution ne vous a jamais traversé l’esprit?

Non. Manger des chips et boire des bières sur mon canapé me tueraient bien plus rapidement. Après, mon cardiologue me suit en tout temps durant la course et s’il voit des anomalies, il m’obligera à m’arrêter. Naturellement, lorsque je l’ai rencontré lundi dernier pour un contrôle, je me suis demandé si je faisais les bons choix, si c’était stupide d’avoir des objectifs aussi extrêmes. Mais au final, je suis persuadé de faire des choses qui m’aident, sans cela je me sentirais beaucoup moins bien. J’espère que ce n’est pas de la naïveté.

Votre moteur est de pouvoir repousser les limites du possible?

C’est ce qui me fait progresser dans la vie en général. Des objectifs aussi extrêmes te donnent un but à long terme et t’obligent à avoir une discipline. C’est ma mentalité, j’ai besoin de sortir de ma zone de confort pour avancer. Et je suis reconnaissant de pouvoir me fixer de tels défis et de les réaliser. C’est un véritable luxe.

Johan Tachet


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