Le cri du coeur sort des tripes de Marco Odermatt au moment où il réalise, sur le petit écran placé sur les bâches de l’aire d’arrivée de Yanqing, qu’il est le nouveau champion olympique de géant. La joie suprême du titre se mélange à toute la tension accumulée ces dernières semaines par le prodige, jusqu’à atteindre son paroxysme après les épreuves de vitesse où il avait échoué dans sa quête de médaille. “Avec toute la pression qu’il y avait, cette victoire est la plus belle. Le soulagement est grand car j’étais le favori”, confesse le héros du jour qui avoue toutefois que le succès à Adelboden en janvier dernier, devant son public, était “la meilleure émotionnellement”.

Dans l’Oberland bernois, le skieur d’Hergiswil était déjà pleinement parvenu à maîtriser ses nerfs au moment de refermer le portillon de départ pour triompher. Une course qui lui a servi de “déclic” mental selon le coach des géantistes suisses Helmut Krug. “Quand tu gagnes à Adelboden en menant après une manche, tu te dis que ça peut marcher partout”, reprend Marco Odermatt. Car après son revers aux Mondiaux de Cortina d’Ampezzo où il était rentré les mains vides et des débuts de Jeux mitigés, beaucoup se demandaient si le talentueux athlète d’Hergiswil, du haut de ses 24 ans, possédait la maturité suffisante pour appréhender la pression des grands rendez-vous.

A l’attaque sans compter

En champion, il a répondu sur la piste, en faisant une nouvelle fois étalage de toute sa classe. “Je savais que je pouvais tout perdre, mais au départ on ne veut qu’une chose: gagner”, poursuit-il en évoquant Lara Gut-Behrami et Beat Feuz qui ont respectivement dû attendre leur quatrième et troisième participations olympiques pour se parer d’or. “Franchement, c’est génial que ça passe dès mes premiers Jeux.”

Car Marco Odermatt n’est pas un calculateur. D’ailleurs, avant son ultime rendez-vous chinois, il s’est dit: “aujourd’hui, c’est all-in”. Dans des conditions dantesques, il a attaqué, sans calculer. “Je ne voulais pas seulement une médaille, je voulais l’or.” Il a d’ailleurs commis une grosse erreur au début de la première manche qui aurait pu être rédhibitoire. “Tous les autres athlètes auraient été éliminés”, analyse Helmut Krug. “Odi est le seul skieur à pouvoir se rattraper ainsi.” Echaudé par sa faute, il a passé la deuxième pour refaire son retard. Personne n’aurait imaginé que le Nidwaldien puisse, malgré son erreur, terminer en tête sur le parcours initial.

Un changement de skis et de fixation entre les deux manches

Pourtant, un détail perturbe le Suisse. “Je ne me sentais pas à l’aise sous mes skis. J’étais surpris comme c’était dur”, explique-t-il. Au moment où il attend dans la leader box, son serviceman Chris Lödler, également à l’affut, se précipite vers lui pour lui indiquer qu’il était nécessaire de changer quelque chose. Ni une, ni deux, les deux hommes décident de changer skis et fixation. “Faire un tel choix lors d’une deuxième manche olympique m’a demandé plein de courage.” Mais le pari est gagnant et Marco Odermatt encense son technicien avec qui il travaille depuis six ans. “Franchement, le 50% de la médaille est pour lui. Les 19 centièmes de différence, car ce n’est pas énorme, c’est grâce au changement de skis.”

Marco Odermatt peut laisser éclater sa joie. (Alexis Boichard/Zoom)

Reste que le succès du skieur helvétique ne souffre d’aucune discussion si on songe à son impressionnante domination dans la discipline cet hiver. Cinq succès pour six géants disputés, avec une petite 2e place comme seule anicroche lors du géant à Alta Badia. “C’est le plus beau vainqueur que l’on pouvait avoir aux Jeux. C’est amplement mérité.” Le compliment émane de la bouche d’Alexis Pinturault, le vainqueur de la dernière Coupe du monde qui va malheureusement revenir bredouille des Jeux. “Marco a une faculté d’apprentissage comme personne. On a beaucoup travaillé les plats ces derniers temps et c’est là qu’il a fait la différence aujourd’hui”, se réjouissait Helmut Krug pour encenser encore davantage son protégé.

Le cou alourdi par sa médaille d’or, mais le coeur léger, Marco Odermatt va rentrer serein au pays. Mais le talentueux skieur helvétique a encore du pain sur les spatules ces prochaines semaines pour compléter son armoire à trophées avec peut-être trois Globes de cristal dont celui du général. Le Suisse est prêt à exulter à nouveau dans les aires d’arrivée.

Johan Tachet, Yanqing