“On ne sais pas trop à quelle sauce on va être mangés”, rigolait Tanguy Nef à quelques heures des deux slaloms qui vont rythmer un week-end bien terne à Chamonix. La station du pied du Mont Blanc, déjà largement impactée par la fermeture des remontées mécaniques et le couvre-feu en place chaque jour dès 18h en France, doit en plus composer avec une pluie incessante, qui rend l’ambiance bien triste.

Sous la pluie chamoniarde

C’est donc dans ces conditions que les meilleurs slalomeurs de la planète vont disputer deux courses samedi et dimanche sur la Verte des Houches. Dans le calendrier initial, pré-Covid, de cette saison, une descente devait pourtant avoir lieu en Haute-Savoie. Certains mouvements de terrain avaient d’ailleurs été gommés sur la piste. Mais la pandémie est passée par là et, comme l’an dernier, le slalom sera à l’honneur. Des dizaines de centimètres de neige fraîche tombés ces derniers jours, il ne restera pas grand chose sur la piste de course. Il faut s’attendre à une neige très salée. “Mais la piste va tenir le coup”, a rassuré Matteo Joris, entraîneur en chef de l’équipe de Suisse.

Si certains Suisses ont choisi de s’entraîner vendredi matin pour effectuer les derniers réglages, ce n’était pas le cas de tous. Mais ils connaissent la Verte des Houches, sur laquelle ils se sont préparés la semaine dernière en compagnie des slalomeurs français. “Ça n’aide pas forcément car il n’y avait aucun mouvement de terrain à voir, relativise Luca Aerni. Mais c’était un bon entraînement avec un très bon niveau.”

Cinq Suisses pour quatre places

Sur cette piste relativement peu exigeante et “difficile” comme a pu l’être celle de Flachau, les huit Suisses au départ vont jouer gros. Cinq d’entre-eux ont déjà réussi les minima (deux top 15 ou un top 7) exigés par Swiss-Ski pour être au départ lors des Championnats du monde. Sauf qu’ils ne pourront être que quatre au départ sur la piste Druscié A, qui “ressemble plutôt à celle de Crans-Montana ou Schladming”, a relevé Tanguy Nef.

S’ils sont toujours très proches, les mousquetaires du slalom doivent, pandémie de Covid-19 oblige, manger en tables séparées et dormir dans des chambres individuelles. Mais l’ambiance reste excellente, assurent-ils. Quoiqu’il en soit, la décision finale quant à la sélection reviendra à Tom Stauffer, entraîneur en chef de l’équipe masculine, qui pourrait décider d’emmener cinq hommes et de faire un ultime choix au dernier moment, histoire d’éviter aussi les blessures, les maladies ou les test positifs au Covid-19. “Nous choisirons les quatre qui pourront nous ramener des médailles”, admet tout de même Matteo Joris. Petit point sur les forces en présence avant un week-end décisif.

Ramon Zenhäusern (95% de chances d’être présent à Cortina)

Il n’y a guère qu’une blessure qui pourrait privé le géant de Bürchen des Championnats du monde. Meilleur Suisse cette saison en Coupe du monde, le vice-champion olympique a notamment remporté le premier slalom de l’hiver à Alta Badia. Très régulier, il n’est jamais sorti et compte deux 13es places comme pires résultats cet hiver. “Je ne me sens pas vraiment en danger, a-t-il précisé, tout en assurant que ce n’est pas à lui “de décider”. J’espère avoir montré suffisamment de choses pour être au départ. En tout cas, ce n’est pas un stress supplémentaire pour moi.”

Je me sens au top physiquement et je me réjouis d’avoir deux courses ce week-end, a confié le Valaisan de 28 ans, qui s’est reposé vendredi. J’espère évidemment finir sur la boîte.” Et les conditions ou les types de pistes ne sont désormais plus des obstacles pour lui: “Finalement, je sais skier plus ou moins partout et les résultats ne sont pas forcément toujours où on les attend. J’espère simplement que les conditions seront les mêmes pour tout le monde, mais il faut s’attendre à une piste salée, c’est sûr.”

Loïc Meillard (80%)

Le polyvalent prodige semble avoir trouvé une certaine stabilité en slalom. S’il n’est pas monté sur la boîte dans la discipline cet hiver, ses deux top 5 prouvent qu’il n’en est pas loin. Cinquième du classement général de la Coupe du monde, il est le 2e Suisse le mieux classé dans la discipline cet hiver (9e). Ne pas le retrouver au départ à Cortina d’Ampezzo serait une grosse surprise et ce, malgré son programme très chargé qu’il aura en Italie (slalom, géant, super-G, combiné, parallèle voire Team Event).

“Mes résultats en slalom cette saison montrent que je peux me battre tout devant, relève le Valaisan. Bien sûr, j’aurais un programme chargé, mais je veux y aller. Après, ce n’est pas moi qui ai le dernier mot. Mais je fais confiance aux entraîneurs et je ne me mets aucune pression par rapport à ça.” Du coup, il aborde le week-end chamoniard en forme. “Je vais bien, même si je commence à fatiguer légèrement, à force d’enchaîner les courses, admet-il alors qu’il dispute toutes les courses sauf les descentes. Mais j’ai pu me reposer quelques jours et m’entraîner tranquillement. Je suis confiant.”

Après Chamonix, Loïc Meillard profitera de quelques jours de repos chez lui, avant d’enchaîner avec Garmisch-Partenkirchen pour un super-G, puis les Mondiaux. “C’est chargé, mais j’ai l’habitude maintenant, je pense que ça va le faire”, précise-t-il.

Daniel Yule (75%)

Ne pas être certain de retrouver Daniel Yule au départ à Cortina peut surprendre! Le skieur du val Ferret était l’un des trois meilleurs slalomeurs de la planète l’hiver passé, comme l’ont démontré ses trois victoires, à Madonna di Campiglio, Adelboden et Kitzbühel notamment. En plein confiance, l’homme au bonnet vert semblait alors intouchable. Une sortie de piste lors de ce qui deviendra la dernière course de la saison passée à Chamonix (qui lui aura finalement coûté le Globe) plus tard, le Valaisan a perdu une belle dose de cette confiance tant importante dans la discipline.

Si ses qualités ne sont à aucun moment remises en cause, comme le prouvent certaines de ses manches, c’est plutôt la régularité qui lui fait défaut actuellement. Oui, il a remporté la deuxième manche à Adelboden, notamment, mais sa 7e place reste, avec celle obtenue à Alta Badia, ses meilleurs résultats cet hiver. Loin de ses attentes. “Bien sûr, il y a de la frustration et de la déception, avoue-t-il. Dans l’ensemble, c’est sûr que ça n’a pas été comme je le souhaitais, ce n’est pas aussi bon qu’espéré. Mais j’ai appris pas mal de choses et c’est sûr que ça va me servir dans la vie comme dans le ski.”

Avec un carrière en constante progression jusqu’au coup d’arrêt de ce début de saison, Daniel Yule a appris à relativiser: “La bonne nouvelle, c’est que j’ai montré que le ski était là. Mais il y a divers facteurs qui ont pu influencer mes résultats cette saison. C’est une mauvaise chose. En général, j’aime bien avoir tout sous contrôle, mais il faut parfois apprendre à ne pas tout maîtriser. C’est un bon rappel.”

Le champion olympique du Team Event espère que la régularité jouera tout de même en sa faveur à l’heure de faire des choix. “Celui qui ne sera pas retenu, c’est qu’il n’aura pas eu les résultats suffisants, c’est tout, affirme-t-il, fataliste. Mon boulot, c’est d’être rapide entre les piquets. Le reste, je ne peux rien influencer. Je veux simplement skier du mieux que je peux et ensuite, on devra ensuite accepter la décision des entraîneurs.”

“Prêt à aller au combat” ce week-end, le 15e du classement du slalom va “se battre avec le coeur, comme je sais le faire”. Las pour lui, les conditions ne seront pas celles qui lui conviennent le mieux. “Ce n’est pas idéal mais c’est aussi ça la beauté du ski, explique-t-il. Je ne garde pas un très bon souvenir de ma sortie de piste en 2020 ici car elle m’a coûté cher. Mais j’étais parti pour gagner. Je ne calcule pas et c’est le plus important. Je n’ai aucun regret, je préfère me battre à fond. Après, là, les conditions sont bien différentes de l’an passé…”

Tanguy Nef (65%)

Il y a deux ans, le Genevois était la surprise du chef. Débarqué en inconnu ou presque en Coupe du monde, il avait rapidement concrétisé en faisant parler la poudre dès ses débuts, pour prendre l’une des quatre places disponibles pour Åre. “C’est la première fois que je suis menacé, partage-t-il d’ailleurs, sans détour. Bien sûr, j’ai la qualification pour les Mondiaux un petit peu en tête.” Le skieur de 24 ans se veut confiant: “Si j’arrive à skier ce week-end comme je sais le faire, je devrais en être, même si ce n’est pas moi qui décide, se réjouit-il. J’espère y aller, mais je ne suis pas uniquement focalisé là-dessus. Si je n’y vais pas, tant pis, ce ne serait pas si grave. J’en profiterais pour me reposer et travailler.”

Interrogé sur la possibilité de se retrouver à cinq sur place pour une décision juste avant le slalom des Mondiaux, Tanguy Nef ne s’y oppose pas. “C’est une possibilité et je me rappelle notamment d’un Didier Défago qui avait dû passer par des sélections internes avant de gagner une médaille (ndlr: l’or aux Jeux olympiques de Vancouver) alors tout est possible”, sourit-il. Quoiqu’il en soit, il est en forme et sa courbe de progression est linéaire depuis son arrivée sur le Cirque blanc.

“J’aurais un dossard correct ce week-end (18), même si j’aurais préféré partir dans les 15 avec les conditions annoncées, regrette-t-il. Il ne me manque pas grand chose, mais je crois que c’est encore un cap à franchir. Tout ce que je souhaite, c’est qu’ils ne lanceront pas la course à tout prix si les conditions ne sont pas équitables.”

Luca Aerni (60%)

C’est la bonne surprise de ce début de saison. Retombé dans les oubliettes du classement du slalom l’hiver dernier, le skieur de Crans-Montana a retrouvé toutes ses sensations en changeant de marque de ski durant l’intersaison. Grâce à des courses très solides et notamment une 8e et une 6e place à Flachau, il a rapidement réintégré le top 30 mondial, qui lui permet désormais de “faire son ski” sans trop devoir s’adapter à l’état de la piste. Sur la forme du moment et la solidité sur les skis, difficile de ne pas en faire un candidat solide pour Cortina et ce, notamment après avoir vu la prestation qu’il a délivré à Crans-Montana, sur une piste qui ressemble à celle des Mondiaux.

Mais le Valaisan botte en touche: “Pour l’instant, ça ne m’intéresse pas trop d’y penser, je me concentre sur les courses du week-end”. Et le champion du monde de combiné en 2017 aura peut-être également la possibilité de s’aligner dans la discipline réservée aux polyvalents dans les Dolomites. “J’espère y aller, mais pour l’instant, je n’ai aucune idée si cela sera le cas, avoue-t-il. Je n’ai pas fait de vitesse depuis le mois d’août, excepté les deux manches de super-G de Coupe d’Europe à Zinal en décembre. Mais heureusement, si je vais à Cortina, j’ai encore le temps de m’entraîner d’ici là.”

A Chamonix, Luca Aerni aborde les slaloms avec confiance. “L’an dernier, c’était la première fois où j’avais réussi à bien skier à nouveau. J’étais sorti, mais c’est plutôt rassurant”, se réjouit-il.

Marc Rochat (10%)

A 28 ans, le Vaudois réalise probablement sa meilleure saison de Coupe du monde. Alors que personne n’a jamais remis en doute ses capacités, il a souvent manqué de régularité, enchaînant les sorties de piste. Cet état de fait est désormais derrière lui puisque le skieur de Crans-Montana vient de signer trois résultats dans les points lors des quatre dernières courses. Plus stable, Marc Rochat n’est plus très loin des meilleurs. Lorsqu’il parviendra à obtenir un meilleur dossard, et ce n’est probablement qu’une question de temps, il ne serait pas surprenant de le voir régulièrement se battre pour des top 15. Et il est toujours capable d’un exploit…

Sandro Simonet (10%)

Toujours très rapide à l’entraînement, le Grison n’y arrive décidément pas en course. Son bilan cette saison: deux 21es places et un enchaînement de sorties de piste. En manque de confiance, le skieur de 25 ans est capable du pire comme du meilleur. Que décideraient les entraîneurs s’il réussissait enfin deux manches parfaites ce week-end et s’approchait du top, voire du podium?

Noel von Grünigen (5%)

Excellente surprise dans le camp suisse cet hiver, le Bernois vient enfin d’accrocher ses premiers points de Coupe du monde de la saison (19e à Schladming). Cet hiver, le fils de l’illustre Michael semble avoir passé un cap et il n’est plus très loin des meilleurs, comme il l’a prouvé lors du slalom nocturne de Crans-Montana. Reste désormais à grappiller des rangs dans la hiérarchie mondiale. A 25 ans, c’est le bon moment. Pour les Championnats du monde en revanche, il aura besoin d’un exploit incommensurable ce week-end et devra compter sur des forfaits de ses compatriotes.

Laurent Morel, Chamonix