Il y a un an, lorsqu’elle montait sur ses premiers podiums de Coupe du monde en slopestyle (victoire à Seiser Alm notamment), Ailing Eileen Gu était une jeune Américaine très prometteuse dans le monde du freeski. Aujourd’hui, la rideuse de 16 ans, né d’un père américain et d’une mère chinoise, est en passe de devenir une icône en Chine. Car entre-temps, elle a décidé de changer de nationalité sportive.
Deuxième derrière Kelly Sildaru en slopestyle à Leysin, Ailing Eileen Gu a ensuite profité du départ de l’idole estonienne aux X Games pour garnir son palmarès avec deux titres, en halfpipe et ce mercredi en Big Air, au terme d’une épreuve très serrée sous les yeux de sa mère et de ses meilleurs amis. « C’était la première compétition de ma vie dans la discipline », rappelle la championne, qui n’a pas été lâchée par son plus beau sourire de l’ensemble des Jeux olympiques de la Jeunesse. Et à voir le nombre de journalistes chinois présents pour suivre ses exploits, son nouveau statut est aussi lié à ses nouvelles couleurs.
« Ma famille est très proche de la Chine mais je vis aux Etats-Unis. Je me sens connectée avec les deux pays, explique la Californienne, qui ne rechigne pas à parler de sa situation. C’était très difficile de choisir pour quel pays j’allais concourir. Je pense que c’était la décision la plus difficile de ma vie d’ailleurs. Je ne l’ai pas prise à la légère. Ça m’a pris six mois. J’ai discuté avec beaucoup de monde avant de faire mon choix. » Un choix qui s’est donc finalement porté vers la Chine.
Les Jeux de Pékin dans le viseur, évidemment
« Il y a plusieurs raisons et je suis tout à fait au clair avec ça, il n’y a aucun souci, répète la charismatique jeune championne. C’est important que les gens sachent la vérité et ne s’imaginent pas n’importe quoi. » Sa décision, Ailing Eileen Gu la fait reposer sur deux points principaux. « Pour commencer, je suis très proche de la Chine, de la culture chinoise, j’ai beaucoup d’amis là-bas. Les gens croient parfois que j’ai juste changé pour de mauvaises raisons. J’ai passé près d’un quart de ma vie en Chine. Je suis totalement intégrée dans la culture. J’habite avec ma mère et ma grand-mère qui sont toutes deux Chinoises. » Devant les médias de l’Empire du Milieu dont la télévision publique CCTV, l’égérie de Red Bull et Faction s’exprime d’ailleurs en mandarin avec une facilité déconcertante.
« La deuxième raison principale à mon changement de nationalité sportive est que les prochains Jeux olympiques auront lieu en Chine, rappelle la skieuse. C’est une immense opportunité d’attirer l’attention sur notre sport, ce qui n’était pas le cas auparavant dans le pays. C’est différent aux US, où il y a de belles bases. De nombreux skieurs ont déjà participé à de nombreux Jeux olympiques et ont gagné des médailles. En Chine, le ski est un sport nouveau et c’est important pour la population d’avoir un modèle. Pas seulement au niveau purement sportif, mais aussi d’avoir quelqu’un qui aime le sport, qui est capable de faire passer un message. Qui ne dise pas simplement: «Allez sur la neige», mais qui développe le concept: «Allez sur la neige, c’est bon pour la santé, c’est fun, vous êtes avec vos amis, vous donnez votre maximum.» Il n’y a aucun autre sentiment comme celui-ci et je veux vraiment introduire cette passion pour la neige et pour les sports extrêmes en Chine. On voit vraiment une évolution du ski là-bas. Il y a encore peu de temps, la communauté du ski comptait une cinquante de personnes. Désormais, il y en a plusieurs centaines de milliers. C’est fou la tournure que ça prend. »
Heureusement pour elle, son passage d’un clan à l’autre a été soutenu par son ancienne fédération. « J’ai beaucoup parlé avec l’équipe américaine avant d’être capable de faire cette transition, précise-t-elle. J’ai reçu son support, c’était irréel. Je n’aurais pas pu imaginé une telle aide. L’équipe américaine a accepté de me laisser utiliser toutes ses installations. Les dirigeants m’ont dit: «Tu es toujours l’une des nôtres». C’est vraiment la preuve que le sport peut être complètement international. »
« Je ne me dis jamais que je dois réussir quelque chose pour le gouvernement »
Désormais sous les couleurs chinois, Ailing Eileen Gu risque fort de devoir faire face à une forte pression dans deux ans à Pékin pour les Jeux olympiques, dont elle est déjà l’une des stars annoncées. « Je suis prête à assumer la pression lors des Jeux olympiques, oui, assure-t-elle sans se démonter. Les gens me demandent souvent si la pression m’affecte. Bien sûr, oui, elle m’affecte. Si ce n’était pas le cas, ce serait bizarre. Mais la plus grosse pression ne vient pas du pays mais de moi-même. Je ne me dis jamais que je dois réussir quelque chose pour le gouvernement. J’espère réussir pour la population, mais ce n’est pas une pression. A partir du moment où je fais de mon mieux, il n’y a pas de raison que ça se passe mal. De toute façon, la confiance est la clé du succès. »
Alors qu’elle avait dessiné un chat, son « animal préféré » sur sa main mercredi pour lui « porter chance », la Chinoise va donc profiter de ses succès acquis à Leysin avant d’enchaîner avec ses premiers X Games en Chine en février notamment. « Ces Jeux olympiques m’apportent une expérience très importante pour le futur, souligne-t-elle. C’était la compétition la plus importante de ma carrière jusqu’ici. La façon dont cet événement était organisé était juste incroyable. Le parcours est superbe, les juges sont bons, il y a beaucoup de monde qui suit cet événement, c’est juste génial. » Une bonne dose d’expérience qu’elle aura l’occasion de faire fructifier très vite donc.
Laurent Morel, Leysin