« Je ne réalise pas encore ce que j’ai fait. » Les yeux brillants, rougis par l’émotion, Jasmine Flury reste incrédule après son énorme exploit. Quelques heures plus tôt, la Grisonne était devenue championne du monde de descente à Méribel. Presque à la surprise générale, 30 ans jour pour jour après le sacre, lui aussi surprise, d’Urs Lehmann aux Mondiaux de Morioka. « Ça ressemble un rêve, tout était aligné », souffle la skieuse qui n’avait pourtant pas connu la meilleure des préparations. « J’ai été malade ces deux dernières semaines. J’ai senti l’énergie revenir lors du deuxième entraînement. Mais jamais je ne pensais que cela allait suffire pour le titre. »

A bientôt 30 ans, la skieuse de Monstein, ce petit village perché sur les hauteurs de Davos où il n’existe aucune remontée mécanique, sort de l’ombre de ses illustres coéquipières qui, à l’image de Lara Gut-Behrami ou de Corinne Suter, accaparaient toute la lumière ces dernières années. Mais dans son coin, la Grisonne ne s’en formalisait point et profitait simplement de pouvoir les côtoyer. « Avoir ces athlètes avec moi à l’entraînement m’a toujours permis de me situer. D’une certaine manière, elle m’ont poussée et je savais que je pouvais aussi y arriver. »

Face aux obstacles, elle s’est obstinée

Et le jour de gloire est arrivé en France, car jusqu’ici Jasmine Flury avait connu une carrière sans véritable coup d’éclat, si ce n’est une victoire, la seule en Coupe du monde, lors du super-G de Saint-Moritz il y a cinq ans déjà. « Ce succès était une surprise. J’étais encore jeune et les conditions étaient spéciales. Je me suis souvent demandée si c’était c’était une « vraie » victoire ou si j’avais eu de la chance. Mais j’ai beaucoup appris et cela m’a permis de devenir la skieuse que je suis aujourd’hui. » Car la Davosienne n’a jamais baissé les bras malgré les obstacles. « J’admire Jasmine », glissait, dans une interview récente à la NZZ, le fondeur helvétique Jason Rüesch dont la maman fréquente le papa cuisinier de la nouvelle championne du monde de descente. « Elle possède la faculté de toujours se reprendre, une fois qu’elle est au fond du trou. »

Comme par exemple, lorsqu’elle choisit de troquer ses Stöckli pour des skis Fischer il y a un peu plus d’une année. Un choix payant pour relancer une carrière qui tournait en rond. « Cela a immédiatement bien fonctionné », relance Jasmine Flury. La saison dernière, elle montait sur son second podium sur le Cirque blanc lors de la descente de Garmisch-Partenkirchen. Cet hiver, elle n’en était jamais loin. Mais de là à l’imaginer sur le toit du monde, même son serviceman « Gigi » Parravicini n’aurait osé l’imaginer. « C’est complètement fou », savoure celui qui s’occupait des skis de Petra Vlhova avant de rejoindre l’équipe de Suisse. « Quand vous voyez tous les noms au départ, Goggia, Mowinckel, Puchner, Suter, ça fait du monde. » Samedi, la Grisonne était d’ailleurs la seule à chausser des Fischer. « Je savais que mes skis fonctionnaient bien sur ce type de neige dure, arrosée. Mais il y a tellement de choses qui doivent aussi fonctionner. »

Une relation privilégiée avec Corinne Suter

En l’occurrence, la Suissesse aussi sorti la manche de sa vie, taillant la courbe comme jamais, flirtant avec la limite, tout en parvenant à laisser filer ses spatules vers le titre. « Quand j’ai franchi la ligne, je me suis dit que c’était une bonne course et peu importe ce qui allait se passer ensuite. Ce n’est que lorsque Corinne (Suter) est passée derrière moi que j’ai vraiment commencé à y croire. » Pour Corinne Suter, médaillée de bronze de la compétition, Jasmine Flury « mérite amplement son titre ». Les deux skieuses helvétiques sont d’ailleurs très proche et se soutiennent depuis toujours. « On a une relation spéciale, on se connaît depuis si longtemps », raconte la championne olympique de descente. « Jasmine est ma meilleure amie, elle me connaît pas coeur. Elle me prend comme je suis et inversement. On sait toutes les deux les courses moins bonnes qu’on a connues. Et désormais, on sait tout ce que cela nécessite pour monter sur un podium lors de Mondiaux. »

Et comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, Jasmine Flury est sur le point de devenir tata, puisque sa soeur est dans l’attente d’un heureux événement ces prochaines heures. Elle prévoit déjà d’offrir à son neveu ou à sa nièce le petit Toya, la mascotte des Mondiaux, qu’elle a reçue en cadeau. « J’ai aussi un bouquetin que m’a tricoté au crochet Michelle Gisin », se marre la nouvelle championne du monde qui va désormais aller dignement fêter son titre. « Personne ne pourra m’enlever ma victoire. Je veux en profiter et j’aimerais que cette soirée devienne inoubliable. »

Johan Tachet/LMO, Méribel