Jeudi matin 4h15, le réveil de Marco Odermatt sonne dans l’une des chambres du Château de Lake Louise. Le dernier lauréat du grand Globe de cristal ouvre son ordinateur pour regarder la deuxième mi-temps de la rencontre de Coupe du monde de football entre la Suisse et le Cameroun. “Je suis déçu, j’ai juste manqué le but d’Embolo”, se marre le Nidwaldien quelques heures plus tard dans l’aire d’arrivée de l’entraînement de la descente canadienne. Ce réveil précoce n’a point perturbé le prodige helvétique puisque, peut-être sublimé par la performance de la Nati, il a remporté ce dernier essai chronométré.

Sur le Cirque blanc, ils sont plusieurs skieurs à suivre la Coupe du monde de football à l’image de Beat Feuz, même si lui ne s’est pas levé pour la rencontre de la Suisse, ou le Français Johan Clarey. “Je suis un mordu de sport, j’essaie de voir les matches dès que je le peux. Malheureusement, j’ai manqué la France mardi, car c’était en même temps que notre entraînement. Ce n’est pas évident avec le décalage horaire.”

Horaires décalés entre les rencontres de football

Un décalage horaire qui crée un gros souci: les rencontres de football se disputent en même temps que les courses de ski nord-américaines. “C’est un problème pour le ski mais également pour toutes les disciplines FIS”, mentionne Markus Waldner, le responsable de la Coupe du monde masculine de ski alpin. Face à la concurrence du ballon rond, les épreuves alpines ont alors dû adapter leurs horaires de retransmission. “Nous avons collaboré avec la SSR et l’ORF pour trouver les bons créneaux.” L’horaire de la descente masculine de Lake Louise de samedi a été modifié par rapport aux saisons précédentes pour se dérouler à 12h30. Bonne idée sur le papier, si ce n’est qu’en même temps se joue… Argentine-Mexique. “C’est regrettable”, lance Beat Feuz. “On court une heure plus tard que d’habitude ici à Lake Louise, ça fait une différence.” La semaine prochaine, la descente de Beaver Creek a été avancée à 10 heures le matin pour se courir entre deux rencontres. Mais la descente dames de Lake Louise se fera à la même heure qu’une certain Suisse – Serbie.

“Au moins, nous sommes en live sur ORF2”, reprend Markus Waldner. Les compétitions seront également diffusées sur SRF Sport et RTS Sport. “Sans retransmission, il n’est pas sûr que l’on aurait pu faire des courses. ” Le patron italien du circuit masculin assure toutefois qu’une frange de la population préfère suivre quoiqu’il arrive les exploits des descendeurs plutôt que les prouesses des footballeurs au Qatar. “Bien évidemment, c’est le plus grand événement sportif au monde, mais nous avons notre propre base de fans de ski.”

Markus Waldner, le patron de la Coupe du monde masculine, a dû négocier avec la SSR pour dealer les heures des courses pendant le Mondial au Qatar. (Zoom)

Un avantage malgré tout pour Marco Odermatt

Une question subsiste: compte tenu de la concurrence du raout mondial de football en soirée n’aurait-il pas été plus judicieux de débuter la saison en Europe et venir en Amérique du Nord plus tard dans l’hiver? Markus Waldner réfute. “Ce n’était même pas une option car on doit prendre en considération la nature. A ce moment-ci de l’année, nous avons la garantie d’avoir du froid et de la neige en Amérique du Nord, au contraire de l’Europe.”

“Ce n’est que cette saison que nous aurons la concurrence de la Coupe du monde de football”, rappelle Marco Odermatt, qui y voit plutôt un avantage. “Cela peut être profitable pour les sponsors”, explique le Nidwaldien. “Imaginez si je gagne la course et qu’un match débute cinq minutes après. Il y a beaucoup de téléspectateurs et cela offre une belle visibilité.”

Améliorer l’expérience télévisuelle du ski alpin

Pour Alexis Pinturault, naturellement, “ce n’est pas idéal”, d’être confronté au Mondial qatari. “Mais en même, il y a tout le temps de la concurrence. Cela veut dire que lorsque la F1, la moto et le cyclisme reprennent en mars, cela fait de l’ombre au ski?”, questionne le skieur tricolore. “Pour faire face, nous devons penser à apporter autre chose à notre sport, en se fiant à nous et non aux autres.”

Pour le skieur de Courchevel, c’est l’expérience télévisuelle ski alpin qu’il faut améliorer pour augmenter les audiences, à l’image de ce ce qui a été réalisé dans les sports mécaniques. “Nous devons être capables d’utiliser davantage les données (“data”) puisque nous portons des GPS. Il serait aussi judicieux de savoir dans quelle mesure il serait possible que l’on porte des caméras ou que les téléspectateurs puissent profiter des échanges radios entre les athlètes qui se trouvent déjà en bas avec ceux qui n’ont pas pris le départ par exemple. Je suis certain que l’on peut faire beaucoup mieux.”

Une chose est certaine, qu’importe la concurrence de la Coupe du monde de football, le produit ski alpin doit se réinventer s’il entend prospérer dans les années à venir.

Johan Tachet, Lake Louise