Tanguy Nef vient tout juste de fêter ses 22 ans, lundi, en compagnie de Noel von Grünigen – le fils de Michael -, du staff de l’équipe de Suisse de slalom de Coupe d’Europe et de son père, venu l’encourager en Laponie pour ses débuts en Coupe du monde. Simplement. Pourtant, à Levi, le skieur de Veyrier est entré dans une nouvelle dimension. Inconnu du grand public ou presque, il a déjoué tous les pronostics pour réaliser un authentique exploit et prendre un (très) surprenant 11e rang.
Attendues depuis plusieurs jours, les aurores boréales sont venues illuminer le ciel du grand nord finlandais dans la nuit de lundi à mardi. Comme un symbole pour honorer l’une de ses nouvelles étoiles. Pourtant, le Genevois garde les pieds sur terre. Si ce n’est le nombre de messages et de coups de téléphones, rien dans sa vie n’a changé pour l’heure. Et ce n’est pas ces prochains jours qui devraient tout chambarder. Dans le calme finlandais, le fan de Bode Miller s’entraîne tranquillement avant de tenter confirmer lors des épreuves de Coupe d’Europe.
Allers-retours entre Genève et le Valais
Si Tanguy Nef a réussi à briller dès son entrée dans le monde des grands, son parcours atypique n’y est pas étranger. Depuis tout jeune, il a appris à skier hors des pistes tracées. «Je viens de Genève et c’est déjà assez spécial dans le ski, relève-t-il. Nous devons nous déplacer pour aller en montagne, sur la neige. Avec mes parents, on s’est rapidement tournés vers le Valais.» Des week-ends dans le Vieux Pays qui ont débouché sur une pratique de plus en plus intensive.
Rien ne le prédestinait toutefois à une telle trajectoire. Après avoir commencé le ski en voulant imiter ses frères et soeurs dans une fratrie motivée et performante, il a intégré un programme de sport-études à Genève, avant de poursuivre pour l’obtention d’une maturité au Centre national de performance de Brigue, passage presque obligé avant d’atteindre les sommets chez Swiss Ski, où il vivait en internat.
Car contrairement à son célèbre homonyme, du film du même nom, Tanguy Nef a rapidement quitté le nid familial (à 14 ans). «Pour mes parents, il faut toujours que les études passent avant le sport, précise l’athlète de 22 ans. Du coup, si mes résultats n’avaient pas suivi, j’aurais dû arrêter le ski.» Au bout de 5 ans en Valais, s’est posée la question de l’après-Brigue.
«Je me suis cassé la jambe en janvier 2014, plus d’un an avant la fin de l’école, et je me suis dit qu’avec le temps qu’il allait me falloir pour revenir, je n’allais pas pouvoir intégrer les cadres de Swiss Ski directement, raconte-t-il. J’ai donc eu l’idée de partir à l’université aux Etats-Unis. J’ai fait le choix de Dartmouth College, en accord avec les dirigeants de Swiss Ski.» Son coéquipier Daniel Yule trouve cette option intéressante. «J’aime bien cette idée, acquiesce le Valaisan. Si ça peut encourager les universités suisses à mettre une plus-value sur le sport, c’est une bonne nouvelle.»
En décidant de toute quitter, dont sa copine de l’époque, le Genevois a fait un choix fort, tout en restant proche de sa famille, même éloigné. Il a imité des athlètes tels que le Norvégien Leif Kristian Nestvold-Haugen. Le deal: lorsqu’il est en Suisse, Tanguy Nef est un athlète Swiss Ski en prenant tout ce qui va avec (sponsors, etc.) et lorsqu’il est outre-Atlantique, il suit les règles de son université.
Septième de la Nord-Am
Cela lui a plutôt bien réussi puisqu’il a obtenu d’excellents résultats lors des courses universitaires et en Coupe nord-américaine (7e du général l’hiver dernier, 6 podiums dont 2 victoires). «L’équilibre que m’offrent les études me permet aussi de performer à skis, assure-t-il. Je relativise beaucoup plus en discutant avec mes amis notamment. La pression n’est pas la même.»
Les moyens non plus. «En Suisse, avec l’équipe de Coupe d’Europe, il y a à peu près un membre de l’encadrement par athlète. Aux Etats-Unis, c’est plutôt un ratio de 1 pour 12, raconte-t-il. Les deux dernières années, j’ai préparé moi-même mes skis. On s’entraîne quasiment tout le temps sur la même piste. Mais on apprend aussi de belles valeurs.»
Des valeurs qui lui permettent aujourd’hui de rejoindre ses anciens collègues de Brigue tels que Luca Aerni ou Loïc Meillard au sein de l’équipe nationale. «Ils sont des grands de la discipline, assure-t-il, impressionné. J’ai eu l’occasion de m’entraîner un petit peu avec eux avant Levi. Je les regarde avec des grands yeux et je prends de nombreuses informations sur leur manière de faire.»
Son style? «Les gens ont parfois l’impression que je skie à 80% car je suis relativement calme, décrit-il. Mais ce n’est qu’une impression, hein. Je vois le ski comme une recherche mentale de la performance. Il faut surtout avoir le bon état d’esprit le jour de la course. C’est intéressant, j’apprends beaucoup sur moi.» Loïc Meillard, qui le connaît depuis de longues années, est admiratif: «Ce qu’il fait, c’est plus qu’impressionnant. Il est relâché et c’est vrai que ça aide beaucoup.»
Un avenir entre sport et business
Et à 22 ans, son expérience est déjà un atout. Lorsque son père lui a demandé d’assurer son second tracé entre les deux manche dimanche à Levi, le jeune homme aux cheveux blonds lui a répondu qu’il savait lui-même mieux que personne comment il devait skier. Le tout en restant totalement détendu, simplement heureux d’être là.
En dehors du ski, ses études dans l’économie et l’informatique devraient également lui offrir un avenir doré. Le gamin de Veyrier est très intéressé par tout ce qu’il se passe autour de lui et à voir la façon dont il se présente, carte de visite en main, gageons qu’il fera un bon businessman après sa carrière. Il en aura bien besoin, pour rembourser le prêt que lui a fait son père pour qu’il puisse s’offrir son rêve américain.
Avant de penser à une éventuelle qualification pour les Mondiaux d’Are (où la Suisse aura 4 places), pour lesquels il a déjà un demi-ticket en poche, Tanguy Nef va déjà devoir confirmer et ce dès les prochaines courses de Coupe d’Europe à Levi.
Laurent Morel, Levi