Impossible n’est pas Slovène pourrait être la devise de Primoz Roglic. Même s’il doit finalement céder la victoire à son compatriote Tadej Pogacar, alors qu’il s’apprêtait à franchir ce dimanche la ligne d’arrivée du 107e Tour de France avec le maillot jaune sur les épaules, le coureur de 30 ans a réussi une performance de choix, malgré un passé pour le moins atypique. Il ne s’est en effet penché vers le cyclisme que très tard (22 ans), abandonnant une prometteuse carrière de saut à ski, freinée par une violente chute survenue le 15 mars 2007.

C’est en effet ce douloureux événement qui a conditionné la réorientation du natif de Trbovlje, qui a grandi à Kisovec, dans la campagne près de la capitale slovène Ljubljana. A seulement 17 ans, il a l’honneur de s’élancer sur le fameux Letalnica de vol à ski de Planica, qui est à ce moment le plus grand tremplin au monde. “Rogla” – son surnom – rate son envol et subit une vilaine chute. Choqué, il fait passablement de vélo lors de sa rééducation mais poursuit sa carrière de sauteur. Sans toutefois parvenir à revenir au premier plan, manquant de confiance. En 2012, il décide alors de se couper les ailes, pour se lancer d’abord dans le duathlon, puis dans le cyclisme, avec une progression fulgurante d’année en année et le succès au rendez-vous.

A son palmarès déjà notamment, deux victoires du classement général du Tour de Romandie, une Vuelta (en 2019), un 3e rang sur le Giro (en 2019), une 4e place sur le Tour de France en 2018 et donc cette 2e place cette année sur la Grande Boucle, alors que le succès final lui tendait les bras. Avec ça, le rouleur, très à l’aise en montagne, a également remporté 7 étapes sur les grands tours. Le tout pour coller à un plan de carrière parfaitement élaboré ou presque pour ce gagneur. “Sauter une montagne est, bien sûr, plus facile que d’y monter à vélo, mais en même temps, c’est beaucoup plus dangereux, avouait il y a quelques années Primoz Roglic. Ce qui est important, c’est de croire en soi et c’est la même chose pour les deux sports”.

Primoz Roglic (à dr.) s’est finalement fait souffler la victoire par son compatriote Tadej Pogacar sur le Tour de France. (Alex Broadway/ASO)

Le trentenaire a toujours voulu jouer les premiers rôles. Au cours de sa carrière de sauteur, le Slovène a réussi quelques performances de choix, à l’image de ses deux victoires en Coupe continentale (l’antichambre de la Coupe du monde), à 16 et 17 ans (5 podiums). Il a participé à trois Championnats du monde juniors, terminant 9e et 5e avant sa chute. Il a même remporté l’argent puis l’or par équipes. Parmi l’élite, on retiendra un 21e et un 25e rang lors d’étapes du Grand Prix d’été en 2006. Puis quelques belles performances après sa chute, sans toutefois se rapprocher des sommets.

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Excatly 10 years ago today I crashed badly on what was at that time the bigest skijumping flying hill in the world- in our home Planica. Less than a month before this we became junior World Champions. I was sure that this is my purpose in life. Today I would not say that this jump decided my career, because I continued competing for 4 or 5 more years. Always belived that somehow I will make it. When I look back I am grateful for experiences that I got as a skijumper, and thankful to be given a second chance as a cyclist. In my old and new sport I learned, that no matter how hard you hit the ground you always have to get up and go for it! #lessonslearned #skijumping #cycling #planica #goodandbadmemories

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Rémi Français se souvient l’avoir souvent côtoyé, dès le début de l’adolescence, à 11-12 ans. Les meilleurs sauteurs de chaque pays et de chaque année de naissance se rejoignaient alors à Garmisch-Partenkirchen une fois par an. Comme Primoz Roglic, le Vaudois est né en 1989. “Nous avons tous deux commencé tôt les compétitions internationales, se rappelle l’athlète du ski club des Diablerets. On s’est retrouvé 3 ou 4 fois en Bavière et on avait eu l’occasion d’échanger. C’était quelqu’un de très sympathique et d’ouvert.” Les deux hommes ont ensuite continué à se croiser sur les circuits juniors. “Dans le monde du saut, il a laissé un excellent souvenir, affirme Rémi Français. C’était quelqu’un de posé, de concentré, mais qui avait toujours un mot sympa. Il est très calme et me fait parfois penser à Dario Cologna. Il a quelque chose de différent des autres.”

Primoz Roglic en mode jeune sauteur. (Primoz Roglic/Instagram)

Et l’ancien sauteur, qui a mis fin à sa carrière en même temps que le Slovène de poursuivre: “Primoz était plein de talent et j’aimais beaucoup son style avec les skis quasiment derrière les oreilles. Il était assez agressif et très bon voleur. Avec son compatriote Jurij Tepes (ndlr: 2 victoires en Coupe du monde), ils étaient particulièrement forts dans leur tranche d’âge.”

“Rogla” est devenu champion du monde juniors par équipes en 2017. (Primoz Roglic/Instagram)

Actuel chef du saut pour Ski Romand, Sébastien Cala a également partagé le sautoir avec Primoz Roglic plus jeune. “C’était un très bon sauteur, se souvient-il. Il faut dire que c’est un athlète hors-norme. Il était agressif, mais le parcours qu’il réalise reste absolument incroyable.” Le génie slovène a en effet su faire évoluer ses qualités d’explosivité, principale source de réussite pour un sauteur, à des qualités d’endurance. “Il est vrai qu’il a toujours beaucoup de force par rapport aux autres, se rappelle Rémi Français. Il avait des cuisses plus larges que ses adversaires, mais il reste très explosif. On retrouve parfois d’ailleurs cette qualité dans sa façon de courir en tant que cycliste.”

Le champion de Slovénie est un coureur complet. (Pauline Ballet/ASO)

Son évolution surprend toutefois ce passionné de trail et de ski alpinisme, qui réside désormais à Are (SWE) et entraîne l’équipe de Suède féminine de ski alpinisme: “En tant que sauteur, on n’a pas le droit de développer notre endurance et donc de faire trop de vélo par exemple, sous peine de perdre en explosivité. Mais aujourd’hui, Primoz a un VO2 max de dingue! C’est étonnant d’y arriver si tard car normalement, c’est quelque chose qu’on ne développe que jusqu’à l’adolescence. Ce qui est certain, c’est qu’on ne verra pas beaucoup de sauteurs réussir pareil exploit.” Ancien grand espoir du saut helvétique, Rémi Français concède toutefois que certains muscles peuvent être adaptés: “Il y a des similitudes dans la musculation. Elle n’est simplement pas travaillée de la même façon car en saut, on mise plus sur de fortes charges avec peu de répétitions, contrairement au cyclisme, où cela doit être l’inverse.”

Primoz Roglic a remporté la Vuelta en 2019. (Luis Angel Gomez/photogomezspo)

Et Rémi Français de conclure, en repensant aux moments passés avec “Rogla”: “Il était très aimable avec les autres, c’est un super bon type. Ce n’est pas pour rien si le milieu du saut à ski le soutient! Tout le monde est content de le voir briller, il a laissé de très bons souvenirs.” L’actuel numéro un mondial devra toutefois encore patienter avant de réaliser son rêve, remporter le Tour de France.

L’hymne officiel de Primoz Roglic:

Laurent Morel, de retour de La Roche-sur-Foron