A Leysin, il a suffi d’une épreuve, d’une médaille d’or à Kelly Sildaru pour marquer les Jeux olympiques de la Jeunesse de son empreinte. Il faut dire que l’Estonienne a plutôt l’habitude de régater chez les grands, en Coupe du monde ou aux X Games, en passant par les Championnats du monde. Elle s’est d’ailleurs déjà imposée partout ou presque. Ses sept médailles décrochées lors du grand rendez-vous des sports extrêmes permettent de se faire une idée de son talent, elle qui avait été la plus jeune gagnante des “Winter X” à 13 ans.

En février dernier, la talentueuse freeskieuse de 17 ans est devenue championne du monde de halfpipe à Park City, histoire de compléter un palmarès de dingue. Celle qui avait dû renoncer aux Jeux olympiques de PyeongChang à cause d’une blessure à un genou s’est livrée l’an dernier lors d’un grand entretien.

Kelly Sildaru, vous n’avez que 17 ans mais vous faites déjà parties des meilleures spécialistes de freeski au monde. Que ressentez-vous?

Toutes les filles tant en slopestyle qu’en halfpipe progressent beaucoup et c’est vraiment intéressant à voir. Je suis très heureuse de pouvoir skier et évoluer avec elles, c’est un honneur.

Vous êtes l’une des seules rideuses à pratiquer toutes les disciplines du freeski. Cette polyvalence est importante pour vous?

Oui. Mais je fais des choix et je veux limiter les risques, alors il m’arrive de faire l’impasse sur certaines compétitions, à l’image du Big Air des derniers Mondiaux, où je ne parvenais pas à prendre suffisamment de vitesse. Ensuite, le slopestyle a été annulé. Ça m’a saoulée, mais j’ai essayé de garder un état d’esprit positif.

Regrettez-vous cette situation?

Evidemment! Ce n’est pas normal. La FIS devrait mieux se préparer. Les dirigeants doivent imaginer qu’il n’y a pas que des athlètes de 80 kg qui se lancent sur le Big Air et ils doivent prévoir des jours de réserve pour le slopestyle, trouver d’autres solutions. Je trouve ça vraiment stupide. Il fallait trouver des solutions.

Kelly Sildaru a montré tout son potentiel à Leysin aux Jeux olympiques de la Jeunesse. (Maeva Pellet/SkiActu)

Espérez-vous retrouver plus d’athlètes polyvalents sur le circuit?

Oui, c’est fun, mais c’est très dur. J’adore faire les trois disciplines car c’est plus varié. Si je n’en faisais qu’une, je trouverais ça ennuyant. Je pense également que de faire du halfpipe peut aider à briller en slopestyle et inversement. J’adore vraiment faire tout ça, mais c’est quand même compliqué, à l’image des X Games d’Aspen (ndlr: l’an dernier), par exemple. J’ai enchaîné une médaille d’argent en halfpipe, d’or en slopestyle et de bronze en Big Air. Le tout en 26 heures. Ce n’est pas simple. Parfois, tu aimerais bien pouvoir célébrer, fêter mais ce n’est pas possible car tu as une compétition le lendemain matin et une autre le soir. C’était malsain, mon corps était vraiment très fatigué. Malgré cela, j’espère que d’autres athlètes vont aussi suivre ce chemin. Ce serait intéressant de partager avec elles cette situation, nos sensations. C’est déjà le cas avec le Norvégien Birk Ruud, c’est cool. J’espère avoir d’autres personnes avec qui je pourrais skier ainsi. 

Cette polyvalence, vous allez donc la conserver ces prochaines années?

Oui! Je vais essayer au maximum, mais ça dépendra surtout de mon corps. Je ne peux pas participer à toutes les Coupes du monde, le calendrier est impossible à ce niveau.

Si vous deviez choisir, quelle discipline conserveriez-vous?

Je ne sais pas mais heureusement, je n’ai pas à le faire pour le moment. 

L’Estonienne est devenue championne du monde de halfpipe en février dernier. (Laurent Salino/Zoom)

Vous avez aujourd’hui 17 ans. Comment faites-vous pour rester focalisée sur le ski et profiter de la vie en parallèle?

Lorsque je suis de retour à la maison et que je sors avec mes amis, c’est cool. Cependant, j’aimerais aussi beaucoup avoir des amis au sein de mon équipe car je voyage uniquement avec mon père et mon frère (ndlr: ce n’est aujourd’hui plus toujours le cas). J’aimerais vraiment beaucoup avoir d’autres athlètes de mon âge avec qui partager, également hors des compétitions, avec qui je pourrais m’amuser lors des voyages. On le fait avec mon frère et mon père, mais c’est différent d’avoir ses amis autour de soit tout le temps. Ça me manque énormément. Je l’ai vu lors que j’ai pu aller en Nouvelle-Zélande avec des amis pour skier pendant deux mois, c’était vraiment chouette.

C’est peut-être quelque chose qui va évoluer en vieillissant?

Oui, ça devient de plus en plus facile pour moi. Mon anglais s’améliore et je suis de moins en moins timide alors que je l’étais vraiment beaucoup à la base. Je peux passer du temps avec les autres rideuses. Lors de mes premiers X Games, il y avait une sorte de repas avec les autres filles et elles m’ont invité mais j’ai refusé. J’étais bien trop timide. Mais ça va de mieux en mieux. Je suis plus ouverte maintenant et ça devient plus facile à vivre. 

En fait, vous cherchez surtout à mener une vie normale.

Je crois que j’ai déjà une vie normale, pour moi. 

Aux X Games à Aspen il y a un an, la championne a décroché trois médailles en 26 heures. (Maeva Pellet/SkiActu)

En halfpipe féminin, le niveau était parfois décrié avant votre arrivée sur le circuit, mais c’est en train de changer.

Oui, c’est totalement vrai. Ça évolue à une vitesse folle, ça a déjà beaucoup changé depuis le début de ma carrière.

On sait que le décès de Sarah Burke à l’entraînement en 2012 avait largement affecté les rideuses. Vous êtes arrivée sur le circuit après. C’est peut-être plus simple à gérer pour vous?

Je suis vraiment trop désolée pour ce qui est arrivé à Sarah. C’est extrêmement triste, mais j’étais très jeune. Je ne sais d’ailleurs pas exactement ce qu’il s’est passé. Sarah restera toujours dans mon coeur, ce qu’elle a réalisé était magnifique. Je l’adore en fait, c’est difficile de penser à ça. Après, c’est sûr que c’est plus simple de ne pas l’avoir vraiment connue. Si elle avait été une très bonne amie, ça aurait vraiment été très compliqué pour moi. C’est probablement bien plus simple pour nous que pour la génération qui a skié avec elle, oui.

Votre petit frère Henry suit vos traces. Où en est-il?

Il a 12 ans maintenant. Je trouve qu’il skie vraiment bien. Avant de me blesser avant les Jeux, j’étais absolument meilleure que lui, mais désormais ça a changé. Mon père, qui est également mon coach, a aussi eu le temps de se concentrer sur sa progression durant cette blessure. Il a appris beaucoup de nouveaux tricks. Ca m’a encore plus motivée à travailler pour revenir plus forte. Aujourd’hui, Henry maîtrise plus de figures que moi et il a gagné beaucoup de confiance. Toutefois, si on fait une compétition ensemble, je pense que je gagne, grâce à mon expérience. 

Vous avez été blessée et avez manqué les Jeux olympiques en 2018. Comment avez-vous vécu cet épisode?

C’était en septembre 2017, j’ai déchiré mon ligament croisé antérieur. C’était vraiment très difficile au début car j’ai très vite compris que j’allais rater les Jeux. C’était soit j’allais là-bas avec un ligament déchiré, soit je me faisais opérer immédiatement. Je suis encore très jeune et le plus important pour moi était de retrouver la pleine santé, tranquillement. Je n’ai pas eu besoin de me dépêcher. Bien sûr, j’étais très triste de manquer les Jeux olympiques, mais je pense que je pourrai participer à d’autres éditions dans le futur. 

Kelly Sildaru et Mathilde Gremaud ont en commun un succès précoce. (Maeva Pellet/SkiActu)

Parfois, on parle d’une rivalité avec Mathilde (Gremaud), car vous êtes toutes les deux très jeunes et performantes. Qu’en est-il?

Je ne crois pas qu’on peut dire ça. D’ailleurs, je ne suis plus si jeune. On n’est peut-être pas les meilleures amies, mais on s’entend vraiment très bien. Toutes les filles qui jouent devant sont très fortes et je ne crois pas qu’il y ait quelque chose en particulier seulement entre Mathilde et moi.

Que pensez-vous de sa manière de rider?

Vraiment trop bien! Elle est très confiante et elle est capable d’effectuer beaucoup de rotations différentes. C’est super. Mais en fait, il faut dire que beaucoup de filles sont en train d’élever le niveau en ce moment. 

En Suisse, on a également Sarah (Höfflin), qui est un petit peu plus vieille.

Elle skie très bien aussi. Je l’adore, vraiment. Parfois, on a l’impression qu’elle est la maman de toutes les filles car on est toutes très jeunes. Elle est cool.

Sarah Höfflin, très appréciée de Kelly Sildaru. (Maeva Pellet/SkiActu)

Vous avez déjà presque tout gagné. Quels objectifs vous fixez-vous dans votre carrière?

Honnêtement, c’est très dur à dire. Les médailles aux X Games, un titre de championne du monde, c’est fou. Avant de faire tout ça, j’espérais surtout survivre et pouvoir continuer de concourir avec du plaisir. Après mes bons résultats, les ambitions se sont développées. 

Une médaille olympique?

Bien sûr, ce serait chouette. Mais j’espère surtout pouvoir y participer et faire de mon mieux. La médaille n’est pas la priorité. 

Comment vous sentez-vous à propos de votre statut de superstar en Estonie?

Je ne me considère absolument pas comme cela. Je suis juste une personne normale, comme les autres filles de mon âge. Parfois, les gens me reconnaissent dans la rue, c’est bizarre. Je ne vais pas dire que c’est ennuyant, mais ça me perturbe même si je suis désormais habituée.

Aux Jeux olympiques de la Jeunesse, l’Estonienne a fait le plein d’expérience. (OIS)

Laurent Morel