Crans-Montana 1987. Lorsque l’on évoque les Championnats du monde de ski alpin organisés sur le Haut-Plateau, beaucoup estiment que les skieurs suisses ont écrit l’une des plus belles pages de l’histoire du sport helvétique, si ce n’est la plus belle. Sous le soleil valaisan et des dizaines de milliers de spectateurs en folie, les Suisses avaient raflé 14 médailles dont 8 en or, ne laissant que des miettes à leurs adversaires. 

Plus de 30 ans après, alors que Crans-Montana s’est lancé dans la course à l’organisation des Mondiaux 2027, Florian Müller et Pierre Morath ont choisi de nous replonger dans  l’événement. A travers un magnifique documentaire (RTS 2, dimanche 20.50) agrémenté d’incroyables images d’archives, ils reviennent sur la carrière de plusieurs des principaux protagonistes (Maria Walliser, Michela Figini, Peter Müller, Pirmin Zurbriggen et Joël Gaspoz) qui posent un regard nostalgique sur ce qui est ou aurait pu être l’apogée de leur vie de skieur. 

Florian Müller, vous êtes à l’origine de ce documentaire intitulé “L’épopée des héros”. Pourquoi avoir voulu raconter plus de trois décennies après, ces Championnats du monde de 1987 de tous les superlatifs?

J’ai toujours entendu parler de Crans-Montana 87, mais j’étais trop jeune pour les vivre et j’avais envie de les comprendre. On dit que c’est un triomphe collectif, mais cette équipe de Suisse est avant tout une somme d’individualités avec des gros caractères et des personnalités différentes. Et c’est cela que nous avons voulu raconter.

On pense notamment aux rivalités Walliser-Figini et Müller-Zurbriggen.

Ces athlètes n’ont pas seulement fait une razzia à Crans-Montana, mais également avant aux Jeux de Sarajevo en 84 et aux Mondiaux de Bormio en 85. Les rivalités étaient alors très fortes et ces deux duos se détestaient cordialement, sans qu’il n’y ait jamais eu aucun dérapage. C’était toujours professionnel. C’est ce qui a fait la force de cette équipe et qui a permis de créer une émulation. De l’eau a coulé sous les ponts. Les animosités d’époque sont digérées. Et les skieurs, aujourd’hui, ont un regard apaisé sur leur histoire.

Ce film rappelle que le ski est avant tout un sport individuel même si on concourt pour la même nation.

Totalement, car il n’y avait rien de pire pour un Suisse que d’être battu par un autre Suisse. C’est cela le plus dur. Lors de la descente, nous réalisons un incroyable quadruplé. Imaginez le sentiment qui peut animer Franz Heinzer qui est 4e… Cette concurrence a permis de tirer tout le monde vers le haut. Mais le mérite en revient aux entraîneurs et surtout à Karl Fresner qui parviennent à manier la carotte et le bâton pour maintenir tout le monde concerné, qu’il n’y ait pas de privilèges entre champions qui ont de gros egos et qui veulent tout gagner.

Peter Müller (au centre), Pirmin Zurbriggen (à g.) et Karl Alpiger avaient réalisé le triplé lors de la descente. (CO Crans-Montana)

Dans ces Championnats du monde, nous avons les succès, mais aussi les échecs et notamment celui de Joël Gaspoz qui chute alors que l’or du géant lui tend les bras. 

Ces Mondiaux ressemblent à une pièce de théâtre avec une unité de temps, d’action et de lieu avec son apothéose et la chute de Joël Gaspoz. C’est l’un des moments fort du film et il a été compliqué de le convaincre de témoigner. Joël Gapoz était un type tourmenté, mais un immense champion qui avait tout de même mis 3 secondes à Stenmark dans un géant. Il était favori du géant de Crans-Montana et après on connaît la fin… Ce qui est beau avec le recul. Il en parle de manière apaisée et le dit lui-même qu’il ne serait pas resté dans l’histoire sans cette mésaventure et s’il avait gagné. C’est un personnage vraiment attachant qui avait une relation forte avec Pirmin Zurbriggen. Pirmin l’avoue: il n’aurait jamais la carrière qu’il a eue sans Joël qu’il admirait. Il y avait vraiment une histoire fraternelle entre les deux. 

Votre documentaire raconte effectivement l’événement différemment en s’intéressant surtout à l’histoire qu’il y a derrière les athlètes, en s’appuyant sur des images d’archives exceptionnelles. 

Ce sont les petites histoires qui font les grandes. Nous avons pu puiser dans des archives magnifiques. Il y a une patine sur les images et on adore les revoir. 

Comment expliquez-vous  la ferveur populaire qui a accompagné la manifestation?

Nous sommes à une époque qui coïncide avec la fin des Trente Glorieuses, les gens font la fête dans tous les sens. De plus, à ce moment-là, la Suisse se cherche aussi un peu une identité. Elle doit notamment voter pour l’Europe. Et dans cette équipe, chacun peut s’identifier à un skieur puisqu’il y a des Alémaniques, des Romands, des Tessinois, des hommes, des femmes, des gars de la montagne ou des villes. Le Haut-Plateau se transforme en Grütli du 20esiècle pendant deux semaines.

Des dizaines de milliers de spectateurs ont suivi l’événement. (CO Crans-Montana)

Pour vous, ces Mondiaux représentent-ils le plus grand moment du sport suisse?

C’est une forme d’apothéose. Il y a eu aussi la victoire en Coupe Davis de tennis. Mais en termes d’identification collective et de ferveur populaire, c’est le plus grand, même s’il est difficile de comparer les époques et les sports. Toutes les autres nations étaient dégoûtées des performances helvétiques. Certains médias disaient que les Suisses tuaient le ski… Après, il y a une coïncidence génétique avec tous ces champions. Derrière cette époque, il y a eu un trou générationnel énorme et, jusqu’à aujourd’hui, nous n’avons plus vu une équipe aussi performante dans son ensemble.

Qu’est-ce que vous retiendrez de ce tournage?

Que tous ces champions se ressemblent, même s’ils sont différents en apparence. Ils possèdent tous une détermination et une volonté touchantes pour réussir dans leur carrière. Et malgré tout, ils sont humbles, même un Peter Müller, qui a une grosse carapace.

Pirmin Zurbriggen avait récolté quatre médailles dont deux en or. (CO Crans-Montana)

Peut-on tirer un parallèle avec la candidature de Crans-Montana pour les Championnats du monde de 2027?

Une symbolique avant tout car ce serait juste 40 ans après. On parle souvent de génération, et on dit qu’il faut une trentaine d’années pour la renouveler. Nous avons la chance d’avoir effectivement une belle génération, aujourd’hui, qui est décomplexée face aux Autrichiens. Et nos têtes d’affiche actuelles, comme les Daniel Yule, vont charrier encore de nouveaux jeunes champions qui ont 15-16 ans et qui veulent les imiter. Et tout cela sera bénéfique pour 2027.

Le documentaire “L’épopée des héros – Crans-Montana 87” sera diffusé dimanche soir à 20h50 sur RTS2

Johan Tachet