Une descente de cinq kilomètres entre deux pays? C’est le projet un peu fou lancé par Zermatt en fin de semaine dernière. La célèbre station valaisanne entend mettre sur pied, et ce peut-être dès novembre 2022, la plus longue course du Cirque blanc avec un départ du Petit Cervin pour une arrivée de l’autre côté de la frontière à Cervinia en Italie. “Nous voulons cette course et nous ferons tout notre possible pour y parvenir”, confiait Franz Julen, patron des entreprises de remontées mécaniques de Zermatt à la NZZ. Utopie ou réalité, le projet peut susciter le débat.

“Aujourd’hui, le ski doit se remettre en question, mais il faudrait aller se rendre compte sur place”, lance, curieux, l’ancien champion olympique de descente Didier Défago. “Ce qui caractérise une descente, c’est la dramaturgie qu’on lui donne et donc plusieurs paramètres”, précise le skieur de Morgins devenu “architecte” de pistes de vitesse pour la FIS. “L’attractivité d’une course passe par des sauts, de la pente. S’il y a un kilomètres de plat au départ, et à nouveau un kilomètre et demi avant l’arrivée, ce n’est pas non plus attrayant.” 

Trois minutes en position de recherche de vitesse?

Le départ situé à 3899 mètres d’altitude et l’arrivée à 2814 proposerait un dénivelé d’un peu plus de 1000 mètres, soit plus que la descente de Bormio (1010 mètres) que les athlètes dévalent en moins de deux minutes. Mais là où la Stelvio fait 3270 mètres de long, l’épreuve italo-suisse se courrait sur 5000 mètres… Faites le calcul, la pente moyenne de la piste serait loin d’être des plus prononcées. Les athlètes franchiraient la ligne à Cervinia ainsi après près de trois minutes d’effort, soit une course qui durerait entre 25 et 30 secondes de plus qu’à Wengen qui propose la plus longue piste à l’heure actuelle (4270 mètres pour un dénivelé de 1028 mètres) sur le circuit. 

“Une course de trois minutes n’est pas faisable, ce n’est pas de la descente”, mentionne Hugues Ansermoz, ancien entraîneur en chef des équipes suisses et canadiennes féminines de vitesse. “Wengen, c’est exceptionnel. Mais dans ce cas, on se retrouverait avec des pistes larges, peu spectaculaires, où les athlètes sont en constante recherche de vitesse.” Sans oublier la question de l’altitude “très contraignante pour les athlètes”, comme le relève Didier Défago en faisant référence aux compétitions de Beaver Creek et de Sölden.

Une météo délicate sur le glacier au mois de novembre

Mais au-delà des aspects structurels de la piste – sans parler de la sécurité avec les crevasses qui peuvent joncher le glacier – se pose la question des conditions météorologiques au début du mois de novembre sur le glacier. “C’est une période très délicate”, rappelle Hugues Ansermoz. “Il y fait souvent mauvais. Ce n’est pas pour rien que Zermatt fermait ces dernières années sa piste de descente d’entraînement sur le glacier dès le 15 octobre. Et il faut aussi qu’il y ait de la neige et être capable de préparer le parcours. Je verrai plutôt une telle course en mars”, poursuit le Vaudois, plutôt dubitatif sur le projet.

Défi organisationnel entre deux pays

Didier Défago pose la problématique de la gestion de l’événement entre deux stations de deux pays différents. “Qui organise quoi? Qui récupère les droits de télévision? Où logent les athlètes? Où organise-t-on les événements parallèles à la course?”, analyse le Valaisan qui rappelle que Zermatt n’a pas “l’expérience de l’organisation de Coupe du monde” depuis plusieurs décennies.

Dans ce contexte, comment ne pas voir cette annonce comme un coup marketing. “C’est une belle publicité, car on en parle partout, assure Hugues Ansermoz qui ne pense pas que les desseins de Coupe du monde italo-suisses aillent plus loin. Le projet semble irréaliste.”

Zermatt est-il capable de rendre possible l’impossible?

Johan Tachet