C’est fait! Après quasiment 24 heures de voyage, la plupart des athlètes suisses et les journalistes qui les ont accompagnés ont pu retrouver un bon lit, histoire de vivre les Jeux de la XXIVe Olympiade d’hiver de l’intérieur. Mais la tâche n’a pas été aisée et il a fallu s’armer de patience afin de vivre de l’intérieur le grand événement sportif qui va animer les deux prochaines semaines. Entre difficultés à atteindre la Chine et mesures contre le Covid-19 des plus drastiques, l’aventure en a effrayé plus d’un. “On fait avec, on n’a pas le choix de toute façon”, concède à peu près l’ensemble des concernés au moment d’embarquer.

Car en effet, il fallait s’accrocher pour continuer à rêver de Pékin. Après la validation des accréditations il y a de cela plusieurs mois, les obstacles se sont accumulés. Il s’est d’abord avéré nécessaire réserver un logement. Tous ceux qui avaient trouvé leur bonheur en dehors des hôtels réservés aux participants ont été priés de revoir leur copie en début d’hiver. Avec un choix plus que limité. Au final, SkiActu s’en est bien sorti en étant hébergé dans un gigantesque complexe à Zhangjiakou, avec l’avantage de ne pas payer des prix exorbitants et surtout d’avoir quelques restaurants à disposition afin de retrouver un soupçon d’énergie en toute toute fin de journée. Mais trouver une chambre se paie au prix d’incalculables échanges de courriers électroniques et de coups de téléphone, souvent avec des interlocuteurs à l’anglais très approximatif.

Les charters comme salut

Second défi: se rendre dans la capitale chinoise. Les organisateurs imposent leurs contraintes, à commencer par celle d’entrer dans l’Empire du Milieu par l’aéroport de Pékin. Le pays étant cloisonné depuis de longs mois, pratiquement plus aucun vol régulier ne se rend en Chine. Les charters organisés s’imposaient comme l’une des rares perspectives de voyage. Pour partir de Suisse, seule la compagnie nationale Swiss proposait une telle solution, à ses conditions: plus de 1500 francs pour l’aller et autant pour le retour, bien plus que les tarifs d’avant pandémie. Le tout à des dates assez peu flexibles, qui permettaient en revanche de partager l’avion avec des sportifs en tous genres, qui n’avaient eux aussi guère le choix. Heureusement, eux ont eu la possibilité de voler en classe affaires. Afin de rentrer à temps pour les épreuves de Coupe du monde de ski alpin de Crans-Montana, et par souci d’économie aussi, vos serviteurs ont toutefois misé sur un vol régulier d’une compagnie chinoise vers Bruxelles pour le retour, pour s’envoler dans la foulée de la cérémonie de clôture. Reste à savoir si l’option s’avérera payante.

Au cours des dernières semaines, la pression n’a cessé de s’intensifier autour des “stakeholders” (participants) de ces Jeux olympiques. Comme pour Tokyo il y a quelques mois pour les premiers Jeux “Covid”, un “CLO” (Covid Liaison Officer) a dû être nommé par chaque organisation se rendant sur place. Avec nombre de contraintes supplémentaires pour celui-ci. En premier lieu, celle de s’informer en permanence sur les mesures à respecter pour être du voyage. En gros, le rôle nécessite de s’y consacrer une à deux heures par jour depuis plusieurs semaines.

Le CLO doit transmettre les informations à ses collègues. Pour tous, une application dédiée à ces Jeux devait être téléchargée, avec l’obligation de s’y connecter et entrer quotidiennement, dès 14 jours avant le départ, sa température ainsi que signaler le moindre symptôme. Quelques heures avant le départ, la tâche se corsait. D’abord, pour les personnes déjà contaminées depuis plus de 30 jours, il fallait remplir un formulaire et l’envoyer pour validation avec un certificat de guérison aux autorités chinoises. Pour ceux qui ont été contrôlés positifs moins de 30 jours avant de poser pied sur sol chinois, même démarche, à compléter par deux tests PCR négatifs espacés de plus de 24 heures. Le tout au moins huit jours avant de s’envoler.

Des tests à la pelle

Pour tout le monde, il s’agissait évidemment d’être vacciné et surtout d’obtenir deux codes QR avant le départ, l’un sur la santé et l’autre sur les douanes, mais qui se rapportait aussi à la situation sanitaire du demandeur. De quoi perdre la tête. Pour ce faire, il fallait à tout prix avoir obtenu deux tests PCR négatifs à moins de 96 heures de l’arrivée en Chine mais espacés de plus de 24 heures, réalisés dans l’un des rares laboratoires agréé par l’ambassade chinoise. Gare aux résultats positifs, même pour un Covid résiduel… Le tout, à la charge des voyageurs, évidemment.

Mais ces tests ne représentaient qu’un début, compte tenu du fait que chacun est soumis au minimum à un test salivaire chaque matin entre 6 et 9 heures au pied de son hôtel. Avec à chaque fois, une petite pression que le résultat soit positif. Car dans ce cas, c’est transfert en ambulance dans un hôtel d’isolement. Pour en sortir, deux tests négatifs en moins de 24 heures sont nécessaires avant de vivre dans un régime de semi-quarantaine. Du coup, chacun y va de sa technique pour éviter le couperet. Tasse de thé chaud, bain de bouche ou spray buccal pour l’haleine ont ainsi la cote dans et autour des villages olympiques.

Il faut dire que la Chine et sa stratégie zéro Covid ne lésine pas sur les moyens pour parvenir à ses fins. Des “Minions”, surnommés d’après le film éponyme, sortes de cosmonautes protégés de la tête aux pieds, sont quasiment les seuls Chinois autorisés à communiquer avec les visiteurs extérieurs. Du moment que le pied est posé sur sol chinois, ceux-ci tentent tant bien que mal d’accueillir les nouveaux venus avec un mot gentil. Mais la plupart s’éloignent au passage de ces mêmes visiteurs, qui représentent le virus à leur yeux.

La patience, primordiale

A l’arrivée, après de longues minutes d’attente dans l’avion sans savoir ce qu’il se passe réellement, le cheminement dans un immense terminal désert a de quoi impressionner. Et la patience devient mère de vertu. Car l’attente à chaque étape (contrôle du passeport, remplissage de documents douaniers, test PCR encore, récupération des bagages, etc.) dure de longues minutes. Et le trajet en bus, bien escorté, pour aller dans les hôtels, également. Chaque convoi profite de plusieurs voitures de police afin de lui ouvrir la route, pour le plus souvent fermée aux véhicules extérieurs.

Sur le chemin, deux aires de repos sont réservées exclusivement au cortège olympique. Au premier arrêt, alors que l’envie se fait pressante, une dizaine de cars est sommée d’attendre devant une barrière qui peine à s’ouvrir. Derrière l’un deux, une ambulance gyrophares clignotants et sonnants fait son apparition. Un entraîneur, contrôlé positif quelques heures plus tôt au débarquement, doit être exfiltré et placé en quarantaine.

Enfermés dans une cage géante

Quant au paysage qui se découvre par les fenêtres givrées, il est plutôt aride. Et ce n’est pas les quelques flocons tombés dimanche soir qui ont vraiment changé la donne. Ni même les peintures thématiques sur les sports d’hiver qui ornent la plupart des maisons. Les bénévoles, eux, ont en revanche dû s’activer pour balayer la neige, une manière de dégager les chemins assez peu conventionnelle.

Si le Nouvel An chinois était l’occasion d’accueillir les visiteurs en fanfare, il n’en aura rien été, du moins dans les montagne. La Chine se met habituellement sur son 31 pour la plus grande fête de son calendrier avec notamment des feux d’artifices gigantesques et des lanternes à tous les coins de rue. Cette année, quelques maigres “Happy New Year” en guise de spectacle ont résonné. Le plus important, c’est de prouver que le pays est capable d’organiser un événement d’importance mondiale en période de Covid.

Reste l’impression de vivre dans une cage géante en étant entourés de barrières du matin au soir, avec l’impossibilité totale de découvrir le pays. Ceux qui n’y sont jamais allés resteront sur leur faim. Ce sentiment de ne pas être libre de ses faits et gestes est quelque peu compensé par les immenses moyens mis en place afin d’assurer la bonne tenue de ces Jeux olympiques malgré la crise sanitaire. Toujours est-il que le virus semble être une excuse qui arrange bien les autorités pour contrôler l’ensemble des faits et gestes des personnes présentes en Chine.

Laurent Morel & Johan Tachet, Pékin