A 24 ans, Pat Burgener a atteint l’âge de la maturité sportive. Médaillé de bronze dans le halfpipe de Park City lors des Championnats du monde, le rider de Crans-Montana peut sourire. Après avoir enchaîné les déceptions depuis le début de l’hiver, il a su rebondir au meilleur des moments. Il va désormais tenter d’enchaîner à Calgary, où se dispute la prochaine étape de Coupe du monde dès ce mercredi pour les qualifications dans la ville qui a accueilli les Jeux olympiques en 1988.

Pat Burgener, quel est votre sentiment après avoir gagné cette deuxième médaille mondiale?

C’est incroyable. Je l’attendais après être monté sur le podium il y a deux ans (ndlr: à la Sierre Nevada). C’était une vraie bataille pour y arriver. En plus, je gagne ma première médaille de la saison lors de la compétition la plus importante, je ne suis pas à plaindre.

Dans quelles conditions avez-vous abordé cette finale?

J’ai très mal dormi la nuit précédent l’épreuve. Beaucoup de choses m’ont envahi l’esprit. L’entraînement s’est très mal passé mais je me suis dit que de toute façon, je ne pouvais plus rien y changer. Alors j’ai laissé aller, j’ai profité du moment présent, et ça a fonctionné.

Les Mondiaux, c’est spécial?

Pendant les Championnats du monde et contrairement aux X Games, tu ne rides pas que pour toi mais pour tout un pays. Derrière toi, tu sens cette pression, qu’il faut aller chercher une médaille pour la Suisse. C’est là que tu commences à avoir peur. Il faut savoir faire abstraction de tout cela. 

On va a vu une nouvelle fois lancer votre casque et sauter dans tous les sens à l’arrivée. C’est un petit peu votre marque de fabrique désormais.

C’est vrai. Ça faisait tellement longtemps que j’attendais ce podium que j’ai explosé. Mais j’ai besoin de ça aussi. De toute façon, quand je fais quelque chose, je le fais toujours à fond, quitte à aller à l’encontre de ce qu’on me conseille.

Avez-vous réussi votre plus grosse performance ici à Park City?

Non, je ne pense pas. Je crois que j’étais meilleur aux Jeux olympiques l’année passée. Mais réussir à montrer un run comme celui que j’ai plaqué ici, alors que je n’étais pas très à l’aise sur ce «pipe», c’est une fierté.

Selon votre entraîneur, vous auriez pu faire encore mieux. C’est vrai?

Oui, mais je ne me sentais pas vraiment bien ces jours. Il est vrai que j’aurais pu faire un tour de plus dans une de mes figures, qui m’aurait permis de terminer 2e ou peut-être même 1er. Mais c’est une bonne leçon, j’apprends à chaque compétition. 

Vous avez également dû aller vous acheter des chaussures en urgence à Salt Lake City.

En effet! Je suis arrivé en Utah avec des vieille «boots», trop abimées et avec lesquelles je n’arrivais plus à rider. J’ai pris la décision de changer, ce qui est inconscient à quelques jours seulement d’une compétition de cette importance. Il faut normalement plusieurs jours pour adapter la rigidité des chaussures. Toujours est-il que j’ai acheté la seule paire que j’ai pu trouver à Salt Lake City et ça a fini par payer. Mais c’était un vrai risque. Je suis content d’avoir réussi à surmonter ça. D’un côté, ça m’a enlevé une part de pression.

Iouri Podladtchikov s’est blessé juste avant la finale. Comment avez-vous vécu ce moment?

Ce n’est jamais agréable. Mais j’ai appris depuis plusieurs années à faire abstraction de ce genre de choses. Juste avant de plaquer mon meilleur run aux Jeux, un athlète était tombé et j’avais dû patienter 10 minutes en haut du pipe. Ça fait partie du jeu, on ne pense plus à ça. Cependant, je suis super content de voir que Iouri va bien. Je l’ai vu après la compétition et il était super heureux pour moi. C’est un super bon perdant et il nous a parfaitement encouragé.

Avec l’équipe de Suisse, vous effectuez un gros travail mental?

Oui, mais pour cela, il faut rencontrer quelqu’un en qui on peut avoir confiance. J’ai cette chance avec Pepe (Regazzi, entraîneur en chef) et Claudio (Alessi, entraîneur privé, spécialisé dans les arts martiaux).

Quels sont vos échappatoires?

Ce qui est important, c’est de lire des livres! Ça me fait un bien fou, tout comme la musique. Après le Laax Open et les X-Games, qui ne se sont pas du tout passés comme je l’espérais, je suis parti à Los Angeles, j’ai pu passer deux jours en studio et ça m’a permis de tout oublier, de sortir les émotions négatives que j’avais en moi, la tristesse. J’étais vraiment déprimé et j’ai réussi à écrire une musique qui me permet d’être un nouvel homme.

Avant de venir à Park City, vous avez fait un «Road trip» dans l’Ouest américain. C’était aussi un moyen de penser à autre chose?

Oui, car la semaine n’a pas été simple. Le premier déclic a eu lieu à Santa Monica. En sortant du studio, avec ma guitare et mon skateboard, j’ai retrouvé le sourire. J’avais réussi à oublier mes soucis. Par la suite, nous sommes passés par Las Vegas. Sur le moment, je me suis dit que c’était une très mauvaise idée. Je n’étais pas là-bas pour faire la fête et ce monde-là représente tout ce que je déteste. J’étais vraiment choqué. La bonne nouvelle, c’est que ça m’a permis de me recentrer, de me souvenir des choses importantes de la vie, de la chance que j’ai de vivre de mon sport. Le lendemain, dans les grandes étendues désertiques que nous avons traversées, j’ai vraiment pu me ressourcer. 

A 24 ans, on sent que vous avez atteint une certaine maturité. C’est juste?

Oui, je crois qu’on peut dire ça. Je suis dans le snowboard depuis 10 ans désormais et j’ai changé. Je suis moins dans les émotions et je prends tout ce que je peux retirer. J’ai déjà pu remarquer que le sport n’est pas simple, que le talent ne fait de loin pas tout et qu’il s’agit d’un éternel apprentissage. Il y a 4 ans, j’espérais devenir l’un des meilleurs et désormais je suis le leader de l’équipe de Suisse. C’est un rêve qui se réalise. Mais je veux encore progresser, viser plus haut. Pour l’instant je prends toujours autant de plaisir à pratiquer mon sport, à voyager. C’est une vraie leçon de vie. 

La musique, ce sera une suite logique après votre carrière?

C’est sûr. Je n’ai pas envie de me retrouver à 32 ans et de ne pas savoir ce que je vais faire comme c’est le cas pour certains. D’ici 4-5-6 ans, la musique va me prendre et ma vie va poursuivre son cycle. Les gens veulent toujours nous mettent dans un moule, mais moi je continue simplement de suivre ma voie. Il faut vraiment croire en ses rêves et tout faire pour les réaliser. 

Quels sont vos objectifs pour la suite de la saison?

Je sens que désormais la machine est lancée. J’enchaîne avec une Coupe du monde au Canada, que j’espère gagner, et l’US Open et je sens que je vais continuer de monter en puissance. Je suis parti pour faire des podiums désormais. 

La prochaine étape, c’est d’aller chercher l’intouchable Scotty James?

Oui, clairement. Il me manque encore un petit peu d’amplitude. Mais je me bats pour ça. Scotty, il est super fort et super constant. Il profite aussi de son expérience, encore supérieure à la mienne.

Laurent Morel, Park City