Cet été, lorsqu’il était monté sur deux podiums en Grand Prix, d’aucuns voyaient déjà Killian Peier récidiver dès les premiers concours de l’hiver. Sauf que, et c’est logique, sauter sur neige n’est pas pareil que d’atterrir sur des tapis synthétiques verts. Surtout, les concours n’ont pas la même importance ni la même saveur. Il a donc fallu quelques semaines au Vaudois pour se mettre dans le bain. Pour accepter son nouveau statut. Et depuis le début de la Tournée des 4 Tremplins, il montre qu’il fait désormais partie du gratin mondial, à l’image ses deux top 10 obtenus à Innsbruck et Bischofshofen.

Si certains sont surpris de retrouver sur le devant de la scène un sauteur qui n’avait (de manière plutôt sévère) pas été retenu par Swiss Ski pour les Jeux olympiques de PyeongChang, d’autres y voient une progression linéaire. Tombé amoureux de la discipline en suivant depuis son canapé et aux côtés de son père les exploits de Simon Ammann à Salt Lake City (deux médailles d’or olympiques) en 2002, le gamin de La Sarraz a su qu’il voulait en faire «son» sport. «A l’époque, je jouais au basket, je faisais des agrès et je me suis même essayé au judo», raconte l’athlète désormais âgé de 23 ans. Né en 1995, il avait seulement 6 ans en février 2002, lorsqu’«Harry Potter» crevait l’écran dans le monde entier. Mais ça n’a pas empêché Killian Peier de se forger son rêve.

Le soutien familial

Un rêve qui ne l’a plus quitté. Encouragé par ses parents qui se renseignent sur la démarche à effectuer, il participe à 10 ans à une initiation au Brassus, organisée notamment par l’ancien champion Sylvain Freiholz. «J’y suis allé le premier jour avec mon matériel de ski alpin, j’ai fait quelques sauts, raconte-t-il. Après cela, Sylvain m’a demandé si je revenais le lendemain, ce que j’a directement accepté. Il est revenu avec des skis de saut et une combinaison. C’était vraiment cool.» Ce galop d’essai aura donc lancé la carrière de celui qui représente encore aujourd’hui le club de la Vallée de Joux.

«Au début, on s’est dit que c’était son sport mais sans s’imaginer qu’il allait pouvoir en vivre», explique sa mère Romana. Pourtant, petit à petit, Killian franchit les étapes qui le rapprochent des sommets. «A partir de mes 15 ans, j’ai fini l’école et je faisais déjà quelques concours internationaux en juniors, narre le champion. C’était assez clair que je voulais continuer à fond.» De son côté, son père Jean-Marc, fanatique de sports nordiques, l’encourage assidûment: «Ça me paraissait intéressant. Je suivais depuis toujours les concours de saut. J’aurais bien voulu pratiquer du ski nordique, mais je n’en ai pas eu l’occasion.» 

C’est donc son fils qui a pris le relais. «On a tout fait pour qu’il réussisse, ajoute Jean-Marc Peier. On n’a jamais dit non. Et financièrement, on l’a soutenu, mais sans que ça nous plombe pour autant. Ce qui est sûr, c’est qu’on s’est mis à en rêver de plus en plus.» Le principal intéressé lui, ne voulait pas non plus trop y croire: «Le but c’était vraiment de faire du mieux que je pouvais. Arriver en Coupe du monde j’y pensais mais je ne savais pas si c’était réellement réalisable». 

Depuis quelques jours, Killian Peier enchaîne les exploits. (Stanko Gruden/Zoom)

Einsiedeln, passage obligé

Après un an de Gymnase à Lausanne où sport et études sont difficiles à concilier, Killian Peier file à Zurich, «avec les copains d’Einsiedeln». Les copains d’Einsiedeln, ce sont les autres jeunes sauteurs helvétiques. Ensemble, ils suivent les cours d’une école de commerce sportive en 4 ans, «pour avoir un CFC». De quoi assurer ses arrières, même si après sa carrière, le Vaudois espère faire «quelque chose en rapport avec le sport» car il ne s’imagine pas rester dans un bureau toute la journée. D’ailleurs, il s’est inscrit à une formation de management du sport.

Si la plupart de ses attaches restent en terre vaudoise, à l’image de sa famille dont il a tiré deux tatouages dont un représentant le film Frère des Ours avec son frangin, Killian Peier vit «en semaine» depuis environ 8 ans à Einsiedeln, base d’entraînement du saut à ski à en Suisse. Logique. Désormais, cet amateur de cyclisme y est parfois rejoint par sa compagne, étudiante finlandaise qui partage son temps entre Helsinki et la Suisse. «Ce n’est pas toujours simple d’être souvent séparés, mais on parvient à gérer tout cela.», précise l’intéressé, qui semble épanoui. 

«Je peux manger de tout»

Difficile de déceler du négatif dans les dires du champion, même lorsqu’il parle des sacrifices que doit faire un sportif de haut niveau. «L’année passée j’ai pu aller deux jours à Paléo, raconte-t-il en exemple. Si on fait les choses correctement, il y a souvent un petit bonus qui se cache. On peut sortir de temps en temps, mais avec modération et pas avant un concours. Je ne suis pas du tout dans la privation extrême. Il faut juste planifier les choses intelligemment.» Et au niveau du poids de forme à garder, particulièrement important en saut à ski, n’est-ce pas trop compliqué à gérer? «J’ai de la chance je suis fin naturellement. Je peux manger de tout, je ne dois pas me priver, à part peut-être du chocolat de temps en temps. Le but c’est quand même d’être le plus léger possible. Cependant, on fait assez d’entraînement pour pouvoir manger normalement.»

Neuvième des Jeux olympiques de la Jeunesse d’Innsbruck en 2012, Killian Peier fait ses débuts en Coupe du monde l’année suivante partageant pour la première fois la vedette avec son idole Simon Ammann. Puis tout s’enchaîne. Il dispute dans la foulée les Mondiaux de Val di Fiemme par équipes. «J’ai eu la chance d’aller très tôt aux Mondiaux, se souvient-il. Ça m’a permis d’emmagasiner de l’expérience pour les Championnats du monde suivants.» En 2015 à Falun, il entrera dans les 30 avant de prendre un très solide 18e rang sur le petit tremplin de Lahti en 2017.

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«Etre pilote et non copilote de mon avion»

Sa progression linéaire a toutefois connu un coup d’arrêt l’hiver dernier. Après un début de saison en demi-teinte, la sanction tombe. Killian Peier n’ira pas aux Jeux olympiques. Intransigeants, les dirigeants n’ont pas fait de cadeau au Vaudois, qui devra attendre avant de vivre ce qui reste peut-être son plus grand rêve. «C’était un vrai coup de massue, relève sa maman. Mais il a su en retirer quelque chose de positif.» Le sauteur n’est pas resté les bras croisés. «Au terme de la saison, je me suis posé des questions, concède celui qui a eu de la peine à digérer sa non-sélection. Je me suis demandé si j’avais envie de continuer, si oui pourquoi et à quel niveau.»

S’il a décidé de poursuivre, Killian Peier ne souhaitait pas le faire dans les profondeurs du classement mais avec un vrai rôle à jouer: «Il fallait que je travaille clairement plus le mental et la technique, je devais changer quelque chose. Il fallait un virage dans ma carrière. J’ai pu discuter avec pas mal de monde dont mes entraîneurs actuels et les anciens, ainsi que mon coach mental. Ça m’a permis d’entendre ce qu’ils pensaient de moi. On était d’accords sur plusieurs points, un peu moins sur d’autres. Ce qui est sûr, c’est que je suis désormais focalisé sur ce dont j’ai besoin. J’essaie d’être plus pilote que copilote de mon avion.» Son coach mental, ou coach sportif, l’a aidé dans ce sens: «Je peux lui faire confiance. Il me pose des questions et cherche des solutions. Ça m’apporte une plus grande confiance en moi. J’arrive à être un peu plus libre au tremplin.» A l’image de son tatouage représentant une flèche, Killian Peier a su reculer pour mieux atteindre sa cible: «Dans la vie comme dans le saut à ski, il faut parfois faire 1 ou 2 pas en arrière pour en faire 3 en avant», sourit-il.

Le mental, toujours le mental

Ce n’était pourtant pas gagné d’avance pour un garçon réservé, qui est souvent le seul Romand dans une équipe à consonance alémanique. «Je m’entends bien avec tout le monde, objecte-t-il. Mes meilleurs amis sont les Suisses avec qui je m’entraîne, mais le monde du saut à ski est une grande famille où il n’y a pas de rivalité malsaine.» Et Killian Peier s’y sent de mieux en mieux. «Le mental est très important dans le saut à ski, rappelle le Sarrazin. Le mouvement est tellement court qu’il faut être prêt à 110%. On dit 70% de mental et 30% du corps.» Compliqué donc, mais lorsque les planètes s’alignent, les résultats suivent rapidement, à l’image de ses deux premiers top 10 obtenus lors de la Tournée des 4 Tremplins, sur deux sautoirs pourtant complètement différents.

«Pour nous aussi, c’est compliqué de connaître ce qui se cache derrière son visage, il est pudique, il est réservé, révèle Romana, en parlant du caractère de son fils. Il faut parfois deviner les choses.» Des propos appuyés par son mari: «On en sait autant en lisant les journaux qu’en causant avec lui.» Les parents du sauteur n’en restent pas moins fiers des exploits de leur fils: «On le suit dès qu’on peut, si c’est à 3 ou 4 heures de voiture, racontent-ils. Au-delà c’est compliqué, mais on trouve toujours un moyen de regarder les concours. Et si on ne s’écrit plus juste avant les épreuves, on reste toujours en contact.» 

Et alors que leur fils s’envole parfois à près de 200 mètres, les parents Peier n’ont pas la boule au ventre. «On a jamais peur quand il saute, confirme sa maman. On l’a vu évoluer progressivement. Donc on comprend le fonctionnement.» Jean-Marc abonde: «Les tremplins évoluent du plus petit au plus grand. A 20-30 mètres j’ai eu un petit peu peur. Mais plus les sauteurs progressent, moins ils font de fautes et moins il y a de risques.» D’ailleurs, Kilian Peier n’est jamais tombé dans des moments critiques, en vol par exemple. Il n’a ainsi jamais dû faire face à de graves blessures.

Surtout, désormais libéré et avec une nouvelle technique au sautoir comme en vol, Killian Peier peut viser les étoiles. Et comme l’indique Andreas Küttel, membre du staff helvétique, «personne ne connaît vraiment les limites de Killian.» Pourra-t-il glisser dans les traces de Simon Ammann? «De temps en temps, il me donne quelques conseils. Au tremplin pas trop, mais surtout en salle, décrit le nouveau numéro un helvétique. Pour moi, il a toujours été une inspiration. On voit qu’il a une énorme expérience. Il la dégage et ça montre l’exemple. Il sait gérer quasiment toutes les situations, il a toujours un plan B. J’ai pu apprendre de lui. C’est un perfectionniste avec ses avantages et ses inconvénients, mais j’essaie de m’en approcher.»

Laurent Morel